30 septembre 2014

Dépossession


« Garde intacte ta faiblesse. Ne cherche pas à acquérir des forces, de celles surtout qui ne sont pas pour toi, qui ne te sont pas destinées, dont la nature te préservait, te préparant à autre chose."
        Michaux octogénaire, dans Poteaux d'angle.

Certains soirs plus que d'autres nous mesurons l'empreinte infime de notre passage sur terre. Les plus fiers se sont crus investis d'une mission ou appelés à un grand destin, les plus modestes se satisfont d'avoir fait ce qu'ils ont pu, tous finissent dans une sorte de mendicité pour une fin de vie paisible ponctuée de quelques dernières découvertes: city trip, moment gastronomique, grand cru, amour éperdu. Paradoxalement, cette dépossession redoutée est vécue par certains vieillards comme une libération davantage qu'une servitude. "On a vécu ainsi, vêtu d'un manteau de feuilles; puis il se troue et tombe peu à peu en loques, mais sans nous appauvrir. Nous n'aurons plus besoin bientôt que de lumière. (Jaccottet)".

Lu dans:
Philippe Jaccottet. La seconde semaison. Carnets 1980-1994. NRF Gallimard. 1996 233 pages. Extrait p.170
Henri Michaux. Poteaux d'angle. Éditions Fata Morgana. 1978. Court recueil d'aphorismes considéré par Michaux comme une de ses œuvres majeures.

Enceinte


"Ma mère, en se levant le lendemain du drame, a compris que j'étais là, en elle. Quand on vit dehors, si près de la nature, on ressent les choses avec plus d'intensité qu'en ville. Ici à Stavros, les portes des maisons etaient toujours ouvertes, il n'y avait pas beaucoup de différences entre dehors et dedans. Les jardins, malgré les murs d'enceinte, débordaient sur le chemin et les habitants marchaient pieds nus dans le sable. Ou dormaient à la belle étoile. Mes parents étaient à l'écoute du monde, de la moindre de ses manifestations: le bruit des vagues, celui du vent, les cigales, des gens qui rient au loin, tout ce qui se passe dehors et, aussi, ce qui se passe plus près, en nous, à l'intérieur. Ici, pas besoin de test de grossesse: c'est le soleil, la mer, le vent, la montagne, les arbres qui annoncent la bonne nouvelle."
    Corine Jamar

En plein débat sur la théorie du genre, deux ou trois choses que les hommes ne connaîtront jamais: être enceinte, ressentir qu'on l'est avant même le test, et l'annoncer.


Lu dans :
Corine Jamar. On aurait dit une femme couchée sur le dos. Editions du Castor Astral. Escales de lettres. 2014. 223 pages. Extrait p.201    

28 septembre 2014

Plumcake, de chez Proust


"La fumée de la pipe me renvoie en enfance, quand j'avais encore la tête dans les nuages."
            Mareste

"Il pleut. On voit, par la bow window du salon, la bruine tomber doucement. Nous sommes à Pâques, en 1973, dans une petite ville du Kent.  Et cela sent l’herbe coupée, qui gonfle de moisissure, sous des averses tièdes. Je suis en séjour linguistique, et j’aime le soir quand vers 21h30, pour le high tea, devant la télé BBC à laquelle je ne comprends presque rien, Jane dépose des crackers salés, avec un peu de Stilton dessus, avec un tout petit peu de son vin d’orange, qu’elle garde dans un carafon peint. Surtout, elle prépare ses cakes, en cuisine. Et David allume sa pipe. C’est l’heure de l’odeur. Je ne l’oublierai pas. Le petit salon cosy s’emplit d’un parfum mêlé,  de tabac, de raisins de corinthe mis à gonfler dans du rhum et cuits longuement au four, de foin mouillé et de temps qui passe, monotone et paisible.
 
