16 mars 2016

Chut !

" On nous propose aujourd’hui de jouir du silence comme d’un produit de luxe."
                    Matthew B. Crawford

"Certaines ressources, comme l’air que nous respirons ou l’eau que nous buvons, sont des biens communs. (..) De mon point de vue, l’absence de bruit est aussi une ressource de ce type. Plus précisément, le fait de ne pas être interpellé est un bien précieux qui nous semble aller de soi. De même que l’air pur nous permet de respirer, le silence, au sens large que je viens de définir, est ce qui nous permet de penser. Nous y renonçons volontiers lorsque nous sommes en compagnie de personnes avec lesquelles nous entretenons une relation, ou bien quand nous sommes d’humeur à échanger avec des inconnus. Mais c’est une tout autre affaire que d’être l’objet d’une interpellation automatisée. 

Les bienfaits du silence sont difficiles à évaluer ; ils ne sont pas mesurables en termes économétriques par des outils tels que le produit intérieur brut. Et pourtant, la quantité de silence disponible contribue certainement à la créativité et à l’innovation. Même si cela n’apparaît pas au niveau des statistiques de la réussite scolaire, par exemple, tout au long de son cursus éducatif un élève ou un étudiant consomme certainement une grande quantité de silence. (..)

On nous propose aujourd’hui de jouir du silence comme d’un produit de luxe. Dans le salon classe affaires de l’aéroport Charles-de-Gaulle, le seul bruit susceptible de vous déranger est le tintement occasionnel d’une petite cuillère contre la porcelaine : pas de télévision, pas de publicité sur les murs. Et c’est avant tout ce silence, plus que les autres dimensions de cet espace d’exclusivité, qui donne à ses usagers une sensation de luxe. Lorsque vous pénétrez dans ce sanctuaire et que les portes automatiques se referment hermétiquement derrière vous avec un chuintement discret, la différence est presque tactile, comme si l’on passait d’un habit de crin à un vêtement de satin. Vous vous sentez moins crispé, les muscles de votre cou se détendent ; au bout de vingt minutes, la fatigue s’est dissipée. Vous êtes délivré. Dans le reste de l’aéroport règne la cacophonie habituelle. Parce que nous avons permis à notre attention d’être transformée en marchandise, il nous faut désormais payer pour la retrouver."



 
Lu dans:
Matthew B. Crawford. Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet. 2016

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