30 juin 2016

La douceur du feu au crépuscule

"La douceur de la mer un jour de printemps calme
quand les vagues sont sages et parlent presque bas
Le soleil va se coucher tard sans faire son théâtre
et la marée basse réfléchit un moment
La douceur du feu de bois au crépuscule
quand on l'a allumé il y a déjà longtemps
La chambre est réchauffée     le gros bois a brûlé
mais on a bien le temps de remettre des bûches
Dans le quatuor le mouvement lent     Un chant
de bonheur suspendu     Une mélancolie qui sourit
L'archet hésite et ralentit encore parce qu'il sait qu'à la fin
le cœur aurait voulu qu'il n'y ait pas de fin
Ou la fauvette     après l'ondée qui a tout fait reluire
son chant léger     qui dit merci à la très brève pluie
d'avoir rafraîchi l'air sans avoir tout trempé
Et parfois la douceur qui passe une main douce
sur le front de celui qui ne l'attendait pas."
                    Claude Roy . La douceur du temps. Paris, 9 juin 1992

Toutes les saisons de la vie possèdent leur saveur. Je suis sous le charme de la mienne, bien rendu par ce beau texte de Claude Roy.


Lu dans:
Claude Roy. Les rencontres des jours. NRF Gallimard. 1995. p.91,92

29 juin 2016

Epitaphe


"Tout cela est fini         il est vrai
mais tout  en est agrandi  rehaussé   libéré
J’admirais la beauté
    à présent je fais partie de la beauté
    j’erre dans l’air
    gaz et eau pour une grande part     et je flotte sur l’océan
    je vous touche et je touche l’Asie
    au même instant     j’ai ma main sur les aubes
    et les lueurs de ce gazon
J’ai laissé un léger précipité de cendres à la terre
    en gage d’amour."
            Robinson Jeffers
Lu dans :
Robinson Jeffers. Écrit pour une pierre tombale. Anthologie de la poésie américaine, Alain Bosquet, Stock.
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998

28 juin 2016

Ce qu'on emporte

« Un vieil homme était assis à l'entrée d'une ville. Un étranger venu de loin s'approche et lui demande : "]e ne connais pas cette cité. Comment sont les gens qui vivent ici?" Le vieil homme lui répond par une question : "Comment sont les habitants de la ville d'où tu viens?" "Égoïstes et méchants, lui dit l'étranger. C'est pour cette raison que je suis parti." "Tu trouveras les mêmes ici", lui répond le vieillard. Un peu plus tard, un autre étranger s'approche du vieil homme. "Je viens de loin, lui dit-il. Dis-moi, comment sont les gens qui vivent ici ?" Le vieil homme lui répond: "Comment sont les habitants de la ville d'où tu viens ?" "Bons et accueillants, lui dit l'étranger. J'avais de nombreux amis, j'ai eu de la peine à les quitter." Le vieil homme lui sourit: "Tu trouveras les mêmes ici." Un vendeur de chameaux avait suivi les deux scènes de loin. Il s'approche du vieillard: "Comment peux-tu dire à ces deux étrangers deux choses opposées ?" Et le vieillard lui répond : "Parce que chacun porte son univers dans son cœur. Le regard que nous portons sur le monde n'est pas le monde lui-même, mais le monde tel que nous le percevons. Un homme heureux quelque part sera heureux partout. Un homme malheureux quelque part sera malheureux partout.»
            Frédéric Lenoir

 
Lu dans:
Frédéric Lenoir. La puissance de la joie. Fayard. 2015. 217 pages. Extrait p.25.26

27 juin 2016

Araignée, quel drôle de nom (J. Prévert)

"Le frittage, l'espargoute, la coccidie, le livet, la cloyère, le quartidi, le pureau, la bourse-à-pasteur, l'escourgeon ne sont pas choses très communes. Les nommer c'est pourtant nous apprendre leur existence. C'est aussi nous apprendre qu'elles ont des noms pour les nommer. "
                Jean-Michel Espitallier

Existe-t-il des noms rares d'objets courants?  Nommer un objet lui donne-t-il vie et existe-t-il des objets sans nom? Ce matin, j'imagine mon existence sans nom, prénom, surnom ou qualificatif d'aucune sorte. Serais-je à la même place? Pas sûr. L'innommé, à la différence de l'anonyme (qui possède une identité, mais peu ou guère connue) a-t-il encore une existence?

