30 septembre 2015

Les épaisseurs du silence


"Tout a commencé avec le bruit d'une mouche. D'habitude, c'est agaçant, et là, non: c'est apaisant. C'est juste la vie. Comme le petit nuage qui passe dans le ciel. Comme les miettes sur la table de la cuisine déserte. En cette après-midi d'été et de vacances, certains font la sieste, les autres sont partis en balade. Et toi, tu es resté là, à bouquiner et à ne rien faire. Tu viens d'entrer dans la cuisine, et tu regardes autour de toi, tu écoutes le silence, ce silence habité: le tic-tac de l'horloge, le ronronnement du vieux frigo. Et la mouche. Le bourdonnement dure quelques secondes, puis disparaît: la bestiole a trouvé la sortie. Dans le sillage de son vol, un peu plus de silence. Et une drôle d'impression. Comment ça s'appelle, cette douceur sans cause précise, ce sentiment que tout est à sa place et que tu n'as plus besoin de rien? C'est ça, la sérénité?"

En quelques mots qui ne racontent rien, une description des intensités du silence et de la paix intérieure.
 

Lu dans :
christophe André. Sérénité, 25 histoires d'équilibre intérieur. Odile Jacob.2012.160 pages. Extrait p.7

29 septembre 2015

Jolis mots


"Uitwaaien" (néerlandais). Ce verbe charmant signifie «marcher dans le vent pour le plaisir» et évoque les ravissants tableaux des paysagistes flamands. On lui opposera "Koyaanisqatsi", joli mot hopi (ancienne communauté d'Amérique du Nord, « le peuple paisible ») pour décrire à la fois "une vie déséquilibrée" ou «une existence si aliénante qu'il faut en changer». Godfrey Reggio en a fait un film homonyme (1982), à la fois hymne à la technologie et représentation de l'enfermement qu'elle est susceptible de provoquer, à l'image de cette ville vue du ciel à différentes échelles se terminant par la photographie d’un microprocesseur. Pareil aux électrons, en mouvement constant, l’individu reste libre, mais dans un monde totalement programmé. Entre "Uitwaaien" et "Koyaanisqatsi", notre vie se déroule. Si le premier reste un idéal à atteindre, le second reflète hélas davantage la réalité quotidienne des motifs de consultation.

Pour les gourmets des mots, Christopher Moore a glané autour du monde un florilège des termes les plus curieux, étonnants, poétiques ... et totalement intraduisibles. Je m'en suis régalé.


Lu dans :
Christopher Moore. Les plus jolis mots du monde. Albin Michel. 2006. 160 pages

28 septembre 2015

Sagesse de l'attente


Il a retrouvé sa rue, quittée précipitamment dix ans plus tôt, la maison de son enfance, la boulangerie, la boutique du cordonnier où il avait déposé la veille de sa fuite une paire de chaussures . Il y pénètre, hume aussitôt l'odeur de jadis mêlant cuir mouillé, colle, sueur. Il sort le coupon jauni avec un chiffre et ses initiales. Miracle, le cordonnier retrouve la paire sans peine et dit: "j'ai eu beaucoup de travail ces temps-ci et n'ai pu les terminer, pouvez-vous repasser demain?" En temps normal, il aurait pesté, ici il sort heureux.
Tout est faux bien sûr dans cette histoire de corps de garde, et tout est vrai dans sa morale: notre tolérance aux contretemps est à l'aune inverse de l'intensité de ce que nous avons vécu précédemment.


26 septembre 2015

Et si je m'en vais


"Et si je m'en vais avant toi
dis-toi bien que je serai là
j'épouserai la pluie, le vent
le soleil et les éléments
pour te caresser tout le temps
l'air sera tiède et léger
comme tu aimes
et si tu nous oublies
il me faudra laisser la pluie
le soleil et les éléments
et je te quitterai vraiment
et je me quitterai aussi
l'air ne sera que du vent
comme l'oubli ."
      Françoise Hardy


Source:
Françoise Hardy. Et si je m'en vais avant toi. Sonopresse. 1972. Peu promotionnée, la chanson ne passe guère sur les ondes. Reprise en 1984 par Etienne Daho, ce qui nous vaut ce beau duo : https://www.youtube.com/watch?v=3Ze5FuYaJz4.      

