28 novembre 2014

Une berceuse allemande de son enfance


"Les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz.»
    Billy Wilder

"Certains de leurs amis vont quitter l'Allemagne.
On les incite à faire de même.
Paula pourrait chanter aux États-Unis.
Albert pourrait facilement y trouver du travail.
Non, dit-il.
C'est hors de question.
C'est ici, leur patrie.
C' est l'Allemagne.
Il faut être optimiste, se dire que la haine est périssable.
(..)
Brunner, en personne, vient leur parler.
Il prend sa voix la plus affable.
Si chacun y met du sien, tout se passera bien.
On parle d'un État juif qui vient d'être créé, en Pologne.
Nous allons vous donner des reçus pour votre argent.
Il vous sera restitué sur place.
La grande communauté de Cracovie veillera à votre installation.
Chacun trouvera un emploi conforme à ses goûts.
Qui y croit vraiment?
Tous, peut-être.
Il faut garder espoir.
(..)
Le temps passe lentement.
Étrangement, une lueur d'espoir apparaît ici ou là.
De très rares et courts moments.
Charlotte se dit qu'elle va retrouver sa famille.
(..)
Alexander dit que sa femme est enceinte.
Alors, on fait en sorte de lui laisser une petite place.
Pour qu'elle puisse s'asseoir, les genoux dans le visage.
Personne ne peut l'entendre, mais elle chante en elle.
Une berceuse allemande de son enfance.
Le train démarre enfin, offrant un filet d'air."

Charlotte Salomon, peintre, est morte quelques jours plus tard à Auschwitz en 1943 à vingt-six ans. Peu avant sa déportation, elle confiait les gouaches de « Leben? oder Theater? » à un médecin-ami avec ces mots : «Gardez-les bien, c’est toute ma vie.» Depuis 1975, c'est le musée juif d'Amsterdam qui détient cette œuvre d’art autobiographique et unique en son genre. Le beau roman de David Foenkinos, pris Renaudot et Goncourt des lycéens 2014 lui rend vie. Je le referme avec émotion. 


Lu dans:
David Foenkinos. Charlotte. Gallimard. NRF. 2014. 222 pages. Extraits pp 55, 205-207

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