15 septembre 2015

Un faux plus beau que le vrai


« Dis-moi où est planté le clou qui tient ton tableau, je te dirai combien il vaut. »
        Sagesse d'un collectionneur


La provenance prestigieuse d'une œuvre et son pedigree, les galeries d'art où elle fut exposée et mise en vente, le renom de ses acheteurs déterminent davantage sa valeur marchande -  et parfois même son authenticité - que le trait du pinceau qui l'a créée. Il se dit que les galeristes de renom apprécient glisser quelques faux plus vrais que nature dans leurs propositions de vente, certifiés et authentifiés par les plus grands experts ou mieux encore par la famille du peintre, car ces œuvres sont de véritables jackpots financiers. Payer à vil prix à un faussaire une œuvre ce qu'on va revendre sans risque en place publique à des mécènes fortunés constitue un plaisir rare pour un marchand d'art.

La principale qualité du grand faussaire est d'accepter de ne guère laisser de trace. C'est son métier, sa souffrance et sa joie. "Durant toutes ces années, au moment même où je finissais un tableau, il ne m'appartenait déjà plus. Dès qu'il quittait mon atelier, je n'étais plus rien, je disparaissais complètement. Je ne pouvais évidemment jamais le reconnaître ou le revendiquer comme mien, puisque précisément il était censé être de la main d'un autre.  Il existait désormais seul, orphelin en quelque sorte de celui qui l'avait peint, et attribué à un père qui ne lui avait pas réellement donné la vie." Guy Ribes fut un de ces grands faussaires professionnels, un de ceux dont on se dit "qu'on ne peut pas mentir autant, et aussi bien, sans être intéressant". Inconnu jusqu'au jour de son arrestation (en 2005) et de son procès (en 2010), il entame une seconde carrière, confiant "n'être vraiment devenu peintre que le jour de son arrestation."  Son avocat aura cette belle formule "Si Picasso était vivant , il l'aurait embauché."  Une autobiographie qui se lit comme un roman. Un (petit) doute m'a effleuré toutefois, en tournant la dernière page: et si ce faussaire de génie avait inventé toute son histoire, pour en faire un livre passionnant?

Il demeure une belle réflexion sur l'authenticité de la création artistique, et ses limites. Quand Yehudi Menuhin en état de grâce interprète Mozart et Bach, on dit qu'il les illumine de son talent. Quand Guy Ribes se laisse imprégner durant des semaines par l'oeuvre de Matisse, ou de Picasso, partant vivre dans les lieux où ils ont peint pour mieux saisir la luminosité du trait, écumant les boutiques et les brocantes à la recherche de papiers et de pastels d'époque, s'imprégnant de leur écrits pour mieux saisir leur personnalité intime, il reste un faussaire alors qu'aucune de ses créations - c'est sa fierté - ne reproduit à l'intégrale l'oeuvre originale mais les réinterprète avec des différences qu'il relève avec gourmandise, allant jusqu'à suggérer que certains de ses faux étaient plus réussis que l'original...
 

Lu dans :
Guy Ribes. Autoportrait d'un faussaire. Presses de la Cité. 2015  236 pages. Extraits pp. 142, 224 

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