29 septembre 2017

Merveilleux nuages

"Nous tenons chacun notre rôle dans l’histoire. Le mien, ce sont les nuages."
                Richard Brautigan

Bien beau. Très poétique. Phrase à utiliser avec circonspection quand on vous invite à participer aux tâches du ménage.

Lu dans:
Thomas Vinau, La part des nuages. Alma éditeur. 2014. Exergue 

28 septembre 2017

Roch Ha-Chana

 "Ce jour-là ne fut le jour de rien. Justement. Pourtant il n’était pas pire que les autres. Pas de changement notable. Pas d’événement. Aucune surprise naissante. Aucun début. Aucune fin. Aucun rebondissement. Rien de flagrant, si ce n’était sa concordance tiède avec hier et demain. Lui, ne s’est pas levé transformé en cafard. Personne ne venait de mourir. Il n’a pas décidé de changer quelque chose. Ni de faire comme avant. Ni de regarder autrement. Ni de regarder autre chose. Il s’est levé avec le jour. Il a suivi l’ascension graduée de la lumière. Il a couru derrière. Il a fait ce qu’il avait à faire. Conservé ce qui pouvait être conservé. Protégé les siens. Fait les courses. Mis un pied devant l’autre. Il a été un homme. Un peu pénible. Un peu bon. Il ne fut ni honteux ni fier. Fatigué. Comme chaque soir. À l’abri comme chaque soir. Plutôt content que les choses se passent normalement."
                        Thomas Vineau

Se résout-on jamais à ce que les choses se passent aussi "normalement"? La semaine passée fut fêtée Roch Ha-Chana *, fête de l'éveil selon une interprétation qu'en donne le rabbin Guigui: aucune vie ne saurait se réduire à une simple habitude, répétition lancinante et monotone de ce qu'elle fut la veille, et sera le lendemain. Chaque aube nous invite à nous diriger vers quelque chose d'entièrement neuf, l'être humain possédant cette capacité intrinsèque à se changer qui est source de toute espérance.



* Fête juive (21-22 septembre 2017). Littéralement, Roch Ha-Chanah signifie, «tête de l’année» considérée comme le Nouvel An juif et le jour anniversaire de la création du monde. 

Nulle au RER

"La vieillesse est comparable à l'ascension d'une montagne. Plus vous montez, plus vous êtes fatigué et hors d'haleine, mais combien votre vision s'est élargie!"
Ingmar Bergman.

Elle a l'allure d'un oiseau mazouté, récemment déstabilisée par une évaluation négative à son travail. Trop jeune pour bénéficier de la retraite, trop usée pour tenir le rythme. "Totalement nulle" selon l'échelle RER (Rapidité Efficacité Rendement) imaginée par son supérieur hiérarchique, elle est à la fois trop lente, trop hésitante, trop perfectionniste, trop unilingue, trop grosse, trop peu intéressée par les nouvelles techniques, trop ménopausée, trop mal au dos, trop tout en somme. Souffrante sans être malade, elle a épuisé ses jours de congés légaux, comment fait le médecin pour traduire en termes administratifs une réalité aussi simple? Je découvre en la quittant qu'elle lit Petit Pays de Gaël Faye, qu'elle écoute Klara, fréquente Bozar, télécharge des podcasts de Raphaël Enthoven et d'Anne Dufourmantelle sur son smartphone, pas nulle en tout, pas nulle du tout même. Connaît-on jamais quelqu'un, chaque patient contient dix patients.  
 


27 septembre 2017

Une patrie à modeler

« La patrie n’est pas l’endroit où tu nais et où tu vis, sans que tu puisses choisir, qui te dépouille de tes droits, qui pille ta liberté et ton honneur. Non, la patrie c’est la terre qui te fait sentir ton humanité, qui te donne la paix, la liberté, la dignité, une vie généreuse, du travail, l’éducation et la créativité. »
        Hoshang Ossi, réfugié syrien devant la mer à Ostende.