Nous sommes en septembre 2014. Il pleut. Ma femme me rejoint sur le balcon, renifle, étonnée. « Tu fumes quoi ? ». Elle renifle encore, parle de raisins secs, de rhum. De subtilité. « C’est quoi, c'est excellent ». Du Plumcake, de chez Mac Baren. « C’est très exactement l’odeur de mes soirées, à 13 ans, dans le Kent , que je viens de retrouver.»  Décidément, c’est bizarre. Et je me dis, en la rejoignant, qu’il faudrait que je fasse une revue, peut-être peu conventionnelle et sûrement trop longue, pour parler quand même de ce tabac que j’aime; de son parfum mêlé  de tabac léger, de vin d’orange, surtout de raisins de Corinthe mis à gonfler dans du rhum puis longuement cuits au four, et de la touche de foin mouillé qui se glisse près du cake : mais le tout lointain et discret comme un ennui très doux,  comme le temps qui passe, comme une nostalgie."

On n'osera bientôt plus confier à personne la magie de la pipe du dimanche soir où se consument quelques grammes d'un tabac grand cru, plaisir aussi éloigné du tabagisme compulsif que la dégustation d'un porto hors d'âge l'est d'un binge drinking. Se mêlent dans ses volutes les images de la journée passée, les souvenirs et les visages d'un passé inattendu et l'avant-goût de la semaine qui commence. Les superbes boîtes écrins de nos tabacs favoris s'ornent désormais d'un bandeau occupant la moitié du couvercle "fumer tue", et le pire c'est que c'est vrai. Encore qu'à toute toute petite dose, sans inhaler, cela doit tuer infiniment lentement. 
 

Lu dans:
Mareste. http://www.alanoblebouffarde.com/ Mac Baren - Plumcake : dans le Kent et dans le temps. Lun 22 Sep 2014.

27 septembre 2014

Sagesse de Jim Morrison


"Un homme ratisse des feuilles
en tas dans sa cour, un monceau,
appuyé sur son râteau, il les brûle
absolument toutes.
Le parfum emplit la forêt
des enfants s’arrêtent et respirent
l’odeur qui, dans quelques années,
deviendra nostalgie."
    Jim Morrison

Septembre s'endort dans l'odeur âcre des herbes brûlées. Enfant, au retour de l'école (13 ans, 13 ans… ni p’tit, ni grand comme le chantait Charlebois) j'aimais saluer l'été qui se meurt en partant à vélo dans la campagne proche m'emplir les narines de ces parfums sauvages. Ils me reviennent aujourd'hui quand le feu prépare la nature pour l'hiver. La vie serait-elle un long sentier parfumé? Je saisis aujourd'hui pourquoi ces senteurs d'automne ne suscitent en moi aucune nostalgie: leur odeur paillée, liée au grand nettoyage de la nature en vue de sa renaissance n'a rien de commun avec le cramé sinistre des incendies de guerre, de catastrophes naturelles ou des crémations sauvages. Ce brûlé-là en appelle à l'avenir plus qu'au passé. 


26 septembre 2014

Danser entre passé et avenir


"Il avait changé, comme quoi rien n'est jamais figé. Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder la mer, toujours la même et cependant, en perpétuel mouvement. Pas une vague n'est identique à l'autre. Pas une n'éclate exactement au même endroit. Et pourtant, vu de tout en haut, de l'Olympe, on a l'impression d'une immense dalle de granit bleu. Mais nous ne sommes pas des dieux, nous vivons ici, sur terre, où tout est possible, le bon et le mauvais, le beau et le laid, la vérité et le mensonge, le bien et le mal, le pardon et la haine. Ma mère était en train de se réconcilier avec son passé et mon père, avec l'avenir."
    Corine Jamar

On s'attend à tout moment à voir surgir la silhouette dansante d'Anthony Quinn, inoubliable Zorba sur la plage du beau roman crétois de Corine Jamar. Se réconcilier avec son passé, et avec l'avenir, est un vrai programme de vie. Mais comme l'écrit joliment l'auteur, nous vivons ici, sur terre, où TOUT est possible.