25 septembre 2015

Le loup et l'agneau


"Le loup et l'agneau dormiront ensemble, mais l'agneau ne dormira pas beaucoup."
        Woody Allen

Entre le messianisme d'Isaië et l'ironie douce-amère de Woody Allen, chacun fera son choix poursuivant l'interrogation d'Alice Ferney sur "l'agneau qui tente de se protéger du loup en bêlant." 


Lu dans:
Librement adapté du verset biblique d'Isaië (11:6) "Le loup habitera avec l'agneau / Et la panthère se couchera avec le chevreau / Le veau, le lionceau, et le bétail qu'on engraisse, seront ensemble / Et un petit enfant les conduira."

24 septembre 2015

Sagesse artisanale


"Le client: Dieu a fait le monde en six jours et vous, vous n'êtes pas foutu de me faire un pantalon en six mois.
Le tailleur: Mais, monsieur, regardez le monde et regardez mon pantalon."
            Samuel Beckett.

Du même ordre, cet artisan cordonnier de mon quartier qui affichait à sa porte un panonceau écrit d'une main malhabile : "Travailler vite ou bien? Moi j'ai choisi", s'épargnant d'entrée toute forme de commande assortie d'impératifs d'urgence. Il est mort, là où il est Dieu sait à quoi s'en tenir. 



Lu dans:
André Glucksmann. Voltaire contre-attaque. Laffont. 2014. 213 pages. Extrait p.17

22 septembre 2015

Une vertu douteuse


"Je ne crois pas que l'agneau se protège du loup en bêlant."
    Alice Ferney

Discute-t-on du bien et du mal avec des brigands? Magnus Wallace, figure emblématique de Gaia, connu pour ses outrances et son sens aigu de l'image, n'y pense même plus quand il endosse le rôle controversé de justicier des mers à la poursuite de ceux qui les pillent et en massacrent la faune. La violence de ses abordages a causé le naufrage de plusieurs embarcations pirates, sans susciter de sa part  l'ombre d'un remords ou d'un regret. Alice Ferney en a fait le thème d'un âpre roman célébrant la beauté du monde marin et la difficile justification d'une dissidence violente qui se rend justice à elle-même  face au cynisme organisé de pêcheurs de contrebande et de pollueurs marins.  


Lu dans:
Alice Ferney. Le règne du vivant. Astes Sud. 2014. 207 pages.

Ce que ces mains désignent


"La colonne s'approche et ce qu'elle désigne en silence,
C'est l'endroit où la vie vaut d'être vécue.
Il y a des mots que nous apprendrons de leur bouche
Des joies que nous trouverons dans leurs yeux.
Regardez-les, ils ne nous prennent rien.
Lorsqu'ils ouvrent les mains, ce n'est pas pour supplier
C'est pour nous offrir le rêve d'Europe que nous avons oublié."
        Laurent Gaudé, Regardez-les

Entre spam et pub, le courrier électronique a ses perles. Ce soir, me revient grâce à lui ce rêve d'Europe qu'on pourrait oublier, et ce beau texte de Laurent Gaudé dont je n'ai conservé que la chute. Toute une vie, l'écrivain n'écrit qu'un seul texte: le sien. En témoigne ces quelques extraits, assemblés avec une certaine liberté, d'ouvrages plus anciens de Gaudé, dont les phrases auraient pu initier son récent poème. 