A contrario, se pourrait-il que certains noms aient été inventés avant l'objet qu'ils désignent? Cela s'appelle joliment l'utopie, ce pays, ou ce projet "qui ne sont encore nulle part".  Jean l'évangéliste a eu de belles lignes sur le sujet: "au commencement était la parole / toutes choses ont été faites par elle / et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle / en elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes."  Nommer une chose la crée, soit avant même sa naissance, soit juste après. J'étais un projet avant d'être un embryon, et nommer cet embryon me permit d'exister aux yeux des autres, me sortant du néant indifférencié. Et après ces belles pensées, on va essayer de dormir !

Lu dans:
Jean-Michel Espitallier. Tourner en rond. De l'art d'aborder les ronds-points. PUF. 2016. 128 pages. Extrait p. 28.

25 juin 2016

Nul homme n'est une île

« Nul homme n’est une île, en soi suffisante; tout homme est une partie de continent, une part du tout. Si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, mais pour vous c'est perdre votre manoir. Pareillement, la mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. » (*)
        John Donne (1624)

John Donne, 47,9 %. Le Royaume-Uni quitte l'UE. Il y a peu de temps, un couple de vieux patients est réveillé par des malfrats. La femme s'inquiète: c'est quoi tout ce bruit, et le mari imperturbable répond: c'est rien Loulou, dors, c'est un mauvais rêve. Réaction salutaire qui leur évita la panique et les coups. On aurait aimé s'entendre répondre la même chose ce matin à l'annonce du Brexit. Mais le jour était trop avancé pour échapper aux mauvais rêves. Une heure plus tard, des zélotes du départ reconnaissaient avoir avancé des propositions exagérées: si vous m'avez compris, c'est que je me suis mal exprimé.  Dommage pour les autres.

Lu dans:
John Donne (1572-1631, poète et prédicateur anglais). -  Dévotions sur Emergent Occasions , 1624

(*)  « No man is an Iland, intire of it selfe; every man is a peece of the Continent, a part of the maine; if a Clod bee washed away by the Sea, Europe is the lesse, as well as if a Promontorie were, as well as if a Mannor of thy friends or of thine owne were; any mans death diminishes me, because I am involved in Mankinde; And therefore never send to know for whom the bell tolls; It tolls for thee. »

24 juin 2016

Terre patrie

"Depuis que je suis loin de toi
je suis comme loin de moi
et je pense à toi tout bas
tu es à six heures de moi
je suis à des années de toi
c'est ça être là bas ...
et la différence     c'est ce silence
parfois au fond de moi
qui peut dire l'avenir de nos souvenirs
j'ai le mal de toi
même si je ne le dis pas."
        Lettre à France. Michel Polnareff.

Une des plus belles lettres à la mère patrie jamais écrite. Ils sont 65 millions sur terre à rêver au pays qu'ils ont quitté. Ils sont parmi nous, ils ont emporté leur langue, leur religion, quelques images de sable et de mer, leurs épices et les ingrédients d'une nouvelle existence. Fuyant leur passé, ils nous enrichissent en rêvant d'un avenir avec nous. Le voyons-nous?

23 juin 2016

Quand un drap d'hôpital vous sépare

"Tu m´as dit cette fois, c´est le dernier voyage,
Pour nos cœurs déchirés, c´est le dernier naufrage,
Au printemps, tu verras, je serai de retour,
Le printemps, c´est joli pour se parler d´amour,
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris,
Et déambulerons dans les rues de Paris,
Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus,
Le printemps s´est enfui depuis longtemps déjà,
Craquent les feuilles mortes, brûlent les feux de bois,
A voir Paris si beau dans cette fin d´automne,
Soudain je m´alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne,
Ton image me hante, je te parle tout bas,
Et j´ai le mal d´amour, et j´ai le mal de toi,
        BARBARA

Une longue vie à deux, un projet, et soudain la maladie clivante. Attention, pas une de ces affections courtes et rigolotes pleine de bénéfices induits au prix de quelques petits désagréments passagers, non la vraie, celle qui vous ronge la substance comme un rat, nuit et jour, pour toujours. Celle qui épuise le soigné et ronge le conjoint soignant, qui crée les nuits solitaires et les aubes blafardes. La pire des concubines, qui ne connaît aucun langage raisonnable et possède toujours un dernier tour caché dans son sac quand on croit l'avoir terrassée. Je la déteste, autant j'aime ceux qu'elle visite.

