14 mars 2016

Votre attention s'il vous plaît


"La dernière découverte du capitalisme: passer d'une économie de l’information (la publicité traditionnelle pour des produits de consommation) à une économie de l’attention captant notre intérêt de manière consciente ou inconsciente le plus longtemps et le plus fréquemment possible pour nous suggérer ces mêmes produits de consommation."
                    Matthew B. Crawford.

Les passagers des bus de Séoul, en Corée du Sud, sont ainsi désormais confrontés au nec plus ultra du marketing : la publicité leur monte littéralement au nez. Chaque fois que les haut-parleurs du bus vantent la chaîne de restauration rapide Dunkin’ Donuts – chaque fois que le véhicule est sur le point de faire une halte près de l’un de ses établissements –, le système de ventilation diffuse une odeur de café de chez Dunkin’ Donuts. Et la voix d’un annonceur renchérit en vous signalant la chose, au cas où l’arôme vous aurait échappé. Ce type de publicité est particulièrement agressif et envahissant, mais on peut aussi considérer qu’il est particulièrement bien ciblé, dans la mesure où il vise les passagers qui commencent leur journée de travail et déclenche leur envie de café par le biais de cette exposition olfactive juste au moment où, comme par hasard apparaît un Dunkin’ Donuts à proximité de l’arrêt de bus. L’agence de créatifs responsable de cette merveille a été récompensée par ses pairs par un Lion de Bronze pour la « meilleure utilisation de la publicité ambiante ».  Un Lion aurait aussi pu être attribué aux terminaux bancaires les plus récents utilisant les quelques secondes de chaque intervalle entre l’introduction de la carte, la confirmation du montant des achats et la saisie du code confidentiel pour faire défiler des publicités à l’écran. La durée même de ces intervalles trahit leur caractère prémédité, utilisant à des fins purement publicitaires l'attention captivée pour effectuer correctement le paiement. Ce type d’intrusion constitue un véritable vol de l'attention que nous n'avons pas choisi et contre lequel nous sommes impuissants. Nous sommes désormais à la merci des exploiteurs de « temps de cerveau disponible ».

Lu dans:
Matthew B. Crawford. Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet. 2016

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