09 avril 2014

En relisant Alain-Fournier

"Il allait seul
Dans les allées,
Abandonné
Par son enfance."
        Guillevic

Entendu sur La Une à 13h30 le beau récit qu'Ariane Charton nous fait d'Alain Fournier, tué au front en septembre 1914. Revisitant quelques pages du grand Meaulnes, son unique roman où il évoque la sortie de l’enfance, l’amour et le mystère d'un amour impossible, récit largement autobiographique, on reste pensif en apprenant que son auteur avait été refusé trois fois au concours d'entrée de Normale Sup et à la carrière d'enseignant. Enfant d'une époque où la lenteur n'était pas une tare, il met trois ans pour rédiger Le Grand Meaulnes, entamé au moment précis où il scelle une longue histoire amoureuse qui l'a épuisé. Publié en 1913, il rate le prix Goncourt derrière Le Peuple de la Mer de Marc Elder, l'année même où Marcel Proust publie Du côté de chez Swann sans que ce roman devenu emblématique soit retenu dans la liste finale. Un jury peut se tromper... Il meurt quelque mois plus tard, sans deviner le nombre de lecteurs dont il façonnera l'imaginaire amoureux. 

"Lorsqu'il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient à hurler et que le carreau de notre petite cuisine s'illuminait, je rentrais enfin. Ma mère avait commencé de préparer le repas. Je montais trois marches de l'escalier du grenier ; je m'asseyais sans rien dire et, la tête appuyée aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l'étroite cuisine où vacillait la flamme d'une bougie. Mais quelqu'un est venu qui m'a enlevé à tous ces plaisirs d'enfant paisible. Quelqu'un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu'un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élèves appelèrent bientôt le grand Meaulnes."
 "Agrippé au corps inerte et pesant, je baisse la tête sur la tête de celle que j'emporte, je respire fortement et ses cheveux blonds aspirés m'entrent dans la bouche — des cheveux morts qui ont un goût de terre. Ce goût de terre et de mort, ce poids sur le coeur, c'est tout ce qui reste pour moi de la grande aventure, et de vous, Yvonne de Galais, jeune femme tant cherchée — tant aimée..."


Lu dans :
Eugène Guillevic. Du domaine. Gallimard 1967
Un jour dans l'histoire. Nicolas Blanmont. La Une 8 avril 2014.
Ariane Charton. Alain-Fournier. Folio biographies 108. Gallimard. 2014. 416 pages. 

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