31 janvier 2017

Faites de cette ville un espace sûr


"Entourez la ville de haies piquantes. Gardes ! placez nos étoiles sur les maisons dont j'ai l'intention de m'occuper. Vous, chère amie, commencez de dresser nos listes et faites établir nos certificats d'existence !"
                Albert Camus. Caligula

On frissonne devant ces bégaiements de l'Histoire. Dans un projet d'épilogue, Camus nous éclaire sur la portée qu'il attribue à son œuvre: « Non, Caligula n'est pas mort. Il est là, et là. Il est en chacun de vous."


Lu dans:
Albert Camus. Caligula. Gallimard. 1972. 256 pages

29 janvier 2017

Pensée brève

"Puis je courrai comme autrefois je courais
à travers prés, champs et forêts
puis tu t'arrêteras comme un jour tu t'es arrêté
puis on comptera nos pas
à travers le lointain et la proximité
puis on racontera cette vie
devenue rêve à jamais."
    Hannah Arendt

Certes. Certes on puise encore dans la réserve de beaux jours de beaux projets, des levers du jour quêtés avec la même impatience, des regards neufs croisés par surprise. Mais revient avec insistance l'entêtante petite musique de Groult "un seul ennui, les jours raccourcissent". 


Lu dans:
Hannah Arendt. Heureux celui qui n'a pas de patrie. Poèmes de pensée. Rassemblés par Karin Biro. Payot. 240 pages. 2015. Extrait p.186
Flora Groult. Un seul ennui, les jours raccourcissent. Flammarion. 1977. 230 pages.


Texte original: Dann werd' ich laufen, wie ich einstens lief
Durch Gras und Wald und Feld;
Dann wirst Du stehen, wie Du einmal standst,
Der innigste GruB von der Welt.

Dann werden die Schritte gezählt sein
Durch die Ferne und durch die Näh;
Dann wird dieses Leben erzählt sein
Als der Traum von eh und je.


27 janvier 2017

Liberty Enlightening The World


"Amenez-moi vos foules pauvres, épuisées,
Blotties dans l'espoir de respirer libres,
Le misérable rebut qui fourmille sur vos plages.
Envoyez-les moi, ces sans-abri, ces dés jetés par le naufrage,
Je leur tiens ma lampe allumée à la Porte d'Or."
                Emma Lazarus ( poétesse juive américaine - 1849-1887 )

Le texte original, en anglais, est gravé depuis 1903 sur le piédestal de la Statue de la Liberté, cadeau de la France à la jeune Amérique qui fut la première vision des États-Unis pour des millions d'immigrants. Triste évolution d'un beau et grand pays, épris de liberté, dont le président récemment élu exalte les vertus d'une barrière de 3200 km à ériger de la Californie au Texas, mur "impénétrable, costaud, grand, puissant et beau" (Donald Trump), couplée à la mise en place d'une base de données où seraient enregistrés les musulmans et de filtres à l'immigration fondés sur la religion des candidats. Une première contre laquelle s'est élevée avec fermeté Madeleine Albright, ex-secrétaire d’État de Bill Clinton, d'origine juive et prête à être enregistrée comme musulmane par solidarité. 

Lu dans:
http://www.huffingtonpost.fr/2017/01/26/la-reponse-tres-forte-de-lex-ministre-madeleine-albright-au-decret-anti-musulmans-donald-trump/?utm_hp_ref=fr-Donald-Trump (transmis ce matin par une amie lectrice fidèle qui a aussi traduit le poème).
Texte original :  Give me your tired, your poor, / Your huddled masses yearning to breathe free, / The wretched refuse of your teeming shore. / Send these, the homeless, tempest-tossed, to me: / I lift my lamp beside the golden door.

Hôpital Fin de nuit

"Cette nuit-là     une nuit de souffrance rongeuse
je ne pouvais dormir     et la veilleuse bleue
des chambres d'hôpital     chuchotait une clarté triste
Je respirais mal et je savais à chaque aspiration
que jamais plus je n'aurais le bonheur du souffle
Alors     une main    sur une vitre embuée
a effacé ce peu d'humidité qui brouillait la vue
J'ai découvert soudain un ciel très clair
avec juste un léger nuage blanc qui se reflétait
dans la rivière calme comme le cours du temps
quand le temps se suspend pour refléter le ciel.