22 juin 2016

21 juin 2016

Le visage de la haine

"Une bouche, des crocs, entourés d'un chien."
            Julien Green

Puissance des mots.


19 juin 2016

Danser avec les elfes

"Un jeune paysan tombe amoureux d'une fille arrivée pieds nus dans son village. Sa grâce et son rire l'ensorcellent. Il doit lui promettre en l'épousant de ne pas chercher à savoir d'où elle vient et de la laisser, une fois l'an, disparaître seule quelques jours. Il respecte son vœu. Ils sont heureux. Des enfants leur naissent, leurs vaches vêlent chaque année, leurs récoltes sont belles. Un jour pourtant, la curiosité vient à le tarauder. Il n'y tient plus: il la suit en catimini dans la forêt. Il la surprend qui danse avec les elfes, ses sœurs. Mais, par ce serment rompu, il la perd: elle se dissout dans un chiffon de brume."
Christiane Singer.
Dans l'étreinte la plus amoureuse, c'est un être libre avec sa part de mystère qu'on tient dans ses bras.

Lu dans :
Christiane Singer. Les âges de la vie. Albin Michel. 1984. 214 pages. Extrait pp 168 169

16 juin 2016

Les rencontres des jours

"La grâce du bonheur, c'est qu'il est souvent sans raison, quand la douleur en a mille."
            Claude Roy.

«Les rencontres des jours ont rafraîchi ma vie.» C'est la réponse que fit le sage Kirman à son disciple qui lui demandait le secret de sa sérénité. Rencontres inattendues dans ce paradis terrestre d'une nature vierge entre la Margueride et l'Aubrac comme le décrit Marie-France en quelques lignes sobres (que tes œuvres sont belles!). Rencontres des multiples lésions humaines dans l'intimité d'un cabinet médical, quand le patient est fatigué de vie et dépose le sac; le quitter apaisé est un cadeau de l'existence. «J'ai contemplé la sagesse divine, poursuit Kirman. Mais j'ai su aussi prendre plaisir à respirer le parfum des violettes de Deïlam, à sourire aux jeunes filles de Chiraz, à me désaltérer aux quatrains des ghazals de Hafiz, à me réjouir d'une idée qui m'est venue en observant la brillance des joyaux de la nuit, à lire avec bonheur un livre plein de lumière. Et chaque soir je rends grâce à Dieu, qui m'a fait don des mille rencontres des jours. »


Lu dans:
Claude Roy. Les rencontres des jours. NRF. Gallimard. 1993. 340 pages. Extrait p.247
Ubayd- I Zakami. 1300-1371. Diwan des hommes remarquables.  Exergue de "La rencontre des jours."


15 juin 2016

Ce que la forêt peut dire

"Tu regardes la forêt
le bruit vivant des arbres
des souches des sentiers
un rien de tiède ou de chaleur oublié dans l'humus.
C'est ainsi qu'il faudrait vivre sous la neige
dans la confiance de l'hiver
la lumière atténuée     la lointaine lumière. 
Tu regardes les yeux des enfants
qui semblent si bien être les yeux de la terre
et tout ce qui rêve dans ces yeux
des villes    des lacs    les grands vitraux de l'avenir
la précieuse force des montagnes
et les ponts à peine sortis de la nuit avec des douceurs de soie
rien de lourd rien de froid
dans des yeux d'ombre."
    Lionel Ray

Faire confiance au jour qui se lève, à l'étape qui vient, à l'escale lointaine, avec nos yeux d'enfants et tout ce qui rêve dans ces yeux. Nous ne sommes pas maîtres de l'étape, de la pluie, du vent, du brigand, mais bien des projets que nous y mettons. 

Lu dans:
Lionel Ray. Le nom perdu. NRF Gallimard. 1987. 128 pages. Extrait p.12.

13 juin 2016

Entre épis et étoiles


"Vers le soir
abandonne-toi
à ton double destin :
habiter le cœur du paysage
et faire signe
aux filantes étoiles."
    François Cheng

Certains soirs le paysan envie son grand-père, le berger. Et rêve d'une vie nomade, d'une année rythmée par les transhumances, du rythme lent d'un pas économe de ses efforts, d'une pensée libre qui s'expanse dans une longue journée jamais pareille à la veille. Il rêve aux filantes étoiles qui relient les êtres qui les contemplent, les époques, les métiers. Puis dans un même geste, il détache un épi de la terre qu'il travaille pour en évaluer la maturité et la sécheresse. On a tous des étoiles dans nos champs et des épis dans nos cieux. 


