12 mars 2017

Sagesse d'hier

" Nul ne sait de quoi hier sera fait."
            Proverbe russe

1913. La première du Sacre du printemps avec Stravinski, Nijinski, Diaghilev et les Ballets russes se passe mal. Un remue-ménage tel que Nijinski en coulisse n'entend pas la musique et  doit compter les temps dans sa tête pour entrer en scène. Stravinski furieux part avant la fin sous les vociférations. Un siècle plus tard le ballet est considéré comme une des œuvres les plus représentatives du XXème siècle. 

Cette même année 1913 vivent à Vienne deux hommes dont l'un était originaire de Linz et l'autre de Géorgie. Ils ne se sont sans doute jamais adressé la parole mais se sont fort vraisemblablement croisés dans un parc de la ville auprès duquel ils habitaient tous deux. Le jeune homme de Linz s'appelait Adolf Hitler. Le Géorgien, qui était un peu plus âgé, prendrait plus tard le nom de Staline. Le jeune Autrichien peignait des aquarelles et venait souvent dans ce parc pour y croquer différents points de vue. Staline, lui, était à Vienne pour étudier la relation du marxisme à l'État-nation. Ni Staline ni Hitler n'avaient conscience d'avoir arpenté le même parc viennois, quotidiennement peut-être, au début de cette année 1913. Il se peut que Staline ait remarqué la présence d'un homme mal habillé qui peignait méthodiquement arbres, fontaines et façades. Hitler, de son côté, avait peut-être levé les yeux vers un petit homme trapu qui se promenait toujours en fumant des cigarettes russes. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, ils vont conclure l'un avec l'autre un pacte que Hitler dénoncera, précipitant le conflit qui opposera leurs peuples. 

On ne sait jamais de quoi hier sera fait, et c'est réconfortant à double titre. Si nos échecs passés n'étaient que l'envers de la réussite? Quant à nos rencontres quotidiennes, si banales, de personnages étranges et différents, la perspective que parmi eux se trouvera demain peut-être un Poutine, un Depardieu ou un Obama laisse rêveur.  Et nous-mêmes, qui serons-nous ? 


Lu dans:
Henning Mankell. Sable mouvant. Seuil 2015. Points 380 pages. Extrait pp. 357, 360, 361

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