Il n'était plus personne. Il se sentait heureux. Comme il est doux de n'être rien. Rien d'autre qu'un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l'Eldorado. S'il faut mourir, alors autant vivre un peu... il s’en est fallu de peu que je meure heureux. Chaque génération essaie de construire quelque chose, de consolider ce que l’on possède, ou l’agrandir, prendre soin des siens. Chacun essaie de faire au mieux, il n’y a rien à faire d’autre que d’essayer. 
Rien ne viendra à bout de moi, le soleil peut bien tuer tous les lézards des collines, je tiendrai. Il y a trop longtemps que j’attends, je suis en route et j’irai jusqu’au bout. C’est ici qu’était notre place, dans ce pays qui ne ressemblait à aucun autre et plus rien ne nous faisait peur. Si on n’arrive pas à percer quand on se lève tous comme ça, si on ne passe pas quand on est des milliers à courir en gueulant, je me demande bien jusqu’où on reculera.


Lu dans:
Laurent Gaudé.  Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit. 2015.
Extraits librement assemblés (que l'auteur me pardonne) de Laurent Gaudé: Cris (2001), Le Soleil des Scorta (2004), Eldorado (2006), Danser les ombres (2015)

21 septembre 2015

Sagesse des vendanges


"Au premier verre, l’homme boit le vin, au deuxième, le vin boit le vin, au troisième, le vin boit l’homme. »
             J. Ames.

Le problème avec la gnôle, écrivait Charles Bukowski, l’écrivain de l’ivresse, c’est que s’il se passe un truc moche, on boit pour essayer d’oublier; s’il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s’il ne se passe rien, on boit pour qu’il se passe quelque chose. 


Lu dans :
Jonathan Ames, Dean Haspiel. Alcoolique. Traduit de l’anglais,par Fanny Soubiran, Toussaint Louverture. 2015. 144 pages

18 septembre 2015

Relais de silence


"Ce qui manque à nos grandes villes: des endroits silencieux, spacieux et vastes pour la méditation, pourvus de hautes et longues galeries pour le mauvais temps et le temps trop ensoleillé, où le bruit des voitures et le cri des marchands ne pénétreraient pas, où une subtile convenance interdirait, même au prêtre, la prière à haute voix. Des constructions et des promenades qui exprimeraient, par leur ensemble, ce que la méditation et l'éloignement du monde ont de sublime. "
        Nietzsche, Le Gai Savoir (IV, 280).

On connaît les Relais du silence, à la campagne et hauts de gamme. J'en connais de bien plus modestes dans ma grande et bruyante ville, lieux bénis où on aime se réfugier les jours de bourrasque intérieure. Des lieux inattendus qui nous permettent de retrouver dans le quotidien bruyant la part de silence qu'il y a en nous, laissant toute la place pour la voix de l'autre. 



Lu dans:
Rémy Oudghiri. Déconnectez-vous. Arléa. 2013. 209 pages

Le visage de l'emploi


"J'ai le visage d'une femme de 61 ans. Je suis fière de chaque année et de chaque ride"
    Carly Fiorina

La candidate à l'investiture républicaine aux élections présidentielles américaines Carly Fiorina, répliquant aux commentaires inappropriés du candidat Donald Trump sur son physique ("avec un visage pareil, comment espérer devenir présidente des Etats-Unis?"



17 septembre 2015

Adieu l'artiste


"Ce qu'il y a de bon en vous     c'est vous
j'aurais pu dire encore
que j'aime tant votre corps
c'est faux     ce que j'aime en vous
c'est vous ."
    Guy Béart

Souvenir lointain d'un récital Béart à Louvain, dans le restaurant universitaire transformé pour un soir en salle de spectacle. D'une scène faite de quelques tables assemblées, avec deux gros baffles et un micro on faisait un concert. L'ambiance était bon enfant, entrecoupée d'effets Larsen, sans bousculades, pertes de connaissance ni de cris. La voix étouffée soutenue par quelques accords de guitare, Béart nous berçait de mélodies intemporelles pleines de bons sentiments comme l'étaient nos vies à l'époque. On frappait dans les mains quand on le sentait, fredonnant à mi-voix "qu'on est bien dans les bras d'une personne du sexe opposé" en lorgnant la voisine, bref une soirée pur sucre qui ne faisait de tort à personne. Puis les ruelles se remplissaient comme les terrasses, la bière coulait entre confidences et projets, on raccompagnait l'Eau vive à sa péda en priant que jamais elle ne tarisse. C'était pas mal.