Lu dans:
François Cheng. A l'orient de tout. Oeuvres poétiques. Préface d'André Velter. Poésie. Gallimard. 2005

Le soleil, comme un berger


"Nous eûmes un remarquable crépuscule. Je marchais dans une prairie près de la source d'un petit ruisseau, quand le soleil enfin, juste avant de se coucher, atteignit une strate claire dans l'horizon, et la nuit la plus douce tomba sur l'herbe sèche, sur les troncs des arbres à l'horizon, tandis que nos ombres s'étendaient sur la prairie comme si nous étions les atomes dans ses rayons. (..) Nous marchions dans une lumière si pure et si brillante, dorant l'herbe et les feuilles blanchies, d'une clarté si douce et si sereine, que je pensais que je ne m'étais jamais baigné dans un flot aussi doré, sans une ride ni un murmure. Le versant ouest de chaque bois et chaque butte de terre chatoyaient comme l'orée de l'Élysée , et le soleil dans nos dos ressemblait à un gentil berger nous ramenant chez nous le soir. "
            Henry Thoreau.


Lu dans:
Henry David Thoreau. Walden. De la marche.  Ed. Mille et une nuits. 2003. 78 pages. Extrait p 66.

11 juin 2016

Icare

"Un pas de moins
et il aurait fait
un pas de plus
il aurait pris une autre voie
et ne se serait pas abîmé
dans le tout
pour devenir néant."
            Pedro Vianna

Une assistante sociale se désole, avec raison, de retrouver la trace d'un patient qui n'a plus donné signe de vie à son travail depuis le début du mois. C'était l'adolescent le plus rieur qu'on puisse imaginer, jeune mari, jeune papa, ouvrier modèle. Depuis quelques années il fait carrière dans l'alcool, d'abord en heures supplémentaires, puis à temps partiel, maintenant à temps-plein. Je vais ce soir, comme d'autres, me mettre à sa recherche au commissariat, aux urgences, à son standcafé, espérant le retrouver mais à quel taux? On ne sait même pas en vouloir à ce genre de patient, ne connaissant rien du chemin d'existence qui a pu le mener si loin, si bas. Qui suis-je pour le juger? Mais on sait où finit ce chemin, et c'est désolant.  

10 juin 2016

La route vers soi


"Cette montagne a son double dans mon cœur
je m'adosse à son ombre
je recueille dans mes mains son silence
afin qu'il gagne en moi et hors de moi,
qu'il s'étende, qu'il apaise et purifie
la frêle clef du sourire."
        Philippe Jaccottet . Le mot joie

L'heure de la transhumance approche. Du plus jeune au plus claudiquant, on porte en soi un lieu de vacances où il fait bon se projeter, jardin d'enfance, paysage où déposer son sac, espace de rêverie où l'esprit s'envole quand le quotidien devient pesant. Même les patients se font moins souffrants, ils viennent renouveler les prescriptions pour deux mois, les yeux pleins d'un soleil espéré, de sable, de sapins, de torrents lumineux, de glaces à deux boules fondantes sur les doigts. On part pour Coxyde, Conques, Almeria, ou Tamanrasset là n'est pas l'important: on part vers soi-même.

08 juin 2016

Une passion anglaise

"Ah le bonheur de ces journées-là... bien des années plus tard, il me hantait encore. Parfois, quand j'écoute de la musique, je retourne là-bas, et j'y retrouve tout intact. Cet été qui n'en finissait pas. Le beau temps, jour après jour, les voix qui s'appelaient à la nuit tombante, à l'heure où les fenêtres s'éclairaient ici et là, trouant l'obscurité. Et le murmure des blés sous le vent de l'aube, et l'odeur chaude des épis prêts pour la moisson. Et ma jeunesse. Si j'étais resté là-bas, y aurais-je vécu heureux ? Non, je ne le pense pas. Tout change, ceux que nous aimions s'en vont, vieillissent, disparaissent, et peu à peu retombe cette ardeur qui nous faisait croire à chaque instant que l'instant d'après serait encore plus beau. C'est maintenant ou jamais ; il faut prendre le bonheur quand il passe."
                J.L. Carr.

