28 février 2016

Une flamme qu'on éteint


"Elle entre et va
sans regarder personne
tout droit vers l’homme qu’elle a choisi
et lui dit de la suivre
— tout de suite —
et lui se lève et obéit,
et lui qui était là
n’y est plus.
Pourtant son verre encore est plein
l’haleine de sa bouche
se mêle encore à l’air que nous respirons…"
    Camille Goemans. La mort. Repris par Liliane Wouters.

L'écrivaine Liliane Wouters est morte ce dimanche matin. Le père d'un de mes amis également. Une fraction de seconde me revient le souvenir de mon propre papa, à l'hôpital, savourant son petit-déjeuner et demandant une seconde tasse de café. Elle arriva fumante, il n'y était plus. Nous sommes des instants de la terre.



Lu dans :
Camille Goemans. La mort. Périples, le Disque vert, 1924.
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998

26 février 2016

Billet brun

"Pour les chats, j'étais au courant. Le mois dernier, j'avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait eu la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir. C'est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d'après ce que les scientifiques de l'état national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que des bruns. (..)  Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit. Le speaker a même ajouté: une injure à l'état national"
        Frank Pavloff

Sait on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d'entre nous ? Charlie et son copain vivent à une époque trouble : la montée de l'état brun. On leur demande d'abord de se débarrasser de leurs chiens et chats s'ils ne sont pas bruns. Il se plient. Et l'escalade se construit avec le secours de ces hommes qui pensent que de petites compromissions ne sont pas graves : « Par mesure de précaution, on avait pris l’habitude de rajouter brun ou brune à la fin des phrases ou après les mots. Au début, demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, le langage est fait pour évoluer et il n'est pas plus étrange de donner dans le brun, que de rajouter putain con à tout bout de champ, comme on le fait chez nous. Au moins, on était bien vus et on était tranquilles.» Ainsi, ils cherchent à s'adapter progressivement à l'horreur de cet état brun, la normalité et le regard d'autrui étant plus importants pour eux que l'exercice de leur raison propre. De compromissions en compromissions, la dictature se met en place. Tout cela est heureusement pure fiction, et dans le passé de surcroît. Il est d'ailleurs écrit "roman" sur la couverture, c'est drôlement rassurant. 


Lu dans:
Franck Pavloff. Matin brun. Albin Michel. 1998. Nouvelle édition avec les illustrations du célèbre artiste de Street Art C215, 2015.

25 février 2016

Born again


"On n'a que deux vies.
La deuxième commence le jour où on réalise qu'on n'en a qu'une."


Lu dans:
Renaud DILLIES et Régis HAUTIERE. Alvin. Ed. Dargaud

La détresse des sommets


"Comment vais-je faire maintenant, puisque je ne peux pas aller plus haut ?"
         Benoît Violier

"Benoît donnait l'impression d'être parfait". Son restaurant en Suisse venait d'être sacré Meilleur Restaurant du monde, sa brigade de gagner douze concours en 2015. Benoît Violier, trois étoiles au Michelin, a pourtant mis fin à ses jours, à 44 ans, au sommet de son art. Il y a quelques semaines, juste après avoir appris son classement, le chef s'était seulement interrogé en riant devant Albert Mudry, son ami médecin depuis quatorze ans : " Comment vais-je faire maintenant, puisque je ne peux pas aller plus haut ? ". "Tu vas maintenir ton magnifique niveau". Il avait rétorqué, comme chaque fois, "ça roule, mon Doc ". Refermant derrière son sourire toutes ses interrogations.
 


Lu dans :
Raphaëlle Bacqué. Le chef s'est tué ! Le Monde 14 février 2016.

23 février 2016

Le temps potion magique


"Seul le temps peut faire quelque chose pour vous."
Maxence Fermine

Il n'est pas anodin que le "patient" du médecin soit à la fois "celui qui souffre" (du latin "pati", endurer, souffrir) et celui qui laisse le temps faire son œuvre. La réflexion de Maxence Fermine a le privilège d'être à la fois conseil et encouragement, une porte sur le passé qui engage aussi l'avenir. J'aime y ajouter "mais en attendant, essayons peut-être ceci..." qui a le mérite de prendre demain par la main.