Bonne fête à la Communauté française de Belgique, une patrie en construction qu'on aimerait modeler selon le rêve de Hoshang Ossi.

Lu dans:
Flavie Gauthier. La Belgique, ses amours et ses tracas sous la plume des écrivains arabes. Le Soir. 26 septembre 2017. Extrait p. 18
Allal Bourquia et Hoshang Ossi. Ceci n'est pas une valise: Récits arabes sous un ciel belge.  Trad. Xavier Luffin. Editions La Croisée des chemins. 330 pages.

26 septembre 2017

Mon fils passe une RMN

"Assise dans le couloir
un vieux magazine sur les genoux
j'écoute le buzz de l'énorme aimant
attirant et faisant tourner sur eux-mêmes
ces protons d'hydrogène
qui, autrefois, faisaient partie de moi

J'imagine cette poussière interstellaire intemporelle
ces restes d'étoiles et de galaxies
venus se poser dans son corps
à quelques mètres de moi, à plat sur la table d'examen

Je ne peux, à l'heure qu'il est, rien faire pour lui
réduite à l'attente, respirer, inspirer, expirer
immobile   
pendant que son univers intérieur tourne."
            Bonnie Salomon. Mon fils passe une IRM

Combien grande doit être notre peur de la maladie pour autoriser la médecine à nous fouiller de telle manière, avec quelle précision et si fréquemment. Pas un millimètre de notre être qui puisse échapper à l'inventaire de la RMN ou du Petscan, pas un orifice qui n'ait son endoscope, pas une addiction qui n'ait son test spécifique, pas une pensée qui ne soit localisable et interprétable par les neurosciences. Réaliser que toutes ces données recueillies, chiffrées, seront ensuite intégrées à de vastes banques de données - le big data - préfigure en quelque sorte la dispersion des cendres après une crémation, une dissolution de ce qu'on nomme l'intimité. La proximité physique du médecin qui dans son cabinet me palpe l'abdomen, ou du psychanalyste qui me palpe l'inconscient, ont quelque chose de rassurant: un être humain comme moi, ressentant les mêmes peurs et les mêmes émotions, m'approche en respectant ma frontière au monde constituée par mon enveloppe charnelle: passée cette limite, c'est chez moi. Mais confier l'état précis de ma prostate, de mon foie, de mes seins à quelqu'un que je n'aurai même pas vu, qui les scrutera avec une précision d'entomologiste, imaginera la vie et les pensées qui les sous-tendent, les émotions qu'elles suscitent, recèle quelque chose de profondément impudique et si communément accepté que je comprends le patient apeuré qui, sans aucune justification raisonnable sur le plan médical, refuse de se faire investiguer. 


Lu dans :
Bonnie Salomon. Mon fils a passé une RMN.  Hektoen International Newsletter. A journal of medical humanities. Poetry Automne 20016. L'auteur est médecin urgentiste au Northwestern Lake Forest Hospital, Illinois, États-Unis et conférencière en éthique médicale dans la région de Chicago.

24 septembre 2017

Lieux de pleine habitation

"Des lieux de pleine habitation
où se rencontrent ces moments vécus dont nous portons longtemps sur nous l'empreinte
ou cette ancienne chanson entendue avec des amis dans le bar de la plage
dans cette couleur du nuage au-dessus des toits après la fin de la moisson
dans ce repas partagé
dans la sensation de l'eau qui coule encore sur le corps longtemps après la pluie
dans ces fêtes populaires
dans ces langages particuliers qu'on ne parlait qu'ici
tous ces lieux où quelque chose a été vécu."
                Jean-Marc Besse.

Lu dans:
Jean-Marc Besse. Habiter un monde à mon image. Flammarion. 2013. 254 pages. Extrait pp. 194,195

23 septembre 2017

Sagesse de l'amphore

"Le cœur de la nuit cherche
un asile dans la lumière
chaque chose
se réfugie dans son contraire
c'est ainsi qu'existe ce qui existe

Si s'annulaient les oppositions
tout cesserait d'exister."
        R. Juarroz

Pour évoquer la vie et le jeu des contraires, rien ne vaut l'amphore dont la courbe est l'opposé exact de celle de son contenu. Imagine-t-on une cascade sans son rocher, la fraîcheur de l'oasis sans l'aridité du désert, la fragilité du coquelicot sans l'abondance du blé? Ma faiblesse se nourrit de ta force, et l'inverse.