Guy Béart est mort à Garches ce mercredi.

15 septembre 2015

Ces lieux qui nous habitent


"Que deviennent les maisons quand nous les avons quittées? Que deviennent les lieux que nous avons abandonnés ? Où réside leur esprit désormais absenté? Est-ce qu'ils attendent notre retour, comme des animaux domestiques que nous aurions laissés pour les vacances? Qu'est-ce qui reste après notre départ? Y a-t-il quelque chose même qui reste de notre passage, de notre vie passée en ces lieux, de cette longue fréquentation familière ? Et quoi ?"
        Jean-Marc Besse

Si l'endroit quitté reste un moment inhabité, demeure la poussière. Elle a un pouvoir spécifique dans l'expérience que nous faisons du temps dans l'espace habité et possède ce statut paradoxal à la fois de cacher et de révéler les objets qu'elle recouvre, comme habillés d'une épaisseur de temps passé. La poussière est "comme une matière de l'absence". En déplaçant les objets posés contre les murs (caisses, échelle), on en retrouve les traces, espaces nus, dépouillés, pellicule de vie en négatif, révélant l'empreinte sur les murs de tout ce qui est passé par là, les ombres des choses que ces lieux ont abritées. Le temps des lieux que nous avons habités (et qui nous habitent toujours), et que recouvre maintenant la poussière, est le temps de la mémoire, le temps de la survivance. (G. Didi-Hunerman)



Lu dans:
Jean-Marc Besse. Habiter un monde à mon image. Flammarion. 2013. 254 pages. Extrait p.124, 125, 127
Georges Didi-Huberman.  Génie du non-lieu. Air, poussière, empreinte, hantise. Minuit. 2001. 144 pages. Extrait p. 55.

Un faux plus beau que le vrai


« Dis-moi où est planté le clou qui tient ton tableau, je te dirai combien il vaut. »
        Sagesse d'un collectionneur


La provenance prestigieuse d'une œuvre et son pedigree, les galeries d'art où elle fut exposée et mise en vente, le renom de ses acheteurs déterminent davantage sa valeur marchande -  et parfois même son authenticité - que le trait du pinceau qui l'a créée. Il se dit que les galeristes de renom apprécient glisser quelques faux plus vrais que nature dans leurs propositions de vente, certifiés et authentifiés par les plus grands experts ou mieux encore par la famille du peintre, car ces œuvres sont de véritables jackpots financiers. Payer à vil prix à un faussaire une œuvre ce qu'on va revendre sans risque en place publique à des mécènes fortunés constitue un plaisir rare pour un marchand d'art.

La principale qualité du grand faussaire est d'accepter de ne guère laisser de trace. C'est son métier, sa souffrance et sa joie. "Durant toutes ces années, au moment même où je finissais un tableau, il ne m'appartenait déjà plus. Dès qu'il quittait mon atelier, je n'étais plus rien, je disparaissais complètement. Je ne pouvais évidemment jamais le reconnaître ou le revendiquer comme mien, puisque précisément il était censé être de la main d'un autre.  Il existait désormais seul, orphelin en quelque sorte de celui qui l'avait peint, et attribué à un père qui ne lui avait pas réellement donné la vie." Guy Ribes fut un de ces grands faussaires professionnels, un de ceux dont on se dit "qu'on ne peut pas mentir autant, et aussi bien, sans être intéressant". Inconnu jusqu'au jour de son arrestation (en 2005) et de son procès (en 2010), il entame une seconde carrière, confiant "n'être vraiment devenu peintre que le jour de son arrestation."  Son avocat aura cette belle formule "Si Picasso était vivant , il l'aurait embauché."  Une autobiographie qui se lit comme un roman. Un (petit) doute m'a effleuré toutefois, en tournant la dernière page: et si ce faussaire de génie avait inventé toute son histoire, pour en faire un livre passionnant?

