30 mai 2017

Par un beau soir d'été


"Une bouteille de pils avec, à l'intérieur, un message scellé écrit au crayon de menuisier: «Par un beau soir d'été de 1868 j'étais ici avec ma chérie. » Pas de nom, pas de signature. Juste ce message de bonheur euphorique adressé à une postérité inconnue."
            Henning Mankell

Que de livres sur le bonheur qui ne possèdent pas la force d'évocation que cache cette bouteille. Les moments heureux surgissent là où on les attend le moins, on tente de les agripper en vol, ou du moins témoigner de ce qu'ils ont existé. Il y a peu, une patiente septuagénaire me racontait avoir connu UN court moment de bonheur inoublié dans son existence, dans un grand magasin de textiles près du canal, il y a trente ans. Soudain, sans raison précise, ni amour, ni promotion, ni guérison de quoi que ce soit, elle s'était sentie incroyablement heureuse, dans une plénitude jamais connue jusque là. La musique était belle, les étoffes douces et colorées, une paix irréelle régnait sur les lieux et elle, elle planait. Lentement, elle est revenue sur terre, s'est acheté une petite robe qu'elle a encore, est sortie et a attendu le tram. Elle n'a plus jamais connu pareil moment par la suite, et n'en est même pas triste puisque c'était si bon et qu'au moins elle peut témoigner de ce qu’est avoir été heureuse. Je suis resté songeur devant la force de ce récit et l'absence totale des raisons habituelles de ce moment heureux, que rien ne me permet de mettre en doute. La chimie des sentiments demeure un continent à explorer.


Lu dans:
Henning Mankell. Sable mouvant. Seuil 2015. Points 380 pages. Extrait p. 105 

Les liens qu'on défait

« Plus d’un qui ne peut se libérer de ses propres chaînes a su néanmoins en libérer son ami. »
            Charles Pepin
Il est peu de phrases que je puisse autant m'approprier.

Lu dans:
Charles Pepin. Les vertus de l'échec. Ed. Allary. 2016. Kindle pp. 85-86.

29 mai 2017

Amazing Grace

"Et de ma voix s'élève
ce chant qui m'a apaisé.
Perdu     je me suis retrouvé un chemin
aveuglé     j'ai pu revoir la lumière
     par les yeux du cœur,
apeuré     j'ai vaincu ma peur.
Et pour mille ans     toi et moi
inépuisables comme les rayons du soleil
remercierons notre Dieu."
    Amazing Grace

Soudain s'élève dans le chœur de l'église, ce samedi, après le traditionnel échange d'alliances des époux, le mythique Amazing Grace, l'hymne aux 1100 enregistrements, parmi les plus populaires du répertoire américain. Aux notes pures se superpose soudain dans ma mémoire une image, encore récente et déjà éternelle. Alors qu’il prononçait l’éloge funèbre du pasteur noir Clementa Pinckney, tué avec huit autres paroissiens noirs le 17 juin 2015 à Charleston, le président Obama a entonné les mêmes paroles a capella, partageant une émotion rare avec l'assemblée. Associer les mots appropriés aux circonstances n'est pas donné à tout le monde.



26 mai 2017

Je suis responsable de mon robot

 « Lorsqu'un robot peut s'adapter et apprendre de son propriétaire, ce dernier est responsable de son éducation.»
            Laurence Devillers


Les robots conversationnels affectifs sont annoncés, dotés d'une grande capacité de calcul, capables de reconnaître et de simuler des émotions, mais sans les ressentir eux-mêmes. Ils se déplacent et se rechargent tout seuls, mesurent 1,20 mètre et sont programmés pour être d'humeur positive. Ils ont un visage joyeux, souriant, voire enfantin. Destinés à l'assistance de personnes à leur domicile, leur notice précise qu'ils ne sont pas programmés pour s'occuper de très petits enfants sans la présence des parents, de peur "qu'ils se mettent à les aimer et même à les préférer aux humains." Dans la même notice, il est écrit également que «lorsqu'un robot peut s'adapter et apprendre de son propriétaire, celui-ci est responsable de son éducation ». Conseil utile car lui faire désapprendre après apprentissage est une vraie question. En 2016, un robot conversationnel nommé Tay de Microsoft simulait une jeune adolescente naïve discutant sur Twitter.  Le projet a tourné court, lorsque des internautes ont décidé de lui apprendre principalement la violence verbale. Tay a débuté son expérience en disant que les «humains étaient super cool», puis en vingt-quatre heures elle a posté des messages bizarres : «Je hais les féministes, elles devraient toutes brûler en enfer», ou encore «Hitler a fait ce qu'il fallait». On a les robots qu'on mérite.