Lu dans:
Roberto Juarroz. Quinzième poésie verticale. José Corti. Collection Ibériques. 2002. 89 pages

22 septembre 2017

Petits délits d'initiés

« Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-vous ce que cela signifie quand on n'a plus où aller? »
La question que Marmeladov lui avait posée la veille lui revint tout à coup à l'esprit.
Car il faut que tout homme puisse aller quelque part."
                    Fiodor Dostoïevsk. Crime et châtiment 

Ce matin une minuscule araignée s'est vue emportée par le jet de ma douche. Je ne l'ai pas voulu, mais en fus indirectement responsable. Quand dans ma ville on "nettoie" le parc Maximilien de migrants soudanais  avec des comparses douteux, c'est tout pareil.


Lu dans:
Leïla Slimani. Chanson douce. Gallimard NRF. 2017. 230 pages . Exergue

21 septembre 2017

Régler la focale

"Voir le monde en un grain de sable
Un ciel en une fleur des champs,
Retenir l'infini dans la paume des mains
Et l'éternité dans une heure."
                William Blake

En photo on parle de profondeur de champ et de focale. Chaque objet, chaque personne sur lesquels se porte notre regard possède des épaisseurs différentes selon l'attention qu'on lui porte. Chaque patient est un roman, un pays, une légende à lui seul, enfouis dans le quotidien banal qui ne demandent qu'à se déployer si on leur laisse la place. Je suis entouré de gens exceptionnels qui l'ignorent eux-mêmes, et que notre regard illumine.

20 septembre 2017

Un métier sérieux

"Au-delà de l'apport primordial d'Orville et Wilbur Wright [concepteurs du premier avion qui ait volé, 1903, Dayton], ce qui me touche le plus est le temps qu'il leur a fallu pour être reconnus. Leurs travaux faisaient rire. Des citations d'époque se moquent de "ces deux illuminés qui voulaient développer un jouet sans aucune utilité, plutôt que de travailler dans un métier sérieux". Ils ont dû attendre leur tournée triomphale de 1908 en France pour devenir des héros aux États-Unis. (..) Le transport aérien moderne peut se résumer à l'apport de quelques pionniers qui ont ouvert les voies que l'industrie a développées plus tard: l'avion des frères Wright, la cabine pressurisée de mon grand-père et les vols longue distance de Charles Lindbergh et Jean Mermoz. Et maintenant on prend l'avion pour New York ou Singapour comme on monte dans un autobus... Arrivera-t-on à faire de même avec un avion de ligne solaire ? Je serais fou de répondre oui et idiot de répondre non. Nous n'avons pas la technologie pour transporter 200 passagers dans Solar Impulse, mais les frères Wright ne l'avaient pas non plus. Et pourtant c'est arrivé ! Il faut des explorateurs pour ouvrir la voie."
            Bertrand Piccard
 


 
Lu dans:
Bertrand Piccard, André Borschberg. Objectif Soleil: Deux hommes et un avion. L'aventure Solar Impulse. Stock. 2017. 364 pages. Extrait p. 298
Orville et Wilbur Wright https://fr.wikipedia.org/wiki/Orville_et_Wilbur_Wright

19 septembre 2017

La boussole intérieure


"L''exploration n'est pas une action mais un état d'esprit face à la vie. C'est l'aiguille d'une boussole intérieure qui se met à indiquer systématiquement l'inconnu, ce qui n'a encore jamais été fait, ce qui est considéré comme impossible."
                 Bertrand Piccard.