Il demeure une belle réflexion sur l'authenticité de la création artistique, et ses limites. Quand Yehudi Menuhin en état de grâce interprète Mozart et Bach, on dit qu'il les illumine de son talent. Quand Guy Ribes se laisse imprégner durant des semaines par l'oeuvre de Matisse, ou de Picasso, partant vivre dans les lieux où ils ont peint pour mieux saisir la luminosité du trait, écumant les boutiques et les brocantes à la recherche de papiers et de pastels d'époque, s'imprégnant de leur écrits pour mieux saisir leur personnalité intime, il reste un faussaire alors qu'aucune de ses créations - c'est sa fierté - ne reproduit à l'intégrale l'oeuvre originale mais les réinterprète avec des différences qu'il relève avec gourmandise, allant jusqu'à suggérer que certains de ses faux étaient plus réussis que l'original...
 

Lu dans :
Guy Ribes. Autoportrait d'un faussaire. Presses de la Cité. 2015  236 pages. Extraits pp. 142, 224 

13 septembre 2015

La belle allure


"Avoir belle allure sur son chemin, n'est-ce pas le propre de chacun? »
        Walter Hesbeen

La santé comme allure de vie, à certains moments resplendissante, à d'autres infiniment plus hésitante. Michel Dupuis s'interroge, et nous invite à prolonger la réflexion face à ces patients proches que nous côtoyons journellement, parfois très jeunes, paralysés, immobilisés, souffrants et douloureux: comment concilier le projet thérapeutique d'une médecine plurielle et le souhait personnel d'un patient singulier. "À cette occasion, se posent de nombreuses questions: prothèse ou pas? Rééducation ou pas? Forçage ou pas? Installation d un dispositif intelligent ou pas? Utilisation d'une coque ou pas ? Toutes ces questions concrètes trouveront une réponse formulée en fonction de nombreux facteurs médicaux, psychologIques, éthiques, etc., mais toujours dans la lumière d'un horizon d'orientation bien résumé par Walter Hesbeen dans une belle formule: comment garder « belle allure sur un chemin particulier» ?

Lu dans :
Michel Dupuis. Philosophie et anthropologie du corps. Ed. Seli Arslan. 2015. 144 pages. Extrait pp. 83-84.
Walter Hesbeen. Penser le soin en réadaptation. Seli Arslan. 2012. 155 pages. Extrait pp. 11, 47.

12 septembre 2015

     
"Donne à chaque journée un goût d’unique, dont l’eau demain ne saura être remise dans la bouteille.»
Proverbe kényan

10 septembre 2015

De la machine à guérir à l'espace soignant

Hospitalier, ère. adj.
- Qui pratique l'hospitalité, accueille volontiers les étrangers, traite avec libéralité ses hôtes, ses invités : Un peuple hospitalier.
- Où l'on trouve facilement l'hospitalité, où l'on est accueilli, traité avec générosité : Demeure hospitalière.
- Littéraire. Qui a un aspect engageant, accueillant, qui semble se prêter à un séjour facile, agréable : Rivage hospitalier.
                    Définition du Larousse.
Comment résister à l'amusant rapprochement de la définition du Larousse et la réflexion que développe Michel Dupuis dans son dernier ouvrage sur l'évolution de l'"espace hospitalier",  c'est-à-dire l'évolution des modèles architecturaux des établissements de soins.