Lu dans:
Laurence Devillers. Des robots et des hommes. Mythes, fantasmes et réalité. Plon. 2017.  Format Kindle. 240 pages. Extrait p.123

Un silence d'étoile


"J’aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
et tu m’entends au loin, et ma voix ne t’atteint pas.
On dirait que tes yeux se sont envolés,
et on dirait qu’un baiser t’a clos la bouche.
Laisse-moi aussi te parler avec ton silence,
clair comme une lampe, simple comme un anneau.
Tu es comme la nuit, silencieuse et constellée,
ton silence est d’étoile, si lointain et si simple."
        P. Neruda

Et si le silence était une forme ultime de communication? Un "silence habité qui témoigne d'un authentique cœur à cœur. Haut dans le ciel printanier, le vol d'un grand oiseau attire mon regard. Vite, les jumelles. Oui, c'est bien elle: une cigogne noire, tout juste rentrée d'Afrique où elle a passé l'hiver. Je la contemple longuement, en la regardant profiter des thermiques qui lui permettent de monter de plus en plus haut dans l'azur. Elle est magnifique. Il y a en moi beaucoup de joie par rapport à sa beauté et par rapport à la synchronicité de notre présence mutuelle. Je ne peux pas lui exprimer ma gratitude avec des mots. Si je me prends à espérer que ce qu'elle a mis en mouvement en moi puisse se répercuter en écho dans le souffle qui la porte,  n'est-ce pas mon ego qui me joue un nouveau tour? Ne puis-je pas tout simplement faire confiance à ce qui nous unit, elle et moi, même si c'est indicible? A ce qui, en nous, est au-delà de l'espace et du temps. Stopper le moulin à paroles de notre mental, se centrer dans notre cœur, entendre le silence vivant, débordant, joyeux qui n'attend que nous, et le partager. Un silence qui ne soit pas rien, mais qui soit plénitude." (C. Boly)


Lu dans:
Pablo NERUDA. Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée.
Cécile Boly. Donner et recevoir, le temps d'une respiration. Entre dette et reconnaissance, quelle place pour la gratitude? Ed. Weyrich. Collection Printemps de l'éthique. 2017. 168 pages. Extrait p.28

25 mai 2017

Une présence dans l'absence

"Elle se déplace comme un fantôme
Elle n'est plus en vie
Elle doit avoir pas loin de soixante-dix ans
Elle est petite et trapue
comme un stéréotype japonais.

Elle s'occupe du couloir de l'hôtel
        vide les cendriers
        fait la poussière      et nettoie les choses
Elle se déplace comme un fantôme
Elle n'a pas d'expression humaine. "
                Richard Brautigan

Soudain il me semble la reconnaître, elle doit être morte maintenant. Elle avait été chambrière toute sa vie dans un hôtel du centre-ville, et refusait que je lui rende sa monnaie à la fin de la consultation, ce geste lui remémorant trop les pourboires qui amélioraient son salaire. "Aujourd'hui, ici, j'existe, et je paie mon dû." C'était sa fierté, et ces deux pièces qu'elle abandonnait sur le bureau signifiait qu'elle avait définitivement quitté le monde des silencieux, des sans-nom, des fantômes croisés sans être regardés. L'Ascension des chrétiens n'est plus guère fêtée, pas plus que n'est encore partagé le récit des pèlerins d'Emmaüs en réponse à tant de souffrances quotidiennes et actuelles. "Il marchait à nos côtés, et nous ne le voyions pas, il nous parlait et nous ne l'entendions pas." Mystère de la "présence dans l'absence" de ceux qui nous quittent, mais aussi des plus modestes entre tous, qui partagent un quotidien anonyme. Un patient musulman, naturalisé de longue date, m'avouait qu'il fêtait tout, l’Aïd el-Kébir, la Noël, le 1er mai, le 11 novembre, le jour de l'an chrétien comme le musulman, car chaque fête possède une signification universelle. Je lui souhaite une belle fête de l'Ascension.  


