30 mai 2016

Une grogne lasse

"L'amer monte".
        Sagesse des murs

Le patient est en souffrance, mais quelle est sa maladie? Les matons, les magistrats, les contrôleurs du ciel, les policiers, les profs, les conducteurs de train, de tram, de métro, les chauffeurs de taxi, les riverains du piétonnier, les hôteliers, rejoints outre-Quiévrain par les pilotes d'Air France, les ingénieurs nucléaires, les viticulteurs, les raffineurs, les victimes des inondations, les casseurs, les paysans, les harcelées, les députés frondeurs, cela fait du monde en rue, et en alerte phase trois s'il vous plaît. La solution: référender, si on suit le Premier. Quelle était encore la question? 

29 mai 2016

Anthropomorphisme

"C'est vers la fin de l'automne qu'il se fait dans le ciel de grands semis d'oiseaux."
            Marcel Havrenne

Edith, la classe et l'influence, en d'autres temps. Elle finit sa tartine dans ce qu'on nomme pudiquement une institution psycho-gériatrique. J'aime l'interroger sur ce qu'elle a retenu du journal télévisé de la veille, et m'étonne de la justesse et de l'actualité de ses réponses. On est parfois moins sot qu'on vous l'accorde. Et hier Edith? "Hier deux lions se sont battus pour la maîtrise du territoire et des femelles, des éléphants se sont vautrés dans la boue, un écureuil a caché ses noisettes dans une ruche abandonnée, des singes se sont épouillés et puis disputés, un paon a fait la roue devant un public de Japonais, un chat a joué durant une demi-heure avec une souris avant de la manger." Désarçonné, je comprends avec retard qu'elle me décrit un film animalier visionné sur Discovery, et non les informations télévisées. A moins que, un étrange sourire aux lèvres, elle ne se soit amusée à me berner par le récit de la vraie réalité de notre monde, de ses jeux de pouvoir, de séduction, de petites et grandes turpitudes racontés comme une visite à Pairi Daiza. Elle plisse les yeux, feint de s'endormir, comme pour signifier que tout cela est sans importance. 

Lu dans :
Marcel Havrenne. Du pain noir et des roses. Ed Phantomas. 1984. 84 pages. Extrait p.46


28 mai 2016

Comme aux Marquises


"Sauve qui pleut".
       Sagesse des murs

Ce soir, première pluie d'été, longue, avec des grondements et des lueurs lointaines favorisant la rêverie. Des images surgissent de pluie sous la tente, ou abrité par une bâche en forêt d'Ardenne, sur la plage face à la mer immense en Espagne, pluie indienne faisant de Calcutta Venise en quelques minutes, pluie du Nord comme des pleurs, pluie du Sud comme des rires. Pluie au chaud dans la voiture aux vitres embuées propice aux confidences, pluie d'un gris sans nuance où se perd jusqu'au souvenir du soleil, pluie après le sec prolongé vécue comme une naissance, pluie traversière des Marquises de Brel qui fredonne Gauguin, pluie de Bécaud qui nous enroule par vagues de blé, de bagues et de colliers, pluie douce comme un réveil dans le jardin chinois de Singapour où je m'étais endormi sur l'herbe. 

Une pluie, pleine d'images, qui font que lorsque je te dis "il pleut",  ces deux mots n'ont rien en commun avec ceux que tu entends.


27 mai 2016

Asouf


"Ceux qui ont quitté ce lieu pour changer de campement
Y ont laissé le vide de leur absence et une tristesse brûlante."
        Poésie touareg.

Asouf, la solitude. Le père de Foucauld lui consacre l'une des plus longues notices de son dictionnaire touareg, l'une des plus belles et sur laquelle on peut rêver. Solitude et silence du campement, hier encore bruissant de compagnons, qui poursuivent leur route sans vous. Comme la musique apprivoise les silences entre les notes, mêlant les pauses aux soupirs en gardant le meilleur pour la fin: le point d'orgue, redevenir son propre compagnon et cheminer seul avec son ombre sur la partition de sa vie est un apprentissage. Un jour vient où Akéla dans le Livre de la Jungle quitte ses loups, où Mowgli quitte le clan, où Obama quittera la Maison Blanche. Même un pape, enfin, le fit. Ce qui reste du feu porte un joli nom: les braises.