- "À la fin du XVIIIe siècle en France, une vingtaine d'années a suffi pour que les constructions changent de structure et deviennent ce qu'on a appelé très intelligemment des « machines à guérir». L'idée s'est développée en effet d'associer de manière plus cohérente les objectifs et les outils thérapeutiques; de nos jours, pareille association ne surprend plus guère. (..) .Au-delà de ces passionnantes questions historiques, qu'en est-il aujourd'hui? Comment les patients «en corps » sont-ils pris en compte dans les institutions? L'espace hospitalier est-il devenu davantage ... hospitalier ou reste-t-il, uniquement et de plus en plus, fonctionnel? (..) Quel espace spécifique pouvons-nous installer pour accueillir dignement, humainement, éthiquement des personnes confuses, parfois démentes, ou gravement désorientées? Ce thème, assez technique, connaît un beau développement - vieillissement démographique et prévalence des maladies neurodégénératives obligent. Il met en jeu une nouvelle vision de l'architecture pour les humains en laissant imaginer un espace soignant . - "  On aimerait voir se développer chaque jour davantage des établissements hospitaliers répondant à la définition du Larousse. 

Lu dans:
Michel Dupuis. Philosophie et anthropologie du corps. Ed. Seli Arslan. 2015. 144 pages. Extrait p. 81.

Les fanes qu'on brûle


"Les fanes de pommes de terre sont assez sèches pour être brûlées. J'en fais des tas au pied desquels j'allume des torches de papier journal. La flamme s'élève bientôt, le vent la secoue dans un sens et dans l'autre ; quand son bruit de souffle s'apaise, le murmure de la Dordogne toute proche parvient jusqu'à moi, et je me sens environné d'amis. Ils sont rares chez les humains, mais la nature en est peuplée."
        Marcel Conche

Je garde dans les narines l'âcre senteur des herbes brûlées de la mi-septembre. Je devais avoir onze-douze ans, le collège nous libérait suffisamment tôt pour que je puisse enfourcher mon vélo pour une ou deux heures de randonnée solitaire à la campagne proche. Le souvenir heureux de cette solitude et de ces images paisibles après une journée studieuse m'habite encore. Le temps s'écoulait avec lenteur, laissant tout l'espace à l'imagination. 



Lu dans:
Marcel Conche. Epicure en Corrèze. 2014. Stock. 115 pages

09 septembre 2015

De chez moi à chez toi


"Tout lieu peut être ou devenir d'intimité. Un banc, une prairie, le pli d'une colline, le pied d'un arbre, et pourquoi pas le creux d'une épaule. Ce qui fait le lieu et lui donne sa signification, c'est l'échange qui s'y déroule, l'histoire qui s'y raconte. Le chez-soi peut être une autre personne, en laquelle on peut trouver à se loger, et à reposer. (..) L'expression peut paraître étrange ou incongrue : trouver à se loger en une personne qui devient comme mon lieu, mon «chez-moi ». Mais je ne connais pas de meilleure définition de la confiance."
        Jean-Marc Besse

L'inverse est vrai: nos lieux de vie cessent d'être familiers avec la disparition d'un proche. Évoquant le chagrin de saint Augustin à la mort de son ami d'enfance, le géographe américain Yi-Fu Tuan souligne combien, lorsque la bonne personne a disparu, «les choses et les lieux perdent rapidement leur signification, de telle sorte que leur durée devient plus irritante que réconfortante». Le chez-moi n'a pas nécessairement l'apparence d'un lieu physique, au sens banal de ce terme. Il correspond aussi à un état, à un ensemble de moments, à un échange entretenu avec un être singulier. Autant qu'un lieu, le chez-soi que l'on habite est caractérisé par une certaine qualité du temps et des relations qui y trouvent alors leur place.


Lu dans:
Jean-Marc Besse. Habiter un monde  à mon image. Flammarion. 2013. 254 pages. Extraits pp 165-167
Tennessee Williams, La Nuit de l'iguane, acte III, cité dans Yi-Fu Tuan, Espace et lieu. La perspective de l'expérience, Gollion, Infolio, «Archigraphy. Paysages », 2006, p. 126

08 septembre 2015

De la joie

"Je suis heureux et rien n'en est la cause."
Christian Bobin

J'ai relu Jean Giono. Sur le plateau provençal de Grémone Jourdan laboure son champ en pleine nuit. Il sent que quelqu'un va venir et changer sa vie, chasser l'ennui. Et quelqu'un vient : Bobi, acrobate poète qui lui demande du tabac. Bobi va changer la vie des habitants du plateau en réveillant leur appétit de vivre. Désormais Jourdan refuse de faire du "travail triste" , il veut de la joie, parce que les hommes ont besoin de cette joie. Ainsi il décide de planter un champ de narcisses pour égayer le plateau et de prendre un cerf.