Lu dans :
Corine Jamar. On aurait dit une femme couchée sur le dos. Editions du Castor Astral. Escales de lettres. 2014. 223 pages. Extrait p.207

24 septembre 2014

La chanson vive du beurre sur le feu


Le repas
    IL n'y a que la mère et les deux fils
    Tout est ensoleillé
    La table est ronde
    Derrière la chaise où s'assied la mère
    Il y a la fenêtre
    D'où l'on voit la mer
    Briller sous le soleil
    Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers
    Et plus près les villas aux toits rouges
    Aux toits rouges où fument les cheminées
    Car c'est l'heure du repas
    Tout est ensoleillé
    Et sur la nappe glacée
    La bonne affairée
    Dépose un plat fumant
    Le repas n'est pas une action vile
    Et tous les hommes devraient avoir du pain
    La mère et les deux fils mangent et parlent
    Et des chants de gaîté accompagnent le repas
    Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes
    Et le son clair du cristal des verres
    Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux
    Dans les citronniers
    Et de la cuisine arrive
    La chanson vive du beurre sur le feu
    Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d'eau
    Oh ! le beau rubis que font du vin rouge et du soleil
    Quand la faim est calmée
    Les fruits gais et parfumés
    Terminent le repas
    Tous se lèvent joyeux et adorent la vie
    Sans dégoût de ce qui est matériel
    Songeant que les repas sont beaux sont sacrés
    Qui font vivre les hommes.
            Apollinaire

Comment ne pas se remémorer "Que ma joie demeure" de Jean Giono et la description du buffet campagnard aux gras cuissots fondant dans la bouche qui ouvre le récit, et la fraternisation heureuse du village? "Les rôtis étaient lourds et juteux et, au premier coup de couteau, ils s’écrasèrent. La sauce était comme du bronze, avec des reflets dorés et, chaque fois qu’on la remuait à la cuiller, on faisait émerger des lardons, ou la boue verdâtre du farci, ou des plaques de jeune lard encore rose. La chair du chevreau se déchira et se montra laiteuse en dedans, fumante avec ses jus clairs. Sa carapace croustillait et elle était d’abord sèche sous la dent, mais, comme on enfonçait le morceau dans la bouche, toute la chair tendre fondait et une huile animale, salée et crémeuse en ruisselait qu’on ne pouvait pas avaler d’un seul coup, tant elle donnait de joie, et elle suintait un peu au coin des lèvres. On s’essuyait la bouche."  S'il existe une spiritualité ascétique, il en est une autre qui s'incarne dans la joie des tablées bruyantes, du vin de Cana, de l'abondance des pains et des poissons qui se multiplient, du pain et du vin qu'on partage avant l'épreuve ou qui de l'étranger fait un ami sur la route d'Emmaüs. Un saint austère ne saurait faire le poids face à celui qui vous invite fraternellement à sa table. 


Lu dans:
Guillaume Apollinaire. Le repas.
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset. 1935

Rêver


« Vous voyez, c'est une toute petite maison avec des toutes petites fenêtres et un tout petit jardin au fond d'une petite rue. » Elle se tourne vers moi, avec son regard familier, ni bleu ni brun, teinté d'ironie. « En revanche, quand j'étais petite, je rêvais tout en grand.»
    Verena HANF.

Le beau roman de Verena HANF sollicite la mémoire d'enfance avec une émotion digne des grands  et déroule une intrigue subtile qui surprend jusqu'à la dernière page. Me reviennent des brassées de souvenirs de nos quatre moussaillons dans leurs "toutes petites chambres, avec un tout petit jardin" dont ils sourient encore maintenant. Y firent-ils de grands rêves? Bien présomptueux les parents capables de répondre à cette question. On fit de son mieux pour leur transmettre que "partir en mer avec de petits filets ne ramène au mieux que de petits poissons", mais qu'est-ce qu'un grand filet et un grand poisson? Les rêves d'enfance possèdent en outre la fâcheuse tendance à se racrapoter avec les années, sauf pour certains êtres rares qu'on envie. Le bonheur est-il la somme des rêves réalisés, ou la capacité de continuer à rêver face à la vie qui rétrécit ?