Je vous souhaite une bonne fin de semaine, émouvante pour deux amis chers qui se reconnaîtront.

Lu dans:
François Sureau. Je ne pense plus voyager. NRF Gallimard. 2016. 154 pages. Extrait p. 76

26 mai 2016

Effluves

Tu vas mourir
    que d’autres te disent ce qu’ils veulent     je ne peux mentir,
    tu ne peux pas y échapper
    doucement je pose ma main droite sur toi     tu la sens à peine 
    je penche la tête tout près et la cache à moitié
    je suis assis tout contre         silencieux,
Le soleil perce en directions imprévues
    de fortes pensées t'emplissent         et la confiance
    tu souris
    tu oublies que tu es malade     comme j'oublie que tu es malade 
    tu ne vois pas les médicaments     tu ne remarques pas les amis qui pleurent
    je suis avec toi. "
            Walt Whitman

Il y a dix minutes à peine, je constatais le décès d'une très ancienne patiente. Elle avait 96 ans, je la connaissais depuis 63 ans, son jardin jouxtant celui de mon enfance. Une fois par an, en famille, ils soutiraient un Porto du Douro dont les vapeurs parfumées nous grisait, et c'était fête. Ne retiendrais-je que cette image, cela valait la peine de vivre. Il y a six semaines, je lui annonçai le décès de son fils unique, juste mon âge, était-ce une bonne idée que de le lui dire? Elle n'eut que quelques mots: laisse-moi seule maintenant, que je pleure à l'aise. Une fois encore, je fus le messager du malheur, rôle que je connais maintenant à merveille. Elle est morte doucement, sans qu'on sache de quoi. Compléter le certificat de décès, et ses causes, m'a renvoyé à toutes les incertitudes d'une pratique déjà longue: on meurt de quoi quand on est en fin de vie, et que rien ne vous rattache plus à rien. Il était minuit, et je garde un souvenir ému de la manière dont le portier de la maison de repos du CPAS d'Anderlecht, et les infirmières de nuit, m'ont accueilli. Tout était illuminé, alors qu'à cette heure habituellement c'est le Bronx, hommage discret rendu à une très vieille pensionnaire qui partait par la grande porte. 


Lu dans:
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998
Walt Whitman. À un qui va bientôt mourir. Les cent plus beaux poèmes du monde, par Alain Bosquet. Le Cherche-Midi. 1979.

25 mai 2016

La fugue du père


"Me voilà dans la forêt d'Ardenne.
Quel fou je fais!
J'étais si tranquille à la maison. "
        Shakespeare. "

"Dans sa cabane, Gabriel a recroquevillé sur le sol son corps courbatu: il peine à s'endormir malgré sa fatigue. Il a froid mais un espoir réchauffe sa poitrine: la route du lendemain."  Un vieil homme fugue, laissant derrière lui la sécurité de la maison de repos où sa famille l'a placé, et trouve refuge dans un abri de chasse en forêt. Qui de nous n'a du Gabriel en lui? 


Lu dans :
Jean-Marie Alfroy. La fugue du père. NRF Gallimard. 1984. 180 pages Extrait page 63
Shakespeare. Comme il vous plaira. acte III scène 4, trad J Anouilh. Exergue.

24 mai 2016

La couleur du jardin


"Les papillons sont les fleurs vivantes de nos jardins."
            
Aujourd'hui, nous croiserons un certain nombre de personnes. Et parmi eux, quelques papillons. 

22 mai 2016

Faire confiance


"En parfaite confiance au non-familier
    proche ici de l'étranger
    là de l'éloigné
je pose mes mains dans les tiennes."
            Hannah Arendt

Lu dans:
Hannah Arendt. Heureux celui qui n'a pas de patrie. Poèmes de pensée. Rassemblés par Karin Biro. Payot. 240 pages. 2015. Extrait p.166

21 mai 2016

 Comme un rayon de miel
sur la neige d'argent
c'est l'aurore dorée à présent qui s'éveille
revoilà le soleil
revoici le beau temps
   Christophe GOARANT
 


20 mai 2016

Sagesse des Denkas


"Au temps où Dieu créa toutes choses
Il créa le soleil.
Et le soleil naît, meurt et revient.
Il créa la lune.
Et la lune naît, meurt et revient.