"Pourtant, des fois, le soir, seul au bord des routes, assis à côté de mon petit sac, en regardant venir la nuit, regardant s'en aller le petit vent dans la poussière sentant l'herbe, écoutant le bruit des forêts, j'avais parfois presque le temps de voir mon bonheur. C'était comme le saut de la puce : elle est là, elle est partie, mais j'étais heureux et libre." "Il faudrait que la joie soit paisible. Il faudrait que la joie soit une chose habituelle et tout à fait paisible, et tranquille, et non pas batailleuse et passionnée. Car moi je ne dis pas que c'est de la joie quand on rit ou quand on chante, ou même quand le plaisir qu'on a vous dépasse le corps. Je dis qu'on est dans la joie quand tous les gestes habituels sont des gestes de joie, quand c'est une joie de travailler pour sa nourriture. Quand on est dans une nature qu'on apprécie et qu'on aime, quand chaque jour, à tous les moments, à toutes les minutes tout est facile et paisible. Quand tout ce qu'on désire est là."

Une jolie expression ourdoue (Penjab) s'emploie pour exprimer cette joie sereine que décrit admirablement Giono: "Dil baagh baagh ho-gaya", littéralement: «Mon coeur s'est transformé en Jardin ». Que vous souhaiter de plus beau pour cette journée qui commence?


Lu dans:
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset 1935. Le Livre de Poche 493-494. 504 p. Extraits pp. 265, 427.
Christopher Moore. Les plus jolis mots du monde. Albin Michel. 2004 (trad.2006). 160 pages. Extrait p. 31.

07 septembre 2015

Sagesse de mon moulin

"De molen gaat niet om met wind die voorbij is."
"Le moulin n'a que faire du vent passé ».
        Proverbe néerlandais.

Lu dans:
Christopher Moore. Les plus jolis mots du monde. Albin Michel. 2004 (trad.2006). 160 pages. Extrait p. 31.

05 septembre 2015

Minime


« Plus le corps est faible, plus il commande»,
Jean-Jacques Rousseau. L'Emile.



Lu dans :
François Gauchet. Vieillir en philosophe. Odile Jacob. 2015.205 pages.  Extrait p. 125

04 septembre 2015

L'utile et l'aimé


"L'être humain naît pour être aimé, les biens matériels fabriqués pour être utilisés.
Si le monde est à l'envers c'est en partie parce que les biens matériels sont aimés, et les êtres humains utilisés."
        Sagesse des tags

Tag sur un mur d'usine dans le bourg de Le Harcouêt, département de la Manche.


02 septembre 2015

Le voyage étonnant d'un billet de 50 euros


"L'action se situe dans un charmant petit village. Un matin, une dame arrivée par le bus se présente au bar le Café du Commerce qui fait office de réception de l'hôtel du même nom. Elle est de passage, mais n'est pas sûre de pouvoir prendre le dernier bus du soir et réserve une chambre. Elle donne un billet de 50 euros au patron de l'hôtel en guise d'acompte, en s'excusant pour la petite tache qu'il y a sur le billet. Puis elle vaque à ses occupations. Le patron s'apprête à ranger le billet quand un des poivrots du bar l'interpelle : - Jean-Pierre, tu me dois justement 50 euros sur la dernière partie de cartes ! Pour avoir la paix, Jean-Pierre lui refile le billet de 50 euros de la petite dame. En sortant, le poivrot se rappelle qu'il doit encore 50 euros au boulanger pour les galettes des rois du début d'année. Il entre et lui donne le billet. Dans la queue derrière lui, le dentiste du village fait signe au boulanger: - 50 euros, génial! C'est exactement ce que tu me dois pour tes deux dernières visites! Le boulanger lui donne à son tour le billet. Le dentiste, à peine dehors, se rend directement à son QG, le Café du Commerce. Là, il paie avec le billet son ardoise de la semaine, du coup le patron lui offre un verre. À cet instant, un client entre pour réserver une chambre, pas de chance c'est complet! Coup de chance, la petite dame revient et dit, soulagée: - Finalement j'ai fini plus tôt que prévu, je n'ai plus besoin de la chambre. Parfait! Tout s'arrange, le patron lui redonne le même billet taché, billet que la dame reconnaît. Sur quoi elle lui avoue : - Merci c'est sympa, de toute façon il était faux et elle le déchire."