Lu dans :
Verena HANF. Simon, Anna, les lunes et les soleils. Escales des lettres. Le Castor astral. 2014. 150 pages. Extrait p.45

22 septembre 2014

Comme un accord secret






"Now I’ve heard there was a secret chord
That David played, and it pleased the Lord."
("Il se dit qu'il y avait un accord secret
Entre David qui jouait, et Dieu qui l'écoutait.")
    Leonard Cohen.  Hallelujah

La chanson « Hallelujah » enregistrée en juillet 1984 par le chanteur Leonard Cohen fête ses 30 ans. Oeuvre complexe, pleine de métaphores, parcours du combattant pour Leonard Cohen qui mit plus de 2 ans pour la terminer et ne connut qu'un succès tardif. Devenue depuis le morceau fétiche de Cohen, il fut repris plus d’une centaine de fois par divers interprètes dont... un prêtre, le père Ray Kelly (Oldcastle, Irlande) qui l'entonna à l’occasion d’un mariage qu’il célébrait, causant la surprise que l'on devine.   


21 septembre 2014

En spectateur coupable

"J'écris dans ce pays où l'on parque les hommes
dans l'ordure et la soif, le silence et la faim."
Louis Aragon

"Freetown a pris des allures de ville fantôme. Jeudi encore, la capitale de la Sierra Leone grouillait d'activité, avec ses échoppes, ses embouteillages, concerts de klaxons et ses innombrables piétons. Depuis vendredi 19 septembre, date de l'entrée en vigueur du couvre-feu de trois jours décidé par le gouvernement, pour tenter d'enrayer l'épidémie du virus Ebola, seuls les véhicules utilitaires et des urgences circulent encore. Toutes les boutiques ont fermé. La population a reçu l'ordre de rester confinée, autorisée à ne sortir que pour des besoins essentiels. Certains endroits comptent plus de chiens errants que de passants. (..) Et quand on traverse les quartiers misérables de la capitale où la population vit dans le dénuement et un habitat délabré, au bord de l'estuaire, dans des conditions particulièrement propices aux maladies infectieuses, on comprend l'inquiétude d'une propagation plus forte de l'épidémie. (..) Les gens dénient cette réalité et pensent que ce sont des manipulations de politiciens qui veulent que des gens meurent pour réduire la taille de la population."

Thomas Merton a écrit en 1970 un court ouvrage que je reçus comme un message personnel intitulé " Réflexions d'un spectateur coupable". Ce sentiment m'habite plus que jamais face à l'actualité du monde, et au tri qu'on en fait pour éviter l'épouvante d'une violence parfois insoutenable: on se rabat sur les titres de la presse rabâchant sur le retour de Sarkozy, le péquet et les échasses, le duel à fleurets mouchetés entre Charles Michel et Didier Reynders, l'interdiction des oreillettes en F1 à Singapour, la grève des pilotes d'Air France. Tout pour occulter le complainte incessante depuis des siècles des victimes "parquées dans l'ordure et la soif, le silence et la faim" qui ne nous rassurent que parce qu'elles vécurent à une époque révolue, ou qu'elles sont loin.


Lu dans:
Louis Aragon. Exergue des Sept poèmes d'amour en guerre de Paul Eluard (1945).
Paul Benkimoun. Le jour où Freetown s’est figée dans le silence. Le Monde. 20.09.2014
Thomas Merton. Réflexions d'un spectateur coupable (Conjectures of a Guilty Bystander), Albin Michel, Paris, 1970.