Lu dans:
Bertrand Piccard, André Borschberg. Objectif Soleil: Deux hommes et un avion. L'aventure Solar Impulse. Stock. 2017. 364 pages. Extrait p. 14

17 septembre 2017

Libre échange

"Aussi sûrement que l'aiguille d'une boussole pointe vers le nord, le trajet des poubelles indique le sens de la domination: le faible recueille les restes du fort."
                                Pierre Rimbert

"Le commerce international n'échappe pas à la règle. Les États-Unis, qui achètent à la Chine des téléphones portables et du travail bon marché, lui revendent des ballots d'emballages défraîchis, des compressions de bouteilles en plastique, des chiffons et de la ferraille. Ces sous-produits de consommation destinés au recyclage représentent l'une des vitrines mondiales méconnues du made in USA: six des dix premières entreprises exportatrices américaines prospèrent dans ce secteur, qui a réalisé en 2016 un chiffre d'affaires de 5,6 milliards de dollars (4,8 milliards d'euros) rien qu'avec l'empire du Milieu. Et qui expédie sur les océans plus d'un million de conteneurs remplis de vieux papiers- le produit américain le plus exporté par ce mode de transport. Première importatrice mondiale, la Chine a pour sa part acheté pour 18 milliards de dollars de déchets l'année dernière, dont 7,3 millions de tonnes de plastique usagé. Lequel, une fois trié par des petites mains sous-payées, puis reconditionné, voguera à nouveau vers les supermarchés sous forme d'objets flambant neufs. Ces cargaisons de seconde main permettent aux compagnies maritimes de charger les porte-conteneurs qui, sinon, repartiraient à vide vers les ateliers du monde."
 
  
Lu dans:
Pierre Rimbert. Libre-échange des ordures. Le Monde diplomatique. Septembre 2017. Extrait. p 19
Top 100 importers and exporters. Journal of Commerce, vol. 18, n° 11, New York, 29 mai 2017.

15 septembre 2017

Proverbe anglais

"Chaque nuage a une doublure d'argent "
                ("Every cloud has a silver lining")
  

14 septembre 2017

Paradis lointain

"J’aimerais en être sûr : mon réveil entraîne bien de facto l’annulation du récital de chants liturgiques que dans mon rêve je devais donner ce soir à Acapulco ?"
                    Eric Chevillard. L'autofictif

Je réveillai un jour une vieille patiente endormie sur ses avants-bras dans sa chambre de clinique. Les cloches de la collégiale proche, un soleil frisant, une ambiance de dimanche matin et son rêve l'avaient emmenée loin dans son enfance. J'eus quelque remords à l'en avoir tirée. Elle pas. "C'était si beau que dès votre départ j'y retourne." Vers quel paradis, oubliant un court moment ses rhumatismes et son souffle court? Ce fut son secret, et mon imaginaire.
       
Lu dans:
Eric Chevillard. L'autofictif. http://autofictif.blogspot.be/ 3379

13 septembre 2017

Des sons qui deviennent paroles


"Me trouvant à l'hôpital de Bangor, dans le Maine, où j'étais hospitalisée, Jerry Wilson me mit entre les mains l'admirable plaque de malachite que j'avais marchandée à plusieurs reprises en 1983 et 1985 à New Delhi pour la lui offrir. Elle ne l'avait pas quitté depuis. Mais sans doute mes mains étaient faibles, ou moi-même un peu assoupie, car j'ai senti glisser quelque chose, un bruit léger, fatal, irréparable, qui me réveilla de mon sommeil. J'étais bouleversée d'avoir ainsi détruit à jamais cet objet qui avait tant compté pour nous, cette plaque de minéral au dessin parfait à peu près aussi antique que la terre. De quel dépôt cent fois millénaire était-elle venue pour nous attendre deux ans chez un bijoutier hindou, puis pour passer et repasser deux fois l'Atlantique, aux mains d'un ami qui n'avait peut-être plus longtemps à vivre ? De quel Himalaya, de quel Pamir? Mais le son même de sa fin avait été beau... Oui, me dit-il, la voix des choses.»
                   Marguerite Yourcenar. Exergue du recueil "La voix des choses".