Lu dans:
Maxence Fermine. Zen. Ed. Michel Lafon. 2015. 141 pages. Extraits p 53

22 février 2016

Les frontières de la renommée


"Tiens, on a déjà tiré un livre du film!"
    Umberto Eco, à propos du Nom de la Rose

Umberto Eco est mort ce samedi. Truculent personnage d'une érudition phénoménale, il connut la célébrité grâce à sa première œuvre de fiction "Le Nom de la Rose", roman historique qu'il mit deux ans à rédiger, diffusé à 17 millions d'exemplaires, traduit en 43 langues. Mais tout est relatif: après son adaptation cinématographique réalisée en 1986 par le Français Jean-Jacques Annaud, avec Sean Connery dans le rôle du frère Guillaume de Baskerville, on a raconté qu’une jeune fille s’était exclamée dans une libraire: "Tiens, on a déjà tiré un livre du film!" Les frontières de la notoriété sont plus ténues qu'on l'imagine.


21 février 2016

On ne peut bien sûr rien dire


"Les preuves sont nulles
les signes sont fragiles
on ne peut pas encore affirmer
que le jour naîtra
que l’horizon ouvrira ses lèvres au soleil
on ne peut rien dire."
            André Schmitz. Une Poignée de jours.

On ne peut bien sûr rien dire. Mais à observer ce weekend nos plus jeunes se mesurer à une corde à grimper, s'agripper les uns aux autres pour atteindre un inaccessible plafond, s'enthousiasmer, rire, recommencer sans cesse, les plus âgés stimulant les plus jeunes, on se dit que cette humanité-là n'est pas en chute libre. 


20 février 2016

Ce qui mérite de vivre

"Il y a sur cette terre
ce qui mérite de vivre
les hésitations d'avril
l'odeur du pain à l'aube
les opinions d'une femme sur les hommes
les écrits d'Eschyle
les débuts d'un amour
de l'herbe sur les pierres."
                 Mahmoud Darwich

Je vous souhaite un bon weekend
CV

Lu dans:
Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extrait pp.68-69.

18 février 2016

Poésie de la pensée


"Quand nous nous reverrons
les lilas blancs refleuriront
je t'envelopperai dans mes coussins,
tu ne manqueras plus de rien.
Nous nous réjouirons
que le vin âpre et sec
que les tilleuls qui sentent bon
nous trouvent encore l'un près de l'autre.
Quand les feuilles tomberont
nous nous séparerons
à quoi bon nous agiter
il nous faudra l'endurer."
           Hannah Arendt

Celle qui fut une des grandes philosophes du XXème siècle gardait à l'abri des regards quelques feuillets rédigés de sa main d'une grande poésie. Hantée par la banalité du Mal découverte lors du procès d'Eichmann qu'elle suivit en tant qu'envoyée spéciale du New Yorker, elle n'a cessé d'aligner en même temps des lignes émouvantes sur l’amour, l’identité, la révolte, la perte, ses amitiés. Sur nous.


Lu dans:
Hannah Arendt. Heureux celui qui n'a pas de patrie. Poèmes de pensée. Rassemblés par Karin Biro. Payot. 240 pages. 2015. Extrait p.23

Regarde bien, petit


"Qu'attendons-nous, rassemblés sur l'agora ?
On dit que les Barbares seront là aujourd'hui.
Pourquoi cette léthargie, au Sénat ?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui.
À quoi bon faire des lois à présent ?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront...
(..)
Pourquoi ce trouble, cette subite
inquiétude? - Comme les visages sont graves!
Pourquoi places et rues si vite désertées?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?
Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu'il n'y a plus de Barbares.
Mais alors, qu'allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution."
    Constantin Cavafy. En attendant les Barbares.

