26 mai 2015

Souvenir de Françoise Giroud

"Le cataclysme de ces derniers jours a complètement bouleversé la physionomie du Chili. De nouvelles montagnes, trois volcans, des rivières ont fait leur apparition. Des lacs ont disparu. Des vallées ont été comblées tandis que d'autres se formaient. Des îles ont sombré dans la mer, d'autres ont émergé."
            Dépêche A.F.P. du 27 mai 1960


Le 11 mai 1960, Françoise Giroud détruite par une rupture imposée et la perte de son poste de directrice du magazine L'Express se suicide aux barbituriques. Tentative ratée qui la meurtrira au-delà de tout, et lui laissera un ressentiment tenace pour ceux qui l'ont repêchée in extremis "par l'extrême pointe des cheveux" en défonçant une paroi de son appartement. Ne trouvant d’autre échappatoire que l'écriture, elle rédige un long manuscrit - non destiné à publication - dont la première page s'ouvre sur une dépêche de l'AFP signalant un tsunami au Chili. Tout est écrit dès l'exergue, avec une économie de mots stupéfiante, le malheur comme la renaissance, cette modeste quête de "quelques pépites de bonheur" pour survivre dans un paysage totalement renouvelé par le désastre. 

Je referme songeur, au jour anniversaire précis du tsunami chilien, cette "Histoire d'une femme libre" éditée plus de 50 ans après sa rédaction. S'entrechoquent dans mon cerveau le drame personnel d'une légende de la condition féminine et d'autres destins plus anonymes et actuels, que rassemble étrangement la description ravagée d'un paysage de vie complètement bouleversé. Avec toutefois comme semence d'espérance "des vallées comblées tandis que d'autres se formaient. Des îles ont sombré dans la mer, d'autres ont émergé." La vie est une re-création permanente, et si - comme l'écrit Françoise Giroud avec une autodérision cruelle - "on ne peut être heureux tout le temps" l'échec d'une existence ne s'écrit jamais en lettres définitives. 


Lu dans:
Françoise Giroud. Histoire d'une femme libre. Gallimard. 2013. Coll. Folio 5887. 265 pages. Extrait p.21 Exergue.
Note. Le 22 mai 1960 le tremblement de terre de Valdivia, au Chili, d'une magnitude de 9,5 sur l'échelle de Richter encore jamais atteinte, entraîna un tsunami jusqu'au Japon et causa 3 000 morts.

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