Il créa les étoiles.
Et les étoiles naissent, meurent et reviennent.
Il créa l’homme.
Et l’homme naît, meurt et ne revient pas."
       
L'être humain, cet instantané dans la vie de l'univers. Il griffe à peine la surface de la terre sur laquelle il pose un pied léger, on dirait une feuille sèche. Et pourtant, la lune et les étoiles ne rêvent pas, ne s'interrogent guère, ne se projettent pas non plus dans le lendemain d'autres enfants qui comme nous rêveront, s'interrogeront, se projetant dans la vision fugace d'autres feuilles sèches dansant sur la mer. Nous sommes la vie sur terre. 



Lu dans :
Chant sacré attribué aux Denkas de la basse vallée du Nil. Le Livre d’or de la Prière. Alfonso M. di Nola. Marabout.
cité dans Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998

19 mai 2016

Survivre n'est pas vivre

"- Monsieur, lui dit Derville, à qui ai-je l'honneur de parler?
- Au colonel Chabert.
-Lequel?
- Celui qui est mort à Eylau, répondit le vieillard ."
        Balzac, Le Colonel Chabert.

Chabert, ou l'histoire d'un "mort" survivant à la charge de cavalerie à Eylau en 1807, enfoui sous une montagne de cadavres. Il passera une vie entière à justifier son existence à son retour, car il n'est pire morts  que ceux qu'on ne s'attend pas à revoir. Livre après livre, sans jamais parler de sa propre expérience d'otage à Beyrouth, Jean-Paul Kauffmann raconte une indicible expérience de solitude et d'abandon. 

Lu dans:
Jean-Paul Kauffmann. Outre-Terre. Equateurs. 2016. 334 pages. Extrait p.7 Exergue


18 mai 2016

Habiter l'absence

"Si je meurs survis-moi par tant de force pure
que soient mis en fureur le froid et le livide
que ton rire et ton pied surtout n'hésitent pas
et comme une maison habite mon absence."
            Pablo Neruda
Lu dans:
Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extraits pp. 81,82.

17 mai 2016


"Chaque endroit imprègne son envers. Et vice versa,"

Lu cette semaine, amusant, idéal au jeu des petites phrases qui ne veulent rien dire, à placer entre la poire et le fromage. 



16 mai 2016

A mi-Transat la réussite


"Un bon marin, c’est quelqu’un qui sait faire autre chose que du bateau."
                Loïck Peyron

Arrivé à mi-course de la Transat 2016 sur le mythique Pen Duick II d'Eric Tabarly avec une instrumentation d'époque, Loïck Peyron se voit contraint de rebrousser chemin vers Quiberon pour bris de matériel. Echec, réussite? Le triple vainqueur de la Transat aura cette fois parcouru la distance prévue sans atteindre son terme, améliorant au passage les temps à mi-course de Tabarly lui-même, et atteint son double objectif: des retrouvailles avec lui-même, l'absence des moyens de communication actuels le confrontant durant deux semaines aux seuls vent et houle, et le rappel des acquis de navigateurs prestigieux grâce auxquels le temps de la traversée Plymouth - New York à la voile a été progressivement réduit de 40 jours (Francis Chichester, 1960) à 8. 

15 mai 2016

Parler en langues

« une langue raison une langue légion une langue dieu dans les langues une langue feu ou à sable une pentecôte et une à litote une langue plaisir et une à gémir une langue beau temps mauvais temps une langue pour tous les temps »
        Philippe Solers (écrit le 29 mai 1977, jour de Pentecôte)



La Bible comme un roman. Entre Babel ou l'éclatement du langage humain et le récit de la pentecôte où chacun - Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, ... - s'entend interpellé dans son propre idiome, une boucle se referme.  On s'émerveille de voir franchie la barrière de la langue, du différent, de l'inconnu. Champollion cassant le mystère de la Pierre de Rosette, Emanuelle Laborit poussant son premier cri en langage des Sourds ainsi que la reconnaissance balbutiante   du langage des dauphins et des grands singes participent de la même quête: (se) comprendre est une joie. En témoigne ce couple de patients, tous deux malentendants, débutant chaque journée par un long face à face destiné à harmoniser leurs prothèses auditives afin de se  comprendre sans difficulté. Et ça marche. On rêve de voir chaque couple débuter sa journée en réglant ses canaux de communication avec autant de patience. Certains diront avec humour qu'il est plus aisé de percer le langage cunéiforme.


