13 janvier 2017

Clivages


"Car c'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer."
    Amin Maalouf  

Ce Belge de souche n'aime pas "les singes", qu'il appelle aussi les bronzés ou les basanés. Son voisin préfère le terme "Norvégiens". Ce Français installé à Bruxelles n'apprécie guère les Algériens, mon épicier turc se méfie des Kurdes de Saint Josse, les Flamands se récrient quand on les rapproche des Hollandais émigrés à Anvers. Ce qui les unit est qu'ils redoutent tous de rencontrer un Noir dans l'obscurité. Ils partagent les mêmes misères de corps et d'âme, les mêmes espoirs pour l'avenir de leurs enfants, les mêmes plaies secrètes. Ils possèdent presque tous une carte d'identité belge, bénéficient d'une sécurité sociale et habitent dans un rayon d'un kilomètre autour du cabinet.  Sauf ce couple de Polonais en attente impatiente de naturalisation et qui se lance dans une virulente diatribe "contre ces Albanais à qui tout est accordé ici en Belgique". Ou comment une banale consultation permet de mesurer avec effroi l'émiettement d'une société qui part en capilotade, et qui n'enrobe désormais plus son discours clivant d'aucune précaution oratoire. La peur de l'autre coule à l'air libre.


Lu dans:
Amin Maalouf. Les Identités meurtrières. Grasset. 1998. 216 pages    

1 commentaire:

Tania a dit…

"La peur de l'autre coule à l'air libre." Terrible portrait d'une époque qui passe d'Obama à Trump, sommes-nous entrés dans l'ère des antimodèles ?