Le tintement de la chute de la malachite devient signifiant pour Marguerite Yourcenar car il résonne en écho à sa propre vulnérabilité. Le minéral devient humain, le son devient mot: nos vies connaissent des instants irréparables. En irait-il de même de la communication humaine, quand noyés sous le flot des paroles celles-ci ne restent que des sons, ne rencontrant aucun écho dans nos vies quotidiennes? 

 

Lu dans:
Marguerite Yourcenar. La Voix des choses. © Jerry Wilson, 1987, pour les photographies. Éditions Gallimard. 1987. 104 pages.

12 septembre 2017

Le coup de foudre, c'est vers la fin

 "J'ai été aimée."
            Maudie (film de Aisling Walsh, 2016)

Trois mots à peine audibles pour une une existence qui s'éteint dans la sérénité liée à une certitude: avoir été aimée. Une histoire sobre qui sonne juste, celle d'un coup de foudre à l'envers menant de l'ombre à la lumière, inversant le scénario cinématographique habituel de la passion amoureuse qui veut qu'à l'éblouissement des débuts succède inévitablement l'usure des jours.  On sort meilleur de la vision de Maudie, film intimiste à petit budget, qui nous décrit l'histoire d'amour improbable d'un couple dépareillé que tout sépare et que la vie commune fera se découvrir et aimer. Cela sonne juste, et reste présent longtemps après le générique final. Transcendée par l'interprétation inoubliable de Sally Hawkins dans le personnage de Maud Lewis, artiste peintre naïve déformée par l'arthrite, Maudie semble nous souffler une vérité méconnue: l'intensité d'un amour se mesure vers la fin et se moque de la perfection de la silhouette, ou de l'épiderme. C'est peu dire qu'on a apprécié. 
 

       
Lu dans:
Maudie. Film. Réalisation Aisling Walsh. 2016. Irlande/Canada. 1h 56 min. Avec Ethan Hawke, Sally Hawkins, Kari Matchett.

11 septembre 2017

La boîte à clous


"L’argent hérité du père sera bientôt dépensé mais nous puiserons jusqu’à la fin de nos jours dans les petites boîtes de clous de sa caisse à outils."
            Eric Chevillard

Nous avons tous une boîte à outils quelque part, belle image de la transmission. Je garde précieusement, et l'utilise encore les jours de gel, un ancestral chargeur de batteries sans aucune sophistication récupéré au décès de nos parents, pièce éternelle car élémentaire. Sa simplicité d'utilisation, sa fiabilité quand les batteries sont à plat, sa modestie et son caractère hors d'âge constituent le plus beau souvenir des qualités que je garde des parents. Les transmettrai-je à mon tour?


Lu dans :
Eric Chevillard. L'autofictif. http://autofictif.blogspot.be/ 3397

09 septembre 2017

Nouvelles idées, vieilles croyances


"Une pensée me console: ce ne sont pas les vendeurs de bougies qui ont inventé l'ampoule électrique."
                Bertrand Piccard.

Découragé par la frilosité des grands avionneurs Boeing, Airbus, Pilatus à s'engager dans l'aventure du Solar Impulse, premier avion solaire à avoir bouclé un tour du monde, son initiateur Bertrand Piccard se souvient avec humour que son  "Auguste" grand-père n'avait pas fait construire la cabine pressurisée de son invention par le biais de l'industrie aéronautique, mais... par un fabriquant de cuves de bière en aluminium. Il faut préciser que l'histoire s'est passée en Belgique, et que personne d'autre n'avait accepté de cautionner ce qui était considéré comme un suicide programmé. "Un spécialiste sait construire ce qu'il a appris à construire, pas autre chose. Pourquoi s'acharner à faire produire au monde de l'aviation un engin solaire qui ait l'envergure d'un jumbo-jet et le poids d'une voiture? L'innovation ne consiste pas à avoir de nouvelles idées, mais plutôt à se débarrasser de vieilles croyances. A nous donc d'agir." Ce récit tonique, écrit à quatre mains par les deux copilotes du Solar Impulse, nous incite à réactiver la petite flamme de projets qui brûlent en nous et ne demandent qu'à s'épanouir. 