       
Lu dans:
Richard Brautigan. Il pleut en amour. 1997.  Journal japonais. 2003. Le Castor astral. Collections Points 2003. 400 pages. Extrait p.379

24 mai 2017

La multiplicité de l'être

 "Être soi-même, c'est accepter d'être multiple et que notre noyau soit constitué de cette somme d'identités. La plus grande liberté, celle qui distingue l'être humain de toutes les autres espèces, c'est précisément de pouvoir à tout moment se réinventer en exploitant chaque possibilité qui nous est offerte."
           Jan Kjærstad

La vie humaine, cette longue course à pied entre équilibres et déséquilibres. On songe au merveilleux "tomber sept fois, se relever huit" de Philippe Labro. Chaque chute donne la possibilité d'une aventure neuve, inédite, qui est le propre de l'être humain. De chute en chute, l'enfant apprend à se tenir debout et à marcher, les notes malhabiles au clavier deviennent sonate, l'adolescente gourde devient danseuse, l'ouvrier aux mains calleuses construit des cathédrales. De chaque échec naît un être neuf qui réinvente tous les autres et les contient.


Lu dans:
Jan Kjærstad. Le séducteur.  Éd Monsieur Toussaint Louverture. 2017. 640 pages. 

22 mai 2017

Beau comme un canard

« Certes, les pattes du canard sont courtes, mais les allonger ne lui apporterait rien. »
Tchouang-Tseu

Quand elle entre dans la pièce, c'est un rayon de soleil qui la porte. Elle a la grâce, la gentillesse, l'intelligence discrètes. Sous la toise au moment de l'examen, elle fond en larmes en avouant un mètre cinquante cinq, "À  l'école, j'étais Mimie Mathy ".  Evoquerai-je Tchouang-Tseu? Je ne l'ose de peur d'accentuer sa peine en espérant la dissiper. Demeure néanmoins cette évidence: à tant de qualités réunies, qu'apporteraient dix centimètres supplémentaires?


Lu dans:
Francis Dannemark. Martha ou la plus grande joie. Escales des lettres. Le Castor Astral. 2017. 192 pages. Exergue page 7.  Sortie annoncée le 1.6.2017

21 mai 2017

L'anglais tel qu'on l'aime

"From two to two to two two."
            Traduction: "De 1H58 à 2H02."

"La beauté de l'anglais réside dans sa simplicité", comme cette information horaire de quai de gare (à lire à haute voix pour mieux la savourer) en atteste.
 

20 mai 2017

Et puis tout est fini


"Samedi 25 août 1888    17 h 20
est le nom d'une photo de deux vieilles femmes dans un jardin,
à côté d'une maison blanche.
Une des femmes est assise sur une chaise
avec un chien sur les genoux.
L'autre femme regarde des fleurs.
Peut-être ces femmes sont-elles heureuses
mais ensuite on est samedi 25 août 1888     17 h 21
et tout est fini. "
        Richard Brautigan

Un ami-patient meurt, rassasié d'années, entre sa femme et ses enfants. Arrivé une demi-heure plus tôt, j'espère l'avoir aidé à franchir la frontière dans la sérénité. Mystère du passage: un homme, dont la vie se lit sur le visage et sur les photos des murs de la chambre, un dernier souffle, une attente et puis une à une les photos qui s'éteignent. Plus d'homme. Une dernière étreinte, un dernier baiser à l'enveloppe tant aimée, et dont l'essentiel désormais habite en nous. J'apprends qu'une de ses petites-filles est enceinte d'une semaine. Une photo apparaît au mur. 