Relire Constantin Cavafy (1863-1933) en filigrane d'une actualité décadente est éclairant. Dans le célèbre Désert des Tartares, Dino Buzzati peignait lui aussi cette obsession de scruter la frontière d'où viendrait tout le mal et les Tartares, tuant l'ennui mortel guettant la cité qui vit sans perspective. Toute ressemblance avec une situation réelle et actuelle n'est que le fait du hasard.



Lu dans:
Constantin Cavafy. En attendant les barbares. Traduit du grec par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras
Dino Buzzati. Le Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari). 1940. Traduction française Michel Arnaud. Robert Laffont. 1949.

17 février 2016

L'argent tel qu'on l'aime

"J'ai vu des porte-monnaie qui avaient la forme d'un cœur.
L'inverse peut se trouver aussi."
        M. Havrenne
 
C'est aussi joli que "pour un riche, un arbre est d'abord un porte-feuilles". L'argent est une mine d'or (!?)  pour les rieurs.
 


Lu dans:
Marcel Havrenne. Du pain noir et des roses. Ed Phantomas. 1984. 84 pages. Extrait p.77 

15 février 2016

Master en impuissance


"Il n'existe pas de formation universitaire qui prépare à l'impuissance. J'en ai pourtant fait mon métier, en plongeant quelques années corps et âme dans ce pays inhospitalier qu'est la maladie et la mort qui s'ensuit. Parfois. J'aurais aimé pouvoir ressortir de mes étagères un vieux cours de fac, un livre magique, un grimoire. Quelques aphorismes qui auraient pu faire recette."
            M. Muller-Colard

Il reste assis des heures entières sur le bord de son lit d'hôpital, en manque d'air. Je le connais de toujours, entre Dinky Toys et costumes de cowboys, jadis clown drôle au regard empreint maintenant d'une infinie tristesse. Vivre prend du temps, surtout quand la maladie se fait longue: cela n'avait pas été prévu ainsi. Pour tuer l'ennui, il contemple sa montre et les infirmières qui passent dans le couloir. Quand cela finira-t-il donc? J'ai beaucoup appris des maux humains, mais ne connais toujours pas les mots qui consolent celui qui a perdu l'espoir. 


Lu dans :
Marion Muller Colard. L'Autre Dieu. Ed Labor et Fides. 2014. 112 pages. Extrait page 11.

Diver-cité

"Comme le martelait Frantz Fanon aux Algériens et aux Antillais dans les années 60, quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l'oreille, on parle de vous. (..) Ceux qui sont effrayés par la diversité et l'imprévisible du monde haïssent tout ce qui est différent, ouvert, inhabituel. Ils sont hallucinés par l'effervescence de la vie et sa part d'imprédictible. Tout ce qui n'est ni figé ni fermé les trouble. Un temps c'est le Juif, un autre c'est l'Arabe, puis le Nègre, puis le musulman, après ou avant c'est la femme, ensuite l'homosexuel, puis le binational... "
            Christiane Taubira

Samedi soir. Le beau film "Les délices de Tokyo" est une réflexion sur la césure de la maladie, une parmi d'autres. Le retour en métro à minuit nous plonge aux Nations Unies dans le brassage des cultures. Après la théorie, les exercices pratiques. Apprécier la différence est un long apprentissage.


Lu dans:
Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extrait pp.77,78.
Naomi Kawase. Les Délices de Tokyo (titre original : An). 2015.

13 février 2016

La vie comme elle vient


"J'en suis encore à m'demander     après tant et tant d'années
A quoi ça sert de vivre et tout         à quoi ça sert en bref d'être né
Contre vents et marées     il me reste pourtant
envers et contre tout
chevillé dans le cœur     un rêve de bonheur, 
Un jour nouveau qui se lève chasse mon chagrin
Un geste     un regard     un mot     un ami qui vient
Deux arbres dressés dans le ciel     la lune et la nuit
Deux amoureux dans un champ         font comme leurs parents
Une fille qui revient         d'un voyage très loin."
            Béranger. Tranche de vie. Tous ces mots terribles

Après tant et tant d'années on s'aperçoit qu'il ne sert à rien de se poser la question "A quoi ça sert"?  Mais que la vie se suffit à elle-même, comme la beauté, comme la poésie, comme l'amitié sans qu'on ait à y trouver ni une cause ni un but.  L'amusante contraction de deux textes totalement distincts de François Béranger débouche sur une belle convergence.