J'avais encore mal     Pourtant j'ai redormi
seul mais tenant ta main     dans la paix du silence."
        Claude Roy. Chanter dans le noir.

Dans l'extrême souffrance trouver la brèche qui rend soudain la vie à nouveau supportable. Je ne connais pas de joie plus grande. 


       
Lu dans:
Claude Roy. La fleur du temps. 1983-1987. NRF. Gallimard. 1988. 356 pages. Extrait pp.86-87

26 janvier 2017

Ami, amis

« Si vous recevez un petit nombre de parents ou d'amis, vous les ferez asseoir à votre table et vous leur servirez vous-mêmes ce que vous avez de meilleur. Si vous recevez vingt-cinq personnes, auxquelles vous êtes diversement lié, vous leur servirez, je suppose, un buffet froid. Si vous recevez cinquante personnes, auxquelles vous êtes encore plus diversement lié, vous déplacerez l'heure de la réception, vous les inviterez à une garden party et vous leur ferez servir des rafraîchissements. Si vous recevez deux cents personnes, vous leur servirez peut-être encore un repas, mais vous en remettrez le soin à un restaurateur de profession. Pour votre part, vous vous contenterez de saluer personnellement quelques-uns de vos invités, et vous ferez à tout le monde un petit discours d'accueil et de bienvenue ... Le nombre change obligatoirement la forme et le contenu des relations humaines. »
             Jean-Paul Audet

Perd-on en densité ce qu'on gagne en volume? Réécouter Maria Bodin, vieille paysanne coriace de 87 ans expliquant à son benêt de fils Christian qu'elle a plus de mille amis sur Face de Bouc, "on ne les voit pas mais c'est comme les hémorroïdes, on ne les voit pas non plus et pourtant on les a. Et l'avantage avec ces amis-là, c'est qu'ils ne t'ennuient pas. J'ai même comme ami un grand Noir, aux Etats-Unis - comment s'appelle-t-il encore? - on le voit tout le temps à la télévision."   Et son benêt de fils de lui répondre qu'"il préfère un seul ami, mais un vrai." L'ironie n'est jamais qu'une forme popularisée de la philosophie, et j'aime.  


Lu dans:
Frédéric Debuyst. A la recherche de la simplicité. Publications de Saint André. Les Cahiers de Clerlande n° 13. 2015. 141 pages . Extrait p. 91 
Les Bodins. Face de Bouc pour les Nuls. https://www.youtube.com/watch?v=CWW05O05ypA. Vaut la peine d'une découverte.


24 janvier 2017

Du besoin de transgression


"Il est dangereux de se pencher au dehors, dit l'écriteau officiel des temps modernes. Il est nécessaire de le faire."
            Erri de Luca

Des enfants doivent compléter la phrase "Le chat a… pattes et l’oiseau en a…". Consciencieusement, les élèves rajoutent un 4 et un 2 dans les espaces pointillés. Mais l’un d’entre eux répond autre chose. Sur sa feuille le professeur lit : "Le chat a mal aux pattes et l’oiseau en a de la peine"(*). Inventer, c'est penser à côté aurait dit Einstein.


Lu dans:
Erri de Luca. Le plus et le moins. NRF Gallimard. Traduit de l'italien par Danièle Valin. 2013. 197 pages. Extrait p.162
* Rapporté par Luc de Brabandere

23 janvier 2017

Partages

"Je ne suis pas toujours de mon avis. "
    Madame de Sévigné.

L'occasion est belle de décrire le plaisir qu'on prend à échanger avec un ami. On a son avis propre sur une question qui vous tient à cœur, on échange avec conviction les meilleurs arguments et partages d'expérience et on se quitte en constatant qu'on est désormais davantage de son avis que du nôtre. La concision de la marquise de Sévigné à résumer ces choses est exemplaire. 