Texte original.
Saturday, August 25, 1888.5:20 P.M.
is the name of a photograph of two
old women in a front yard, beside
a white house. One of the women is
sitting in a chair with a dog in her
lap. The other woman is looking at
sorne flowers. Perhaps the women are
happy, but then it is Saturday, August
25, 1888. 5:21 P.M., and aIl over.


Lu dans:
Richard Brautigan. Il pleut en amour. 1997.  Journal japonais. 2003. Le Castor astral. Collections Points 2003. 400 pages. Extrait p. 93

19 mai 2017

Le rêveur

"Aujourd'hui comme hier
où que ce soit dans le monde     et même dans le monde des jeunes
tout ne finit pas nécessairement dans le spectacle et dans le bruit
Qu'on ferme les salons     qu'on éteigne les lustres
La fête continue dans le cœur du petit Mozart ..."
        H. Ghéon. 

C'est beau comme du Prévert, dont le cancre au fond de la classe "dessinait le visage du bonheur". Tout ceci n'appartient-il pas à un monde suranné car être décrit comme un doux rêveur ne pose plus guère son homme. A quand remonte notre dernier moment de solitude silencieuse, déconnecté des réseaux et de la pression du courrier électronique? La fête intime est devenue une fête partagée en permanence, dont la privation même brève insécurise: le silence des sons et des mots écrits effraie. L'oubli de notre smartphone à une réunion nous fait traverser la ville le jour même. "Qu'on ferme les salons     qu'on éteigne les lustres" a pris une signification délicieusement obsolète.


Lu dans:
Frédéric Debuyst. A la recherche de la simplicité. Publications de Saint André. Les Cahiers de Clerlande n° 13. 2015. 141 pages . Extrait p. 17
H. Ghéon. Promenade avec Mozart. p. 29.

18 mai 2017

La gratitude

"Soyons reconnaissants aux personnes qui nous donnent du bonheur ; elles sont les charmants jardiniers par qui nos âmes sont fleuries. »
            Marcel PROUST 



Lu dans:
Rébecca Shankland. Les pouvoirs de la gratitude.  Éditions Odile Jacob. 2016. 169 pages. Extrait p.20

17 mai 2017

Futur incertain

«  Ça ne marchera jamais  !  » En assénant de telles affirmations, avec l’aplomb cynique de ceux qui en ont vu d’autres, de célèbres capitaines d’industrie sont joliment passés à côté de l’histoire. Le producteur Pascal Nègre, longtemps patron français d’Universal Music, avait déclaré lors d’une convention, en 2001  : «  Internet, on s’en fout, ça ne marchera jamais. » Autre visionnaire malheureux, l’ancien PDG de Microsoft, Steve Ballmer, éclata de rire quand un journaliste du quotidien américain USA Today l’interrogea, en 2007, sur l’intérêt que le public portait au premier iPhone d’Apple, qui s’apprêtait à être commercialisé  : «  Il n’y a aucune chance que l’iPhone prenne une part de marché significative, aucune chance », lâcha-t-il, confiant. Neuf ans plus tard, à l’été 2016, il s’en était écoulé plus d’un milliard.
            Stéphane Loignon

Lu dans:
Stéphane Loignon. Big Bang Blockchain: La seconde révolution d'internet. Tallandier. 2017. Édition Kindle.

15 mai 2017

Modeste comme la lune

"Elle est si pure
la lune qui traverse et éclaire le ciel
que même voilée par les nuages
sa lumière nous parvient."
            Kyöshin

Image allégorique de ces infiniment modestes, à peine aperçus dans le monde, grands dans les petites choses, et dont la lumière nous éclaire pourtant d'un reflet durable. 


Lu dans:
Ingrid Astier. Petit éloge de la nuit. Gallimard. 2017

La perfection donne-t-elle accès au bonheur?