Et l'été est fini


"Dans un panier couche le bois
Dans l’autre châtaignes et noix
L’automne est là."
    Alice Guitton.

"Le vent d'automne caracole dans les éclaircies
impatient d'enfourcher la grande pluie d'octobre
qui ne se décide pourtant pas à tomber
Ies arbres du verger et ceux de la forêt
sont encore très verts pour l'arrière-saison
juste ici et là une morsure de rouille
ou bien une tache de sang vif sur une feille étonnée
odeur calme des pommes que le vent a secouées
une noix craque dans l'herbe sous le pas."
    Claude Roy


Lu dans:
Alice Guitton. Ecrits de ma cabane. Ed.Pailles. 2011. 96 pages.
Claude Roy. A la lisière du temps. NRF Gallimard. 1984. 205 pages. Extrait p.53

19 septembre 2014

La grande peur de l'homme blanc

"Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant."
               Pascal. Pensées. Edition Brunschvicg, fragment 131.

J'avais lu naguère  que les Inuits ne comprenaient rien à LA grande peur de l'homme blanc, celle qui le saisit face à l'éventualité de s'ennuyer. Une récente étude universitaire conforte cette crainte: la plupart des gens semblent préférer faire quelque chose, même désagréable, plutôt que rien. Une cohorte variée de 800 personnes issues du milieu étudiant, d'une paroisse, d'un marché, " de 7 à 77 ans" selon l'expression consacrée, hommes et femmes, livrés à eux-mêmes dans une salle ou à leur domicile durant une dizaine de minutes à ne rien faire si ce n'est penser,  préfèrent s'adonner à des activités banales, voire choisissent la phase douloureuse du protocole auquel ils participent - l'administration d'une ou plusieurs décharges électriques - plutôt que de subir une passivité totale d'un quart d'heure. Les auteurs pensent qu'ils veulent juste s'infliger un choc pour se sortir de l'ennui, la stimulation négative s'avérant somme toute préférable à l'absence de stimulation. La plupart, lorsqu'ils en ont l'occasion contreviennent aux consignes en se dissimulant pour chipoter leur portable ou écouter de la musique. La méditation vers la pleine conscience a du pain sur la planche... 

Lu dans :
Chantal Maton. Devenons-nous incapables d'inactivité? Journal du Médecin 19.9.14. p.21
Ch. M. Wilson TD et al. Social psychology. Just think: the challenges of the disengaged mind. Science. 2014 Ju14; 345(6192) : 75-7

18 septembre 2014

Sous les ridules, la vie qui s'écoule


"Le ruisseau coule
sous une mince couche de glace:
un miroir
où l'on verrait autre chose
que son visage."



Lu dans:
Philippe Jaccottet. La seconde semaison. Carnets 1980-1994. NRF Gallimard. 1996. 233 pages. Extrait p.56

17 septembre 2014

Le monstre du Loch Ness est-il anglais ?

"Kilt ou double."

Ce soir je m'endors avec Tintin dans cette Ecosse mystérieuse, ramant seul dans sa barque vers l'Ile Noire au large du village de Kiltoch, réputée comme repaire d'une bête monstrueuse. A la poursuite du redoutable Müller, Tintin s'y rend malgré les avertissements des villageois et y découvre le quartier général d'une organisation criminelle qu'il fait arrêter ; il révèle aussi la vraie nature de la « bête » : un brave gorille nommé Ranko que Tintin confie par la suite à un zoo. La piste d’atterrissage utilisé par les faux monnayeurs de l'île n'est utilisable qu'à marée basse et est inspirée par l'aéroport écossais de Barra, seul aéroport situé sur une plage et immergé à certaines heures. On devine au loin le son d'une cornemuse trouant la brume et au fond de la barque un bac de whisky Glenfiddich pour le capitaine Haddock. Sans prendre position sur le bien-fondé des revendications nationalistes chères à Alex Salmond, on reste muet devant le trait allégorique d'Hergé qui cerne en une seule image de couverture les contours de cette région que ses lochs, ses monstres, ses whiskys, ses kilts, ses brumes et sa musique ont rendue à nulle autre pareille. On s'amuse à découvrir que l'Écosse ne possède qu'une seule frontière terrestre, au sud du pays, partagée avec l'Angleterre... et que c'est encore une de trop. Cernée de toute part par la mer qui la sépare de l'Irlande du Nord et des îles Féroé (territoire danois), son territoire n'est qu'une dentelle d'archipels aux 790 îles, de lochs, de fjords étroits et profonds débouchant tous sur le large. Il a été écrit que l'Histoire, c'est la Géographie: comment résister avec une configuration pareille aux sirènes de l'indépendance?