22 janvier 2017

Isthmes

«Aucun homme n'est une île, un tout, complet en soi, tout homme est le fragment d'un continent»
        John Donne (1572-1631)

"Etre c'est être relié. Quelle que soit sa combativité, ou ses dons exceptionnels, le petit moi qui tente de vivre «seul contre tous» ne pourra jamais réaliser son potentiel d'humanité. Tout au contraire, il ne réussira qu'à s'épuiser. En cherchant à s'affirmer uniquement par lui-même et pour lui-même, il vivra comme l'ombre de lui-même et non en être humain authentique. Nous ne sommes rien sans les autres. Pourquoi? Parce qu'au sortir du ventre de notre mère, nous sommes démunis, nous n'avons pas les moyens physiques pour nous débrouiller tout seul. «Loin d'être bénis des dieux, nous sommes marqués par le manque et l'avoir-moins. [ ... ] L'homme est un néotène, un être mal fait, terriblement incomplet à la naissance» (*). Mais le moins est un plus, la faiblesse naturelle exigeant le développement de la culture, et au cœur de celle-ci de la solidarité et de la fraternité, grâce auxquelles l'être humain originellement nu, ignorant et impuissant devient ce coeur de liens qui le rend capable des plus grands accomplissements."
        Abdennour Bidar


Lu dans :
Abdennour Bidar. Les Tisserands. Ed Les liens qui libèrent. 2017. 192 pages. Extrait pp 49-50
* Jean-François Mattei et Israël Nisand, Où va l'humanité?, Ed. Les Liens qui libèrent, 2013, p. 17.

21 janvier 2017

Soir de victoire


"Ne t’enfle jamais d’orgueil si tu l’emportes sur autrui par la vigueur de ton bras ou par l’amas d’insondables richesses.
Un jour suffit pour abattre comme pour élever toute chose humaine."

C'est en ces termes que la déesse Athéna, selon Sophocle, s’adresse à Ulysse, vainqueur d'Achille au terme d'un combat épuisant.


Lu dans:
Sophocle.  Ajax.  Traduction de Robert Davreu. Actes Sud. 

20 janvier 2017

Forever Young

"Puisse Dieu te bénir et te garder en vie
puissent tes souhaits se réaliser
puisses-tu toujours œuvrer pour les autres
et laisser les autres agir pour toi
construire une échelle jusqu'aux étoiles
et en monter chacun des barreaux
puisses-tu rester jeune à jamais
Puisses-tu grandir et devenir vertueux
puisses-tu grandir et rester tel que tu es
puisses-tu compter sur des bases solides
quand les vents annonceront les changements
puisse ton cœur rester joyeux
et ta chanson toujours chantée
puisses-tu rester jeune à jamais
éternellement jeune, éternellement jeune."
         Bob Dylan. Forever Young.
 

19 janvier 2017

Nul n'est irremplaçable, mais un peu quand même

« Veillons à être chacun le protecteur de notre frère, de notre sœur, et à traiter les autres comme nous voudrions être traités. Ces valeurs ne servent pas seulement à guider sa famille dans la foi chrétienne, mais également les juifs américains, les Américains musulmans, les non-croyants, et les Américains de tous profils et de toutes origines ».
        Vœux de Noël du couple Obama à quelques jours de quitter la Maison Blanche.
  

17 janvier 2017

La multiplication des possibles

"Quand on parcourt un rivage, on demeure les pieds sur terre. Mais la proximité de la mer et du ciel impose à l'esprit des images d'ailleurs. Les perceptions s'élargissent, les possibles se multiplient. C'est comme si le principe de réalité se faisait moins pressant et que, au lieu de toujours se laisser contrôler par le surmoi social, la conscience s'autorisait un peu plus d'audace et de rêverie. Toute transition débute par la conviction que les choses pourraient être différentes. Pour qu'elle ne meure pas dans l'œuf, aucun rappel à l'ordre ne doit intervenir, ni aucune réfutation au nom du réalisme économique. Il faut juste du possible. C'est pourquoi les rivages sont propices, avec leurs mouettes et leurs cailloux. "
        Pascal Chabot

Lu dans:
Pascal Chabot. L'âge des transitions.  PUF. 2015. 191 pages. Extrait p.28

Aliments nomades

"En 2004 le Royaume-Uni a importé 17.2 millions de kilos de gaufres et gaufrettes enrobées de chocolat et en a exporté 17.6 millions de kilos."
         Rob Hopkins

Certes, il y a gaufre et gaufre, ce qui semble justifier qu'un produit alimentaire parcoure en moyenne deux mille kilomètres pour arriver dans notre assiette. SI l'individu moyen mange à peu près dix produits par jour (et la plupart d'entre nous en mangent plus), en l'espace d'une année sa nourriture aura parcouru presque huit millions de kilomètres sur la terre, sur la mer et dans les airs. (*). Bon appétit.
 