Au dire malicieux de J. L Carr, ce court roman est "une histoire d’amour sans importance racontée plus de cinquante ans après". Ce délicieux oxymore ("amour sans importance", aussi contradictoire que l'"obscure clarté tombant des étoiles" de Corneille ) initie une réflexion douce-amère sur le temps qui ne reviendra pas, le bonheur qui est là sans qu'on le sache dans l'écoulement des jours et dans la plénitude des minutes heureuses. C'est aussi un merveilleux hommage d'un écrivain à la campagne anglaise qui l'a vu naître et qu'il retrouve, émerveillé, au terme de sa vie. Nous sommes les gardiens de trésors enfouis qui ne demandent qu'à renaître.

Lu dans :
James Carr. Un mois à la campagne. Traduit de l'anglais par Pierre Girard. Actes sud. 1992. 144 p. Extrait page 105

07 juin 2016

Paroles de beauté

"Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche."
    Jean Ferrat. Ma France.

"Ce pays offre de la beauté à profusion. Une luxuriance de paysages qui varient les charmes d'une arrière-saison à l'autre. Des cours d'eau familiers aux reliefs rocheux. Des plaines aux forêts, des vallons aux collines de Jean Ferrat. La mer, enragée par moments, autour des phares ou contre les jetées, ses reflets d'argent et ses marées d'équinoxe. La montagne encerclant le regard de Victor Segalen le rabat et le contient que la plaine ronde libère. Un firmament où le soleil poudroie, des étendues où l'herbe verdoie. Et en superbe, une architecture qui trace les périodes et marque les lieux, joue avec les ombres et les angles, pointe des aspérités sous les courbes, marie le bois et la pierre, lustre la brique, polit le verre, fait étinceler et danser la céramique. Les peintres en ont témoigné en styles divers et tous pigments. Les photographes les fixent en noir en blanc en demi-teinte et en phosphorescence. Cette beauté rayonne en façade et en intérieur des bâtiments et monuments, y compris les lieux de culte, cathédrales, temples, synagogues, mosquées; elle est dans les sculptures de place publique, les musées, sous les porches, dans les cours et jardins. Elle est sous les voûtes de cloîtres, sur le plancher des bordels, les rainures des rues pavées, les arabesques des balcons, les chambranles des fenêtres, les rosaces, les vitraux, les gargouilles, les nefs de caserne. Elle est à portée de regard si la vie rude laisse le temps de lever les yeux, de faire place à la légèreté ne serait-ce que quelques brèves minutes chaque jour. Elle est là, en prodigalité, à portée d'intuition et de sensibilité. Elle est là, nue ou suggestive, prête à offrir du bonheur à qui se donne la peine de vouloir. Par-dessus tout, elle parade dans ces lieux, théâtres, cinémas, opéras, salles de concert et de jazz, de danse et d'acrobatie, de conversations poétiques, là où les mots et le corps la disent, la clament, la chantent, la partagent. Dans tous les arts. Par toutes les formes. Et d'abord dans la littérature. Elle scintille dans les flaques et sur les filets de pluie luisante qui habillent les trottoirs gris. Il y a urgence à enseigner comment accueillir la beauté, pour qu'elle entre en écho avec cette beauté de l'âme que ceux qui vivent dans ces lieux balafrés croient parfois, à tort, avoir perdue."  Christiane Taubira.

De Jean Ferrat à Christine Taubira, une même passion française. A les lire, on prend le sac et on s'en va sur les chemins de France. On en rêve, certains le font.


Lu dans:
Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extrait pp. 73, 74, 75

Larmes pour mon chien

"On pourrait tenir la dépouille animale pour plus sacrée que la dépouille humaine, puisque l’animal fait si bien corps avec son corps qu’il se confond avec lui. Lorsqu’il meurt, c’est bien uniquement ce corps qui meurt – ce corps qui, sauf pour quelques mammifères évolués, était sa seule manière d’être au monde. De l’homme défunt, nous pleurons l’esprit original, l’idiosyncrasie, la personnalité évanouis dont le corps ne fut qu’une représentation. Mais le corps de l’animal était l’animal même – ce corps était aussi son âme."
        Eric Chevillard

Les larmes de Basile hier, 4 ans, à l'annonce de la mort de son chien sont à la mesure de la perte qu'il ressent, totale, définitive et l'évocation d'un paradis pour chien où son compagnon vivrait désormais ne lui est d'aucune consolation: inventions pour adultes que tout cela. Pour la première fois de sa courte existence il saisit ce que veut dire "être anéanti", passer en une fraction de seconde des jappements joyeux, de la course derrière un lapin, du vautrement dans la prairie chaude après l'averse au rien, à l'inexistant, au silence à jamais. Premiers deuils, plus intenses peut-être encore que ceux ressentis lors de la perte d'un humain car dégagés de l'alibi de l'âme qui survivrait et accompagne ceux qui restent. On apprend vite tout cela à quatre ans. 