"On peut commencer     à être en paix avec soi-même
à partir du moment     où l'on sait que personne ne possède tout
que nous manquons tous de quelque chose
et que fort probablement    
la chose qui nous manque le plus
            c'est la chose que nous voudrions.

Là démarre une existence à peu près équilibrée:
savoir que ce que nous aurions voulu
c'est exactement     ce que nous n'aurons jamais. "
            Michela Marzano; La perfection nous donne-t-elle accès au bonheur?
 
 

       
Lu dans:
Luc FERRY, Sylvain TESSON, Claudia SENIK, Boris CYRULNIK, Michela MARZANO, Leili ANVAR et Karol BEFFA. Sept voix sur le bonheur. Equateurs. 2017. 179 pages.

13 mai 2017

Sagesse postélectorale

"La promesse de la chenille n'engage pas le papillon."
         André Gide

«Le soutien qu’on a pu apporter à un moment donné ne signifie pas qu’on a un droit de tirage éternel». Ce vendredi l’eurodéputée Sylvie Goulard (pressentie comme possible ministre d'Emmanuel Macron), commente la déception de Bayrou de ne pas voir respectés les engagements de campagne. Ils paraissent rabibochés depuis. Qui a dit que la politique est la guerre, mais sans les armes? 

 

12 mai 2017

Les tweets de Marc-Aurèle

"En un mot, toujours considérer les choses humaines comme éphémères et sans valeur : hier, un peu de glaire, demain, momie ou cendre. En conséquence, passer cet infime moment de la durée conformément à la nature, finir avec sérénité, comme une olive qui, parvenue à maturité, tomberait en bénissant la terre qui l’a  portée, et en rendant grâces à l’arbre qui l’a produite."
            Marc-Aurèle

On l'oublierait presque, mais Marc Aurèle le philosophe stoïcien fut aussi empereur, à la tête de l'Empire romain à son apogée. Il accède au pouvoir le 8 mars 161 et règne jusqu'à sa mort qui correspond à la fin de la Pax Romana. Pouvoir et haute réflexion morale peuvent cohabiter. Ses "pensées pour moi-même" ont la forme et la taille des tweets quotidiens et matinaux du président Donald Trump. Seul leur contenu les en distingue. Lira-t-on ces derniers avec le même émerveillement dans deux mille ans?


Lu dans:
cité par Jean-Michel Longneaux. Misère et grandeur de la gratitude. 11ème Printemps de l’éthique : entre dette et reconnaissance, quelle place pour la gratitude? (27 avril 2017).
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Paris, G.F. Flammarion, 1992, livre IV, XLVIII, p. 68-9

10 mai 2017

La soupe au bonheur

Lorsque nous étions réunis à table
Et que la soupière fumait
Maman disait parfois:
"Cessez un instant de boire et de parler."
Nous obéissions
"Regardez-vous", disait-elle doucement
Nous nous regardions sans comprendre amusés
"C'est pour vous faire penser au
Bonheur" ajoutait-elle.
Nous n'avions plus envie de rire.
"Une maison chaude, du pain sur la nappe
Des coudes qui se touchent
Voilà le bonheur" répétait-elle à table. 
Puis le repas reprenait tranquillement,
Nous pensions au bonheur qui sortait
Des plats fumants et qui nous attendait
Dehors au soleil et nous étions heureux.
Papa tournait la tête comme nous,
Pour voir le bonheur jusque dans le fond
Du corridor en riant parce qu'il
Se sentait visé il disait à ma mère:
"Pourquoi est-ce que tu nous y fais penser
A c'bonheur", elle répondait
"Pour qu'il reste avec nous le
Plus longtemps possible".
            Félix Leclerc. Extrait de Pieds nus dans l'aube. 


