19 mars 2015

Et mon ombre

"J'ai, dès notre première rencontre, trouvé cet homme ridicule et pompeux, bien qu'il sourît. (..) Mais son sourire n'enlevait rien à son air odieux de contentement. Au diable si je sais pourquoi j'ai accepté de prendre avec lui, à dix heures sonnantes, un café dans un bar d'hiver aux vitres fumées et aux murs couverts de glace. À l'heure dite, j'entrai. Je l'aperçus aussitôt. Debout pour m'accueillir, m'offrant son perpétuel sourire, le cheveux poivre et sel gonflé au séchoir. Je m'avançai et je constatai avec horreur que celui que je venais de voir, c'était moi. C'était moi, reflété en pied par un miroir facétieux.."
        Pierre Hebey

Réécrivant ces lignes avec bonne humeur, je fais le rapprochement avec les expressions quotidiennes "je vais ME promener", "je M'appelle Carl", ou l'inénarrable belgicisme "je ne ME comprends plus moi-même" si fréquent en consultation. Je dévorai en mon jeune âge "L'homme et lui-même" de Graham Greene, qui décrit l'intimité d'un homme et de son ombre, présente en permanence, rappel vivant de ses forces et insuffisances, avec laquelle il s'entretient, qu'il tente de décrypter en vain. Une coexistence qui s'étale sur une vie entière, pas toujours la plus simple.


Lu dans :
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. Gallimard. NRF. 1998. 221 pages. Extrait p 99

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