Lu dans:
Philippe Sollers. Paradis. Seuil. Collection Tel Quel. 1981. 246 pages. Extrait p.148.


14 mai 2016

Ce peut être long des cigarettes

"Au printemps, tu verras, je serai de retour,
Le printemps, c´est joli pour se parler d´amour,
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris,
Et déambulerons dans les rues de Paris

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus."
     Barbara

Elle est vieille maintenant, et paraît espérer encore. Il l'a quittée sur un "je vais acheter des cigarettes" et elle ne l'a jamais revu. On a dit qu'il avait pris le bateau pour l'Amérique, mais on dit tant de choses. Ce printemps qui éclate soudain lui rappelle qu'elle fut heureuse un jour. La vie est étrange, et les gens. 

13 mai 2016

Merci au fruit

"Tu ramasses le fruit, le croques à belles dents.
Le teint, la senteur, le jus, la saveur,
Dans ton palais de la métamorphose,
Lentement se muent en délice aérien.
Et tu cherches à dire ce que tu ressens:
Plus que la jouissance, la reconnaissance !
Merci donc au sol, merci à la pluie,
Au soleil, au vent, aux morts, aux vivants,
À tous ceux qui donnent, à la Création
Qui du Rien a fait advenir le Tout.
À toi-même aussi, à ta bouche qui goûte,
À ton cœur qui bat, à ta mine béate
À ton cri d'extase! "
        François Cheng

Lu dans :
François Cheng. La vraie gloire est ici. NRF. Gallimard. 2013. 162 pages. Extrait pp. 27,28

12 mai 2016


"Le livre est dans son genre un objet parfait: petit, pas cher, maniable, utile, solide. Il a de beaux jours devant lui. "
                Bruno Racine (Bibliothèque Nationale de France)


Lu dans:
Bruno Racine. interviewé par Michel Guerrin dans Le Monde du 15 avril 2016.

11 mai 2016

Enfin on me croira

"Ce n'est pas parce qu'on est paranoïaque qu'on n'est pas persécuté."
                E. Keret

Mieux, une petite dose de persécution nourrit la névrose en lui offrant une crédibilité.


Lu dans:
7 années de bonheur, Etgar Keret, traduit de l'anglais (Israël) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, Points, 2015, 185 p.
 


10 mai 2016

Chansons douces et moins

« La lucidité ne nous empêchera pas d’être heureux."
                 Eric Orsenna

On croyait tout savoir sur eux et on les découvre. Mireille Dumas amène cinq politiques français de premier plan à se raconter sous des aspects inattendus, jalonnés par les chansons qu'ils ont choisies et aimées. François Bayrou, Rachida Dati, Jean-Pierre Raffarin, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon évoquent l’enfance, l’amour, la politique entre rire et larmes, oscillant entre légèreté et profondeur pour évoquer par petites touches lucides les bonheurs et déchirements de leur engagement politique. Entre paroles et musique, c’est une jolie gamme de sentiments et une partition sans fausse note que nous fait vivre ce film avec des moments de télévision rare. L'aurions-nous oublié, la chanson est politique, telle "Ma France" de Jean Ferrat, aujourd'hui presque hymne national mais interdite d'antenne  durant deux ans en 1968 et 1970. Et on se prend  à aimer la politique, la chanson et la télévision. 


Vu dans:
Mireille Dumas. Politiques : ils connaissent la chanson!  Lundi en Histoires. France 3. 9 mai 2016. 

09 mai 2016

Habiter le présent

"Si tu veux nous dirons la mémoire des hommes
Nous serons deux nous serons tous
Et la mémoire au front de bronze
Du fond des eaux nous sourira.
Si tu veux nous aurons des racines profondes
Pour humblement
Habiter le présent."
        Antoinette Dalcq

Images peu connues de l'état dans lequel le second conflit mondial a laissé l'Europe en 45, diffusées ce soir sur France 2. Jamais l'adage "éclairer le passé pour mieux comprendre l'avenir" ne me parut plus juste. L'Europe d'après-guerre n'était pas euphorique comme le laissent entendre les séquences convenues filmées en mai 45, et secrétait les mêmes exclusions et les mêmes incertitudes que celles qui plombent l'horizon de notre monde actuel, même si celles-ci se sont déplacées.