Cité par :
Michel Kesteman. Je t'écris de nulle part. Edition d'auteur. 2017. Extrait p.30

09 mai 2017

Petit éloge de la nuit

 "Le rêve est l’aquarium de la nuit."
Victor Hugo

"Je regarde en moi cette vie souterraine qui s’agite en silence et projette sa fascination. (..) L’envers du moi s’y fait jour. Le jour ne crée pas cette intimité avec soi-même, cette sensation d’être au plus près de qui l’on est."  (Ingrid Astier)

Longtemps j'ai souri de l'insistance des patients à ne pas oublier leur somnifère lors du renouvellement de leurs prescriptions. Je ne souris plus. Avec les nuits sans sommeil réapparaissent les soucis sans fin que le jour charrie, potentialisés par un insidieux effet de boucle dont se nourrit l'imaginaire d'un avenir pire encore que la réalité. Le sommeil leur permet de se retrouver au plus près d'eux-mêmes, à des âges de l'existence où ils furent heureux, où ils avaient un avenir, où aimer avait un visage. Dormir est le cadeau d'une journée.


Lu dans:
Ingrid Astier. Petit éloge de la nuit. Éditions Gallimard. Coll. Folio. 2017. Extrait : Exergue et pp.17,18

Feeling Good


"Oiseaux tout là-haut      vous sentez comment je me sens
Poissons dans la mer     vous vivez ce que je vis
C'est une aube nouvelle      c'est un nouveau jour
c'est une nouvelle vie qui s'ouvre à moi
et je me sens bien."
        Newley & Bricuse. Feeling Good.

Force des mots lorsqu'ils collent aux images, comme le couple complice Hollande-Macron se retrouvant au bas des Champs-Élysées pour la commémoration du 8 mai. On ne sait lequel des deux savoure le plus l'instant, l'un que cela finisse, l'autre que cela commence. L'extrait de Feeling Good sert d'exergue au nouveau roman de Francis Dannemark, encore sous presse. Magnifique teaser pour nous mettre l'eau à la bouche d'en découvrir la chair... et de commencer la journée. 


  
Birds flying high, you know how I feel.
Fish in the sea, you know how I feel.
It’s a new dawn, it’s a new day,
It’s a new life for me,
And I’m feeling good.
        NEWLEY & BRICUSSE, « Feeling Good »

 
Lu dans:
Francis Dannemark. Martha ou la plus grande joie. Escales des lettres. Le Castor Astral. 2017. 192 pages. Exergue page 7.  Sortie annoncée le 1.6.2017

08 mai 2017

Bonheur du marin

"Qu'y a-t-il de plus beau
que l'étrave d'un bateau
abordant un monde nouveau?"
         Richard Brautigan

 
Lu dans:
Richard Brautigan. Il pleut en amour. 1997.  Journal japonais. 2003. Le Castor astral. Collections Points 2003. 400 pages. Extrait p.37

04 mai 2017

La mer comme une bouteille

"L'enfant se tient immobile
il tient une bouteille     dans ses mains
il y a un bateau     dans la bouteille.
Il regarde sans cligner
        des yeux.
Il demande où le petit bateau
peut naviguer     s'il est retenu
prisonnier  dans une bouteille.
Dans cinquante ans
tu le sauras,     capitaine Martin,
car la mer     (vaste comme elle est)
n'est qu'une autre bouteille. "
        Richard Brautigan. La Bouteille.

L'enfant se tient immobile, ne dit rien, écoute, regarde
soudain il demande        c'est long faire médecine?
je réponds         "très long".         Il ne dit rien.
Je ne saurai jamais pourquoi cette question lui est venue.


Lu dans:
Richard Brautigan. Il pleut en amour. 1997.  Journal japonais. 2003. Le Castor astral. Collections Points 2003. 400 pages. Extrait p. 171

Sagesse de Primo Levi


« A supposer qu’il y ait un sens à vouloir expliquer pourquoi ce fut justement moi, parmi des milliers d’autres êtres équivalents, qui pus résister à l’épreuve, je crois que c’est justement à Lorenzo que je dois d’être encore vivant aujourd’hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m’avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d’être bon, qu’il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n’avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur; quelque chose d’indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant. (…) Lorenzo était un homme : son humanité était pure et intacte, il n’appartenait pas à ce monde de négation. C’est à Lorenzo que je dois de n’avoir pas oublié que moi aussi j’étais un homme. »
                Primo Levi.           