Lu dans:
Rob Hopkins. Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale. Ed Ecosociété. 2010. 212 pages
(*) Barbara Kingsolver. Petit miracle et autres essais. Traduit de l'anglais par Valérie Morlot, Rivages poche, août 2010, 352 p., 9.15 euros

15 janvier 2017

Haiku

"Parc du centre ville -
à la radio du SDF
les cours de la bourse."
            Damien Gabriels

Ou comment en quelques mots brefs célébrer l'évanescence des choses. Nos journées sont truffées de ces situations qui s'entrechoquent, drôles ou tragiques selon le regard qu'on leur porte. Le poète en fait son miel. 



14 janvier 2017

Infiniment blanc


"La blancheur de l'oiseau
se perd dans les nuages blancs
un jour de neige."
     Abbas Kiarostami

A nouveau l'émerveillement devant cette page blanche vers l'infini où chacun rêve de s'envoler. La neige est un enchantement.

Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.12

13 janvier 2017

Clivages


"Car c'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer."
    Amin Maalouf  

Ce Belge de souche n'aime pas "les singes", qu'il appelle aussi les bronzés ou les basanés. Son voisin préfère le terme "Norvégiens". Ce Français installé à Bruxelles n'apprécie guère les Algériens, mon épicier turc se méfie des Kurdes de Saint Josse, les Flamands se récrient quand on les rapproche des Hollandais émigrés à Anvers. Ce qui les unit est qu'ils redoutent tous de rencontrer un Noir dans l'obscurité. Ils partagent les mêmes misères de corps et d'âme, les mêmes espoirs pour l'avenir de leurs enfants, les mêmes plaies secrètes. Ils possèdent presque tous une carte d'identité belge, bénéficient d'une sécurité sociale et habitent dans un rayon d'un kilomètre autour du cabinet.  Sauf ce couple de Polonais en attente impatiente de naturalisation et qui se lance dans une virulente diatribe "contre ces Albanais à qui tout est accordé ici en Belgique". Ou comment une banale consultation permet de mesurer avec effroi l'émiettement d'une société qui part en capilotade, et qui n'enrobe désormais plus son discours clivant d'aucune précaution oratoire. La peur de l'autre coule à l'air libre.


Lu dans:
Amin Maalouf. Les Identités meurtrières. Grasset. 1998. 216 pages    

12 janvier 2017

Meryl Streep aux Golden Globe Awards

«L’irrespect amène l’irrespect. La violence incite à la violence. Et quand les puissants se servent de leur rang pour brutaliser les autres, nous sommes tous perdants. »
        Meryl Streep, lors de la réception de son Golden Globe le 9 janvier 2017.

L'actrice aux trois Oscars taxait avec ironie de "meilleure performance artistique de l'année" l’imitation moqueuse faite en réunion publique par Donald Trump d’un journaliste du New York Times atteint d’une maladie articulaire limitant les mouvements de ses bras. Il s'est trouvé des esprits critiques pour déplorer que Meryl Streep sorte ainsi de son rôle, assurément un des plus dignes qu'elle ait assumé au cours de sa prestigieuse carrière.   

10 janvier 2017

Rêves d'aventure

 "Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part."
         Jacques Brel. La Quête.

On a les rêves qu'on peut. Rêver d'une sieste au soleil, de lâcher prise, d'un bon bouquin. Ou comme dans cette pub déjantée de l'agence de voyage Neckermann, "rêver de mâles aventures, de cavalcades dans les steppes arides, de grands espaces vierges à découvrir, chérie je te laisse, je vais commencer par l'exploration du bar de la piscine."

Du bonheur et des voeux


"Beaucoup d'hommes font la même erreur. Imaginer que bonheur veut dire réalisation de tous les vœux."
            Léon Tolstoï.

Un de mes vieux patients a dû lire Tolstoï. Il boite bas, tousse gras, gravit son seul étage avec grand-peine et se gratte à longueur de nuit. Interrogé hier sur ce que pouvais lui souhaiter pour l'an neuf, "que vous m'ameniez à la fin de l'année dans le même état de santé que maintenant me comblerait au-delà de toute espérance." L'horizon est une construction individuelle. 

08 janvier 2017

Vive l'an neuf

new year                nouvel an
fireworks                des feux d'artifice            
in a misty sky.         dans un ciel de brume
            Alison Williams, England

Sobre description de sentiments mêlés en ces premiers jours de 2017. On y va, on verra bien.