12 février 2016

Ravi et trempé

"Et la pluie encore et toujours
tant et tant elle dégringole
toute fière d'un si beau jour
tape sur l'arrosoir comme sur un tambour
- Voilà comme je suis , voilà comme j'arrose
Moi je fais grandement les choses ! "
        Franc-Nohain . L'arrosoir et la pluie.

Je me suis laissé surprendre par l'averse, ravi par son exubérance et sa soudaineté dans une journée qui s'annonçait lisse.


Lu dans :
Alain Baraton. Dictionnaire amoureux des jardins. Plon. 2012. 590 pages. Extrait p.52

11 février 2016

Spleen climatique


"Triste temps."

On fait dire au climat ce qu'on veut. Pour l'avoir entendue de nombreuses fois en ce début de semaine, je me demande si la morosité des gens ne se trouve pas ailleurs que dans un peu de vent marié à la pluie. 

10 février 2016

Sous l'écorce la guerre


«Alors qu’il tient l'orange, il se dit que sous l’écorce, il y a une chose non souillée, et une chose que la guerre n’a pas touchée. Oserai-je l’éplucher ? »
                Léon Werth

Léon Werth, rappelez-vous la dédicace du Petit Prince, sut faire part avec une rare émotion de ce qu’il ressentit pendant la Grande Guerre. Ses écrits viennent d'être retrouvés. 


Lu dans :
Dominique Autrand. Traversée de la défaite. Le Monde diplomatique. Février 2016. Extrait p.26

09 février 2016

Dissonances


« Si on supprime l’ancienne orthographe, plus personne ne saura écrire sans faute, et ceux qui savaient écrire ne sauront plus le faire correctement »
            Jean-Pol Vanden Branden (de la Royale association belge des cruciverbistes)

On s'amuse à relire John Lydon, chanteur parolier des Sex Pistols, qui proférait que "les fausses notes, ça n'existe pas".  Plus de 2.400 mots ont été rectifiés par l’Académie française, simplifiés, supprimant  l’accent circonflexe lorsque celui-ci n’apporte pas de nuance indispensable, le trait d’union des mots composés de entre, extra et contre, et simplifie les casse-tête comme oignon (qui devient ognon) et nénuphar (nénufar). Cela fait aussi mal aux puristes de la langue qu'une dissonance aux musiciens classiques. Ognon, une fausse note?


08 février 2016

Mystérieux pourquoi

« J’étais content de la tournure que prenaient les choses, dit-il. J’avais tout ce que je désirais. J’avais une femme et des gosses que j’aimais, et je faisais un métier qui me plaisait. Mais pour une raison quelconque – qui sait pourquoi nous faisons ce que nous faisons ? – voilà qu’il se mit à boire de plus en plus. »
     Raymond Carvier



Lu dans :
Raymond Carver. Les vitamines du bonheur. Nouvelles. Le livre de Poche. 1976. 222 pages.

06 février 2016

Relire les Anciens

"Le déséquilibre entre les riches et les pauvres et la plus ancienne et la plus fatale maladie des républiques."

Marx? Mavroudakis? Mélenchon?
Plutarque, philosophe, biographe, moraliste, et penseur majeur de la Rome antique. 



05 février 2016

Dieu est un fumeur de havane

"L'amour est une fumée faite de la vapeur des souvenirs."
    William Shakespeare (Roméo et Juliette - 1594) 

Je l'ai retrouvé au fumoir à l'entrée de l'hôpital, petit réduit aux murs jaunis par le goudron et la nicotine. Il me dit qu'il chérit cet endroit  qui lui rappelle le bistrot du canal que fréquentaient ses parents dans son enfance. Il aime les personnes qu'il y rencontre, ce "sont des gens avec qui on peut parler en confiance". La première clope du matin est divine, il n'est plus qu'une bouche avec un petit homme autour. Il sait que ce n'est pas bon, mais c'est bon quand même. 
 