,Jean-Michel Longneaux, évoquant la gratitude lors d'une récente journée consacrée à l'éthique dans les soins, rapproche le double récit des chandeliers volés-donnés à Jean Valjean dans Les Misérables et l'amitié entre Primo Levi et Lorenzo à Auschwitz. 
"Nous avons tous un chandelier à donner. En voici deux exemples particulièrement significatifs. Primo Levi, dans son célèbre ouvrage, Si c’est un homme, témoigne de sa gratitude à l’égard d’un certain Lorenzo. Juifs, ils sont tous deux déportés, en 1943, dans un camp de concentration. Ils sont dépossédés de tout, jusqu’à leur nom. Et pourtant, Lorenzo a encore des chandeliers. Pourquoi Primo Levi a-t-il été touché par Lorenzo, pourquoi ces qualités dont il parle l’ont aidé à vivre ? Primo Levi ne s’est pas conditionné pour accueillir dans cet enfer des camps le peu d’humanité qui y restait. Il n’a pratiqué aucune psychologie positive. Mais Lorenzo a donné ses chandeliers. Primo Levi y a trouvé la force de survivre. Lorenzo est mort dans le camp. Primo Levi lui sera à tout jamais reconnaissant."

Lu dans:
Primo Levi, Si c’est un homme, Paris, Julliard, Pocket, n° 3117, 1987, p. 190
Jean-Michel Longneaux. Misère et grandeur de la gratitude. 11ème Printemps de l’éthique : entre dette et reconnaissance, quelle place pour la gratitude? (27 avril 2017).

03 mai 2017

Le temps des cerisiers


"Ton jouet quotidien     c’est la clarté du monde
L’univers est à toi
toi qui es comme le sont au printemps
            les cerisiers.
        inspiré par P. Neruda

Pour Jeanne, 8 ans hier sur la belle terre d'Afrique où elle est née, quelque chose de joli qui lui va merveilleusement et ajoute un peu de poésie au traditionnel échange téléphonique. On ne sait pas tout dire par What's App :)
 

Lu dans:
Pablo Neruda. Recueil : "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée"

02 mai 2017

Cibler juste

"Au hockey, on enseigne au joueur de ne pas foncer sur le palet, mais là où il se dirige."
Thomas Friedman

La même consigne fait partie du b.a.-ba de la conduite à moto: porter le regard sur le point de la route où on souhaite aller plutôt que sur le véhicule garé sur le côté, on s'y écraserait immanquablement. Bonne occasion de relire Le joueur d'échecs de Stefan Zweig. 


Lu dans:
Thomas Friedman.  Merci d'être en retard. 2017. Trad. Pascale-marie Deschamps. Ed Saint Simon. 400 pages. Extrait p. 40 

01 mai 2017

Rêves de cobalt


"Il y avait de la terre en eux, et ils creusaient des tombes.
Ils creusaient et creusaient des tombes, leur jour s’en allait ainsi, leur nuit.
(..) Ils creusaient des tombes et n’entendaient plus rien
ils ne devenaient pas plus sages, ne trouvaient aucun chant,
n’inventaient aucune langue.
ils creusaient des tombes."
    Paul Celan

C'était une courte séquence de journal télévisé la semaine passée, qui m'a laissé une empreinte tenace.  Au sud du Rwanda, pour quelques dollars par mois, ils sont des dizaines à se casser les ongles à la recherche d'un peu de ce cobalt qui donne de la mémoire à nos smartphones. Ils crèvent l'écran de nos salons, aussi nets que s'ils étaient au jardin. Ils nous voient aussi, le soir sur TV5 Monde, débattre de nos problèmes, contre lesquels ils échangeraient volontiers les leurs. La nuit, il leur arrive de rêver de bateaux et d'un avenir. Quels rêves d'avenir laissons-nous à nos propres enfants?

Lu dans:
Paul CELAN. La Rose de personne. Paris. Points. 2007. 192 pages. Extrait p 188.