07 juin 2015

La mémoire des mets

 "Un bon plat, c'est donner de la mémoire à l'éphémère."
            Thierry Marx

"Les rôtis étaient lourds et juteux et, au premier coup de couteau, ils s'écrasèrent. La sauce était comme du bronze, avec des reflets dorés et, chaque fois qu'on la remuait à la cuiller, on faisait émerger des lardons, ou la boue verdâtre du farci, ou des plaques de jeune lard encore rose. La chair du chevreau se déchira et elle se montra laiteuse en dedans, fumante avec ses jus clairs. Sa carapace croustillait et elle était d'abord sèche sous la dent, mais, comme on enfonçait le morceau dans la bouche, toute la chair tendre fondait et une huile animale, salée et crémeuse en ruisselait qu'on ne pouvait pas avaler d'un seul coup, tant elle donnait de joie, et elle suintait un peu au coin des lèvres.
- Buvez», dit Jacquou.
Et cette fois on but, car tout semblait accordé: l'odeur de cette nourriture de feu, la viande noire du lièvre et le vin noir qui attendait avec ses luisances de poix. Le vin noir de Jacquou était un commandement terrible. Il n'attendait même pas. Il prenait l'ordre de tout, tout de suite. Il y avait l'odeur de la solognette. C'est une odeur très spéciale et seulement supportable quand elle est en touffe, au milieu d'un ciel sans borne, bien venté sur le sommet des montagnes. C'est l'herbe au sang, c'est l'herbe au feu, c'est l'herbe aux amours de grands muscles."
            Jean Giono. Que ma joie demeure.
 


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