PS. Un référendum sur l'indépendance de l'Écosse se tient ce jeudi 18 septembre 2014, posant aux Écossais la question de leur indépendance

Au bord de la rive


"Ils marchaient d’un même pas
            pas à pas
            attentifs
       au bruit des écueils
      glissant sous leur pas
       ils s’encourageaient
           d’un regard
           d’un signe
           d’un mot
              mais
ils ne pouvaient pas s’épauler
  ils marchaient pas à pas
       d’un même pas
     chacun sur une rive
d’une longue et profonde cicatrice."
                                            Pedro Vianna
                                            Paris, 13.IX.2013

Comme en écho du beau texte de Vianna, les paroles dignes de ces enfants de la guerre (ce soir, France 5) qui échangent leur passé: enfants de victimes, enfants de bourreaux, qui tentent de réparer la toile du chagrin et de la culpabilité. J'aime cette télévision-là. 


Vu dans:
Au nom de la race pure. 2009. James COHEN . Minnow Films. mardi 16.9.14. 23h40. France 5.

16 septembre 2014

Le poète aux ailes de papillon


"Quand nul ne la regarde
La mer n’est plus la mer.
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit..."
    Jules Supervielle. La mer secrète.

Si nul ne pense à moi, cesserai-je d’exister? Interrogation éternelle du poète de la métamorphose, aux ailes "fragiles comme des ailes de papillon" qui plus que quiconque pouvait chercher "une goutte de pluie qui vient de tomber dans la mer" car : 

Un jour quand nous dirons : « c’était le temps du soleil,
Vous souvenez- vous, il éclairait la moindre famille,
Et aussi bien la femme âgée que la jeune fille étonnée,
Et savait donner leur couleur aux objets dès qu’il se posait
Il suivait le cheval coureur et s’arrêtait avec lui,
C’était le temps inoubliable où nous étions sur terre,
Où cela faisait du bruit de laisser tomber quelque chose,
Nous regardions alentour avec nos yeux connaisseurs,
Nos oreilles comprenaient toutes les nuances de l’air
Et lorsque le pas de l’ami s’avançait nous le savions,
Nous ramassions aussi bien une fleur qu’un caillou poli.
Le temps où nous ne pouvions attraper la fumée,
Ah ! C’est tout ce que nos mains sauraient saisir maintenant.»


Lu dans:
Jules Supervielle. Gravitations. Le regret de la terre. Jules Supervielle. 1925

15 septembre 2014

Dernière tiédeur de l'année


"Que la nausée nous prenne de plus en plus souvent au spectacle du monde pourrait nous enlever le peu de conviction qui nous reste pour écrire. Ou, au contraire, nous donner une raison de plus de garder, de montrer cette vallée de l'autre jour qui s'ouvrait, s'épanouissait pour accueillir dans sa conque la lumière de l'après-midi. On voyait l'herbe luire au pied des arbres couleur de feu calme. Dernière tiédeur de l'année..."
Philippe Jaccottet


Lu dans:
Philippe Jaccottet. La seconde semaison. Carnets 1980-1994 NRF Gallimard. 1996. 233 pages. Extrait p.223