Lu dans:
Antoinette Dalcq. Estampes et médailles. 1983.
Après Hitler. David Korn-Brzoza et Olivier Wieviorka. France 12. 8 mai 2016.

07 mai 2016

Vies subies


"Dans une petite ville au fond de l'Argentine un homme et une jeune femme attendent un autobus dans un café. Mais celui-ci passe comme une trombe, sans marquer l'arrêt. Quatre jours durant, la même scène se reproduit... (..) L'inquiétude devient sourde, enserrant les esprits dans l'ombre de vies subies..."
            Eugenia Almedia. L'autobus.

Ce jeudi, sur France 2, bref témoignage d'une quinqua, secrétaire de direction sans emploi depuis un an. Le mauvais âge sans doute, un mauvais endroit, au mauvais moment. Une non-vie s'égrène dans la contemplation de l'existence des autres, à guetter le bus en espérant qu'il stoppe. La fiction demeure parfois la meilleure description de la réalité.


Lu dans:
Eugenia Almeida. L'autobus. Traduction de l'espagnol par René Solis. Métailié. 2012. 126 p.

06 mai 2016

Réflexion légère sur la fête de l'Ascension

“Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? ”
    Actes des Apôtres 1,9

S'il ne doit plus y avoir grand monde pour imaginer l'ascension de Jésus de Nazareth dans les nuées, on peut rester sensible à la symbolique du récit. La stupéfaction de voir disparaître en un instant tout ce qui fait un humain: le regard qui cherche notre regard, la chaleur d'une main, la densité d'un passé partagé, la somme de connaissances, de récits, de souvenirs collectés durant une vie. Ainsi que l'attente de l'avenir: "il est une chose que j'aurais encore aimé faire...",  "j'aimerais te dire ceci...", "il faudrait qu'on pense à ..." Parfois l'être aimé s'éteint avant d'avoir pu terminer sa phrase et on reste avec le regret d'une question sans réponse, mais qui donne sens à ces derniers moments partagés. La vie est devant comme le rappelle utilement la question des Actes des Apôtres et cette symbolique d'espoir transcende les religions.

04 mai 2016

Des lunettes au Monde


"Mettre des lunettes au Monde, qu'il me voie comme je suis."

Enseigner, c'est aussi apprendre. Lumineuse présentation hier soir d'une étudiante sur la problématique trans-genre, par laquelle je découvre n'avoir été que peu concerné jusqu'ici. Ou comment être "quelqu'un" lorsqu'on est à la fois "quelqu'un" ET "quelqu'une", Eve ET Adam sans avoir à choisir sans cesse. Par-delà cette sexualisation obligatoire, se profile une vraie question de société: si "être" c'est se sentir reconnu, on aimerait parfois aussi être reconnu pour ce qu'on est, sans avoir à se couler dans les habits de ce que le Monde souhaite qu'on soit, quitter le théâtre pour entrer dans la vie. Il y a là un vrai progrès de civilisation à inventer, que la réflexion trans-genre initie de belle manière et qui lui donne une place essentielle. 


03 mai 2016

Papillon


"Va où va ta joie."
            Delphine Roux

Une petite fille à la poursuite d'un papillon, son frère taquine un chiot et fusent les rires. Tout le bonheur du monde peut tenir en quelques images. Un bonheur enfoui en nous, souvent oublié sous des couches de tourments quotidiens, et qui ne demande qu'à revenir à la surface. Pour retrouver ses sensations d'enfance, le navigateur Loïck Peyron a pris le départ ce lundi de la Transat anglaise sur Pen Duick 2, le bateau de légende d’Eric Tabarly, vainqueur de cette course en 1964. Entouré de concurrents aux embarcations de haute technologie, il fait le pari de naviguer "à l'ancienne", avec une voile réduite, sans électronique, sans fichier météo car "la beauté de la mer, c’est l’élasticité du temps". Cela aussi, c'est de la joie. 


Lu dans:
Les petits sentiers d'Obaasan. Texte de Delphine Roux et illustrations de Pascale Moteki. Picquier jeunesse. 2016.

01 mai 2016


"Nous nous sommes libérés. L’inconvénient, c’est qu’en tant qu’individus autonomes nous sommes amenés à errer dans un labyrinthe d’options."
            M. Crawford

Lu dans:
Matthew B. Crawford. Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet. 2016