Lu dans:
Bertrand Piccard, André Borschberg. Objectif Soleil: Deux hommes et un avion. L'aventure Solar Impulse. Stock. 2017. 364 pages. Extraits pp. 14, 29

08 septembre 2017

Signes de départ

"Le troupeau émerge des nuages bas. C'est une bannière dépenaillée d'oiseaux, montant et descendant, s'écartant, se rapprochant, avançant tout de même, sous le vent qui lutte amoureusement avec chaque aile vanneuse.
Quand le troupeau n'est plus qu'une tache confuse tout là-haut, j'entends sonner le clairon des funérailles de l'été."
             Aldo Léopold.


Ce matin soudain on change le décor, on sort la petite laine pour le café, on éloigne la nuit à la lampe, de la rue monte une rumeur qu'on avait oubliée. L'air ambiant redevient agité, la ville s'ébroue comme un soir de dimanche sans voiture. L'été prend congé et s'en va. 

 
Lu dans:
Aldo Leopold. Almanach d'un comté des sables. Traduit de l'américain par Anna Gibson. Flammarion. 2000. 290 pages. Publié à titre posthume. Extrait p. 94.

06 septembre 2017

Faire place

 « Je suis trop remplie du passé, il n’y a plus de place. "
                        Jane Birkin, citant un personnage de son film Boxes

Un jour on perd sa première dent de lait. On devrait se désencombrer d'un passé trop lourd de la même manière, confiant dans la petite souris du matin qui troque la dent détachée pour une friandise, et dans l'attente d'une nouvelle pousse plus vigoureuse. 


Lu dans:
Jane Birkin, interrogée par Julie Huon. Je me croyais sans intérêt. Le Soir. 23 août 2017

La pupille déshabitée


"Que ferais-je dans ce monde sans visage     sans questions
où un être ne dure qu'un instant
où chaque instant verse dans le vide
dans l'oubli d'avoir été."
        Samuel Beckett (1906-1989)

Étrange métier, mais est-ce un métier? En trois mois, accompagner la disparition d'une dizaine de patients, repus d'années mais bien vivants jusqu'au dernier jour. La plupart connus depuis quarante ans, dans la force de l'âge, laborieux, vigoureux comme cet éboueur qui racontait comment il rentrait surprendre son épouse pour un hommage à dix heures du matin  prétextant qu'il avait oublié ses clés, ou celui qui rentrait de son horaire de nuit dans le lit chaud sans toucher au petit-déjeuner, ou celle qui racontait comment on faisait l'amour dans un cercueil, ou celui qui se cuisinait une omelette au lard de 24 œufs. Les vieux n'ont pas toujours été vieux, et j'aime lire dans leurs vieilles pupilles de plus corses histoires que tous les Goncourt et Renaudot réunis. Et soudain, la pupille s'éteint, irrémédiablement. Un court instant on tente de croire à un au-delà meilleur, mais qu'il est dur à imaginer quand s'éteint soudain la lumière du regard de celui avec qui furent partagés polissonneries, rêves et misères. Quand vous trouverez demain votre médecin un peu moins drôle que de coutume, un peu moins à l'écoute, le diagnostic un peu moins sûr, ayant un peu moins le cœur à l'ouvrage, avant d'en changer demandez-vous s'il vous est déjà arrivé de perdre dix amis depuis le mois de juin. Et ce que cela vous ferait.