12 septembre 2014


  «Le plus grand service que nous rendent les grands artistes, ce n’est pas de nous donner leur vérité, mais la nôtre.»
Alexandre Vialatte


11 septembre 2014

11 septembre


« Nous étions l'Amérique, nous étions la nation la plus puisssante du monde. On avait le droit de critiquer , la justice et la liberté n'étaient pas de vains mots. Tout a été détruit. Comment expliquer le choc? le vide? L'horreur de ce qui s'est passé est plus puissante que tous les mots. Tout ce que l'on connaissait, notre vie d'avant, a été fracassé par une chose aussi simple que de précipiter des avions contre des buildings. »
Mark Rossini (ex-agent du FBI, qu'il a quitté en 2008)

Le jour où le rêve américain a tourné au cauchemar.


Lu dans:
Fabrizio Calvi. 11 septembre, la contre-enquête. Fayard. 2011. 536 pages. Extrait p.434-5

10 septembre 2014

Piéta


« Le plus important, c'est de ne pas se changer en pierre.»
        Heimito von Doderer

Une femme pleure son enfant mort dans le roman Les Démons de Doderer. Comment, en état de souffrance extrême, trouver la bonne distance entre l'endurcissement et l'effondrement?


Lu dans:
Philippe Jaccottet. La seconde semaison. Carnets 1980-1994 NRF Gallimard. 1996. 233 pages. Extrait p. 59
Les Démons (Die Dämonen, 1956), trad. de l'allemand par Robert Rovini, Paris, Gallimard, 1965 ; rééd. 1992.

08 septembre 2014

L'Histoire, cette arme effilée


"L'histoire est une arme au tranchant effilé ; qui la forge l'a pour soi, et malheur aux vaincus."
Hérodote repris par Benoît Bréville

Comme le souligne Benoït Bréville dans un récent article du Monde diplomatique, "son récit habite les peuples, appelle la légende. Il divise ou rassemble. Se raconte et se transmet. Se déforme et se révise. Il passionne. Et les marchands en ont fait un marché. Un produit haut en couleur, mais sans relief ni profondeur. Un produit sans problème - mais pas sans profit - . imposant au passé des problématiques contemporaines. Ainsi, selon Valeurs actuelles, Vercingétorix aurait été « un chef courageux, un combattant qui a fait le choix de l’action guerrière pour préserver sa culture », et Charles Martel, qui « arrêta les Arabes à Poitiers », un « résistant réprouvé »...


Lu dans:
Benoît Bréville. Pour remettre l’histoire à l’endroit. Le Monde diplomatique. Septembre 2014

Une étincelle d'éternité


Nous ne cessons de nous étonner du passage du temps: « Comment! hier à peine, ce père de famille chauve et moustachu était encore un gosse en culottes courtes! » Cela montre que le temps n'est pas notre élément naturel. Imaginet-on un poisson qui s'étonnerait de la mouillure de l'eau? C'est que notre vraie patrie est l'éternité; dans le temps nous ne sommes que des visiteurs de passage. N'empêche, c'est dans le temps que l'homme construit la cathédrale de Chartres, peint le plafond de la Sixtine et joue de la cithare à sept cordes - ce qui inspira la fulgurante intuition de William Blake: « L'Éternité est amoureuse des oeuvres du temps. »
Simon Leys


Lu dans:
Simon Leys. Le Bonheur des petits poissons. Lettres des Antipodes. JC Lattès. 2008. 212 pages. Extrait p.211

05 septembre 2014

Sagesse de Jodorowski


Chaque nouvelle douleur
change le but
de ma vie.