Lu dans :
Eric Chevillard. L'Autofictif. http://autofictif.blogspot.be/post n°2530

06 juin 2016

Les murs de Nanterre


"  Il y a une autre fin du monde possible  "
            Sagesse des murs de Nanterre

Les réseaux sociaux ont fait circuler ces mots tracés sur un mur de Nanterre, au cœur d'une nuit qui tenait à rester debout  : "  Il y a une autre fin du monde possible.  " Formule magnifique, profonde, dont la gravité bravache résume bien l'angoisse du moment, afin que ne se confirme pas la vieille prophétie amérindienne :

"Quand le dernier arbre sera abattu
    la dernière rivière empoisonnée
    le dernier poisson capturé
alors vous vous apercevrez
    que l'argent ne se mange pas."


Lu dans:
Jean Birnbaum, commentant Georges Didi-Huberman.  L'appel aux larmes. Le Monde des Livres. Vendredi 3 juin 2016.
Prophétie amérindienne affichée dans un écomusée breton.

04 juin 2016

Ma vie pour une ruche


"Les hasards de notre vie nous ressemblent."
    Elsa Triolet

Un homme est mort, emporté par l'eau alors qu'il portait secours à ses ruches. On invoquera la fatalité, il s'en trouvera peut-être même pour se gausser de perdre sa vie pour des abeilles. Je crois pourtant peu au hasard dans la genèse de ce drame. Tant qu'il se trouvera des humains pour penser que le sort d'une ruche vaut qu'on se mobilise, j'aimerai croiser la route des hommes. 


02 juin 2016

Le désert de l'âme


« ERSEL: être absolument à bout de forces, souffrir, être tourmenté, être fatigué."
            Charles de Foucauld. Dictionnaire touareg

Un dictionnaire peut être autobiographique. Le désert parcouru au péril de sa vie. Rien n'a changé. Personne n'est venu. Ses cheveux tombent. Il n'a presque plus de dents. Il a faim, ayant donné ses derniers sacs de grains à des hors-caste méprisés, noirs ou métis, à l'écart des prestigieuses tribus nobles. À présent qu'il n'a plus rien à donner, les Haratins ne viennent même plus le voir. Il reste absolument seul. Depuis trois mois il n'a reçu aucune lettre de France. Il a obtenu l'autorisation de dire la messe sans servant, à la condition qu'un chrétien y assiste. Il n'en viendra aucun. Le 1er décembre 1916, le père Charles de Foucauld est assassiné à la porte de son ermitage, ayant vécu ses dernières semaines comme un long, long naufrage. 

Tout humain rencontre la nuit, et certains plus que d'autres. Le désert n'a rien à y voir, le désespoir est aussi urbain. A l'un ou l'autre que je connais mieux je confierais bien ces quelques lignes du Père de Foucauld  au creux de la paume, afin qu'ils s'en imprègnent. ERSEL est une perception de la réalité plus que la réalité elle-même, et le temps qui passe replace les échecs et les réussites en perspective. En d'autres temps on écrivait que tout est grâce. 

Lu dans:
François Sureau. Je ne pense plus voyager. NRF Gallimard.. 2016. 154 pages. Extrait P. 78, 79

La vie comme une course

"Le mouton court à perdre la laine."
    Sagesse de potache

La course du mouton devant le loup. Celle du lion derrière la gazelle. Je cours, tu cours, mais le même mot n'a pas la même signification pour tout le monde.

01 juin 2016

Utopia


"L'homme descend du songe."
    Georges Moustaki

et du songe Monet fit les Nymphéas
Ravel le Boléro
un inconnu crée l'internet et le courrier électronique
un autre la Google Car
un enfant naîtra peut-être
et chacun de nous réalisera demain ce qu'il porte en lui depuis des mois

"Au commencement était la parole" écrit Jean. Il n'est de réalisation humaine, de la plus anodine à la plus gigantesque, qui ne débute par une représentation mentale. Le plus beau diamant du monde n'imagine pas le collier qu'il sertira, l'homme le plus modeste vaut plus qu'un diamant.