Ou comment faire du vrai avec du faux et au passage faire du bien à tout le monde! Chacun a été payé, toutes les dettes ont été annulées, pourtant le billet était faux mais personne ne le savait. La monnaie n'a d'autre valeur que celle que nous lui accordons, confiants qu'elle sera acceptée en paiement sans difficulté par les autres. Une innocente petite fable économique qui aide comprendre comment fonctionne notre monde. Ou comment un petit opuscule lu en vacances pendant la crise grecque parvient à nous dérider.

Ce texte étonnant appelle bien des commentaires (merci Manu pour ta communication du texte de Jacques Attali):

-1. Quel est le tour de passe-passe? Comment est-il possible de faire disparaitre l'ensemble des dettes de tout un village sans que personne ne dépense un sou (sauf peut-être l'hôtelier, qui a perdu la disposition de sa chambre pendant le temps, même court, pendant lequel le client l'avait louée)? Tout simplement parce que, chaque villageois a une dette à l'égard d'un autre; de façon circulaire. Il suffit donc, pour l'annuler pour tous, de l'annuler pour chacun.

-2. La situation globale de l'économie réelle ressemble à la situation de ce village, car chacun, dans le monde, est à la fois créancier de l'un (au moins sa banque) et débiteur d'un autre (au moins une banque), et même de plusieurs autres. Et le total des dettes, par définition, est égal à celui des créances.

-3. Cette histoire donne une belle leçon d'économie: personne, dans les institutions financières au moins, ne pense à rembourser sa dette; au contraire, beaucoup s'emploient, avec l'argent nouveau qu'ils peuvent recevoir, à en créer de nouvelles, pour eux-mêmes et pour d’autres.

-4. Si l'argent que distribue en ce moment de façon presque illimitée, dans chaque pays, la Banque Centrale (ici, le touriste) servait à rembourser les dettes de tous , et d'abord celles de l'Etat (ici, l'hôtelier), plutôt qu'à en accumuler de nouvelles, en le dépensant, la crise pourrait etre résolue beaucoup plus vite et plus sainement qu'aujourd'hui, où le recul de la crise s'annonce comme la préparation d'une autre, bien plus terrible, par accumulation de dettes insurmontables.

-5. Peut être faudrait-il enseigner ainsi l'économie. Sans doute comprendrait-on mieux quelques idées simples. Et d'abord, que la priorité d'une économie saine, c'est d'utiliser l'emprunt pour investir, et pas pour consommer. Mais de cela, le système financier ne veut pas entendre parler. Même aujourd'hui, alors que la crise est encore intense, il n'a qu'une seule préoccupation: retourner au plus vite à son métier principal, endetter les autres, pour faire le maximum de profits.


Lu dans:
Christophe Alévêque et Vincent Glenn. On a marché sur le dette. Ed de la Martinière. 2015 . 180 pages. Extrait p.53 

Sagesse amérindienne

"Quand le dernier arbre sera abattu
    la dernière rivière empoisonnée
    le dernier poisson capturé
alors vous vous apercevrez
    que l'argent ne se mange pas."
        Prophétie amérindienne

Lu sur une vieille cabane bretonne dans un jardin aussi original que son propriétaire. A la fin de la visite, sur une table, du pain et de la confiture s'offrent au visiteur. Insolite mais charmant.