04 septembre 2017

Septembre clair

"L'herbe n'a plus de couleurs
Le soleil blond de paille mûre
Le bleu du ciel presque cristal
La clarté vive de septembre
La chaleur douce dans la brise

Habiter le même matin
Respirer la même lumière
Partager le même chemin
Dans le même automne clair

Il ne faut pas demander trop
Juste un jour de douceur d'automne
et la lumière tellement belle
qui nous éclairera tous deux
jusqu'au coucher du soleil."
        Claude Roy. Septembre Clair. Belle-Île-en-Mer, 7 septembre 1989 


Jamais la fin d'été n'avait paru si belle, les vignes de l'année auront de beaux raisins... Septembre concentre les couleurs et les sentiments contraires, le pressenti que quelque chose va se terminer, qu'on aimerait voir durer juste un moment encore. Septembre est un mois de vendanges, avant la longue fermentation dans les cuves, les barriques et les caves. Caprins et bovins descendent en carillonnant des hauts alpages, et nous sortons les petites laines. Septembre est un mois de douceur. 
       
Lu dans :
Claude Roy. L'étonnement du voyageur. 1987-1989. NRF Gallimard.  378 pages. Extrait pp.251,252.

03 septembre 2017

L'inconnu du grenier

"Ce matin même, en venant à notre rendez-vous, j’ai lu dans le New York ­Times l’histoire d’une femme qui a découvert qu’un inconnu total, un étrange intrus, vivait dans son grenier à son insu."
            Don DeLillo.


Fait divers étrange, narré de manière prémonitoire par Don DeLillo dans son roman Body Art. Depuis, je ne pénètre plus dans les pièces de ma maison de la même manière, bureau, cave, chambre à coucher, sait-on jamais? Sans parler des intrus que nous portons en nous à notre insu: une tumeur silencieuse, un souvenir enfoui qui ne demande qu'à remonter à la surface précipitant notre existence paisible, la part d'ombre de notre personnalité prête à envahir l'espace au gré des circonstances, le coléreux, le médisant, l'envieux que nous pensions avoir terrassé au prix d'efforts et de résolutions répétées. Et pourtant.. si la saveur d'une vie tenait à cet inconnu total prêt à nous surprendre, pour le pire mais aussi pour le meilleur? Demain pourrait être le début du meilleur de notre vie, si nous lui laissons la place. Hier sur le mur de son école, un élève a écrit "Que la curiosité soit avec toi." Une bien belle résolution pour une rentrée scolaire.

Lu dans:
Don DeLillo: je suis prêt à disparaître. Florence Noiville. Le Monde des Livres. 30 août 2017.  

02 septembre 2017

Semer l'avenir

"Quand le vent tourne, certains construisent des murs, d'autres des moulins à vent."
                    Valéria Luiselli.

Les chiffres qui effraient les uns stimulent les autres: notre commune (Anderlecht) a vu sa population croître de 15.000 habitants en quatre ans, et se trouve au huitième rang des plus jeunes du pays, multiculturelle, multilingue, économiquement défavorisée. Sur le plateau du Vlasendael tourne le seul moulin bruxellois en activité, le Luizenmolen. Vue sur les ailes qui tournent au vent et broient les grains mêlés (l'image est belle n'est-ce pas), naît ce matin une école chère au coeur d'une équipe enthousiaste qui porte le projet depuis plusieurs années. Longue vie au Lysem - Lycée Soeur Emmanuelle et ses semences d'avenir. Mes proches auront compris le petit clin d'oeil admiratif à mon épouse


Lu dans:
Valéria LUISELLI. L'histoire de mes dents. Traduit de l'anglais par Nicolas Richard. L'Olivier. 2017. 192 pages.
Lysem (Lycée Soeur Emmanuelle) http://www.lysem.be/

01 septembre 2017

L'apprentissage du bonheur, et vive-versa

« Je vous aime
vous qui partez avec pour bannière le vent
comme on respire
vous êtes le premier poème. »
            Nadia Tuéni

Une pensée pour tous nos petits lâchés une première fois dans les cours d'école, dans ces classes sentant le propre et la peinture fraîche. L'image de notre petite Cécilia, découvrant la joie de rouler en équilibre seule sur son vélo, dans la beauté infinie du Salar (le "Désert de sel" bolivien) m'accompagne: tout apprentissage est un bonheur pur.