[Cada nuevo dolor
cambia la met a
de mi vida.]
     A. Jodorowsky


Lu dans :
Pierres du Chemin. Alejandro Jodorowski. Le Veilleur & Maelström. 2004. 140 pages. Extrait p.69

04 septembre 2014

Faire-part inversé

"Jules est né ce 5 septembre, entouré de l'affection des siens et réconforté par le sacrement des malades. Fidèle à ses convictions le retour à domicile s'est effectué dans la plus stricte intimité. Ni fleurs ni cadeaux, mais une pensée pour son repos et celui de ses proches.
Joseph (95 ans, 175 cm, 46 kilos) s'est éteint dans la joie ce 5 septembre, après neuf mois d'attente impatiente. Une liste est ouverte chez Kadolog. Le parrain était Emile ALDABERT, la marraine Maria HORTENSE. "
             Faire-part inversé

Ma fille Véronique raconte avec humour qu'il y eut tant de naissances la nuit de son accouchement que la clinique Saint Pierre dut se résoudre à utiliser l'espace dédicacé aux soins palliatifs pour absorber le surplus. D'où cet amusant court-circuit né de mon imagination caponne

L'horizon proche

"On pensait au voyage,
On rêvait de voyages.
On n’imaginait pas
Que plus tard,  n’importe où,
Parmi les continents,
On ne serait jamais
Emporté aussi fort
Aussi loin qu’ici même
Dans la prairie,
Rien qu’à voir les lumières
Qui traquaient l’horizon."
        Eugène Guillevic 

Consultations émaillées de récits lointains, de séjours plus ou moins réussis: ce qui est éloigné fait rêver mais est parfois loin d'être un rêve. Entre le  "3/10 pour un palace cinq étoiles, on va m'entendre" et le récit d'un lever du soleil boréal inoubliable il y a tout la gamme des expériences à partager.  Revenant hier soir de mon premier baiser à mon dernier petit-fils (Guillaume, chez Véronique, l'enfant et la maman vont bien) les paysages au soleil frisant étaient des Spilliaert plus vrais que nature. La parenthèse des vacances est fermée, on retrouve nos valeurs sûres. 


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02 septembre 2014

Les mots qu'on n'oublie

"Dans Le Livre de mon ami, Anatole France raconte comment, dans son adolescence, il avait nourri une admiration passionnée pour une ravissante pianiste qui venait donner des récitals dans le salon de ses parents; un jour, à la fin d'un morceau, la musicienne se tourna vers son jeune admirateur et lui demanda à brûle-pourpoint: «Cela vous a plu? -  Oh oui monsieur », balbutia l'autre, désarçonné par l'émotion. Cette gaffe le plongea aussitôt dans une telle détresse qu'il s'interdit de ne jamais plus reparaître en la présence de la belle musicienne. Quarante ans plus tard, il la retrouva par hasard dans une réception mondaine. Bavardant des succès de sa longue et brillante carrière elle lui confia qu'on se blase des applaudissements mais qu'à ses débuts, un témoignage d'admiration l'avait touchée de façon inoubliable - celui d'un jeune garçon qui, dans sa confusion l'avait appelée « monsieur ».
        Simon Leys


Lu dans:
Simon Leys. Le Bonheur des petits poissons. Lettres des Antipodes. JC Lattès. 2008. 212 pages. Extrait pp.67-68

Le rythme mystérieux de nos destinées

«Adaptons-nous au rythme mystérieux de nos destinées. La vie est un tout; le bien et le mal doivent être acceptés l'un comme l'autre. Le voyage a été agréable; il méritait d'être fait une fois.»
Winston Churchill

Ce texte date de 1932. Churchill a la soixantaine et croit avoir atteint le bout du voyage. Huit ans plus tard, en 1940, il devient l'homme qui va symboliser la résistance d'un peuple face à ce qui apparaît comme une défaite inéluctable. Il recevra le Nobel de littérature en 1953. Le rythme mystérieux de nos destinées ...

 
Lu dans:
Philippe Labro. 7500 signes. Chroniques. Gallimard NRF 2010. 480 pages. Extrait pp 102-103
Réflexions et aventures de Winston Churchill. Tallandier. 2008. 368 pages