        

04 février 2016

Ces livres qui réchauffent

"Parfois
tu brûles un livre car
il fait froid
et il faut du feu
pour te réchauffer
et parfois
tu lis un livre
pour la même raison."

Motet médiéval tardif extrait du Codex de Montpellier, cité par le poète américain Charles Bernstein dans le livret de Shadowtime (1999-2004), opéra en sept scènes de Brian Ferneyhough sur la vie et l’œuvre de Walter Benjamin
 


03 février 2016

Les étoiles pleurent


"Ce qui manque ne peut être compté."
        L'ecclésiaste

Benoît Violier, qui à 44 ans dirigeait le restaurant triplement étoilé de l'Hôtel de Ville de Crissier en Suisse après avoir été reconnu meilleur ouvrier de France, a recueilli à la mi-décembre la première place de "La Liste", palmarès de mille tables d'exception de par le monde. Personnalité attachante et souriante, mari et père heureux, entouré d'amis chers, il s'est suicidé dimanche 31 janvier avec son arme à feu sans laisser d'explication à son geste désespéré. Il n'est de réussite sans faille cachée.  


01 février 2016

J'habite un trou à rats

 «Vous ne pouvez pas payer beaucoup? Pas grave, à la place vous paierez longtemps."
             Bruno Gacchio

Les agences bancaires se sont humanisées, on est reçus dans de coquets salons séparés par des paravents qui ne coupent que la vue. J'étais venu pour un placement, ma voisine et son gosse pour un conseil. Elle a la trentaine miséreuse, caissière temporaire au Carrefour de la rue Wayez. On lui a dit que "louer c'est à fonds perdus, mieux vaut acheter car ainsi chaque mois on transforme son argent en briques". Le conseiller est bienveillant, demande une fiche de paie, s'enquiert d'un parent désintéressé servant de caution, suggère une somme de départ d'emprunt par exemple 10.000 euros mais ça peut être davantage. Las, les rentrées mensuelles dépassent à peine le salaire minimum garanti, elle n'a pas de famille, elle n'a que 1.000 euros sur son compte et encore c'est un miracle. Cinq minutes chrono pour ouvrir et clôturer un beau rêve financier sans assise pour une cliente ni plus paresseuse, ni plus laide, ni moins intelligente que les autres, mais moins bien née. J'habite une commune modeste, de celles dont un possible futur président des Etats-Unis dit qu'elles sont des "trous à rats". Je préfère ces rats à n'importe qui au monde. 



 
Lu dans:
Bruno Gaccio. Mais non madame Martin c'est pas compliqué l'économie. Ed Les Liens qui libèrent. 2015. 192 pages. Extrait: p.45

La glace à deux boules

"Mon vieux à moi, tous les mois
Va à tout petits pas
Empocher sa pension
Il se ménage au retour
Un détour insolite
Chez le glacier du coin
Quand je serai vieux et tout seul
Demain ou après demain
Je voudrais comme celui-là,
Au moins une fois par mois
Avec mes sous, si j'en ai
M'acheter une glace à deux boules
Et rêver sur leur saveur
A un monde rempli d'enfants
Mais peut-être que pour nous
Nous les vieux de demain
La vie aura changé
En s'y prenant maintenant."
        François Bérenger. Le vieux.

Les notes tendres de la chanson de François Bérenger me reviennent ce vendredi en examinant une patiente nonagénaire, sous administration de biens, déballant ses seules richesses: une carte jaunie de vacances à Saint Idesbald, un vieux certificat médical interdisant de lui mettre du savon dans les yeux quand on lave ses cheveux, la feuille où s'indiquent son poids et ses chiffres de tension artérielle mensuels, un vieux plan de Bruxelles, diverses cartes d'affiliation, un carnet de prières et une relique de Saint Louis Marie de Montfort. Elle me dit avoir eu quatre maisons, qu'elle voudrait revoir, et de la famille en France, mais on ne sait en quelle année ni ce qu'il en reste. Quand on ne dispose plus de rien, ni de personne, une glace à deux boules c'est déjà Byzance.