31 mai 2013

En attendant les barbares


"Qu’attendons-nous rassemblés sur la place?
Les barbares doivent arriver aujourd’hui.
(..) la nuit est tombée, les barbares ne sont pas venus
et certaines gens sont arrivés des frontières
disant qu’il n’y a plus de barbares
et maintenant qu’allons nous faire sans barbares?
ces gens-là étaient une sorte de solution."
    C. Cavafy

Il faut relire ce superbe poème de Cavafy, en ces moments de frilosité où s'inventent des menaces et périls partout. Les Romains attendent les Barbares. Et on imagine le désastre. L’empire attend sa fin, dans une posture statique: elle ne viendra pas des barbares. Sa mort ne viendra que du poison de l’inaction et de la vieillesse qui parcourt ses veines. Les épaules écrasées par son histoire et sa culture, il lui faudra avancer, jusqu’à son épuisement interne. Le coup de grâce ne viendra qu’après, quand il ne sera déjà plus qu’une chrysalide prête à accoucher de formes nouvelles. Et si... les Romains avaient espéré en leur for intérieur que les Barbares viennent, pressentant qu’une vieille civilisation sophistiquée a besoin d’être infusée par des énergies brutes.



Lu dans :
Constantin Cavafy. En attendant les barbares
Info inspirée du superbe blog littéraire  http://brumes.wordpress.com/about/
Jean-Claude Vantroyen. Ce que les gens veulent, c’est du sens. Le Soir. 30 mai 2013. Entretien avec Daniel Mendelsohn. Waiting for the Barbarians. A paraître chez Flammarion en 2014.

La grandeur de l'homme défait

"Quand soudain, aux environs de minuit,
Tu entendras passer un cortège invisible,
Avec des mélodies sublimes, ponctuées de clameurs
(..) Une dernière fois salue Alexandrie qui s’éloigne.
Surtout ne t’abuse pas, ne t’en va point dire
Que ce n’était qu’un rêve, que ton oreille s’est méprise;
(..) En homme prêt depuis longtemps, en homme courageux,
Comme il convient à qui pareille cité s’est livrée,
Approche-toi résolument de la fenêtre,
Et avec émotion, certes, mais sans
les plaintes et supplications des lâches,
écoute, dans une ultime jouissance, les sons inouïs,
Les si doux instruments du mystérieux cortège,
Et salue-la, cette Alexandrie que tu perds."
    C. Cavafy

La longue rivalité de Marc Antoine, amant de Cléopâtre, et d'Octave prend fin le soir de la bataille d'Actium au large de la Grèce, bataille navale durant laquelle les galères égyptiennes fuient précipitamment causant la défaite d’Antoine. Les amants se suicident peu après.  Le poète Cavafy évoque la dernière soirée d’Antoine. Un dernier conseil à l’homme défait : partir la tête haute, malgré l’échec. Ces vers s’adressent à Antoine, mais ils s’adressent également au lecteur – par le biais du tutoiement – et donnent une grandeur à la mélancolie pleine de remords que chacun de nous connaîtra à la fin de ses jours. La chanson Alexandra Leaving de Leonard Cohen est inspirée de ce poème.

Quand le doute nous guette, quand une impression tenace d'échec se surimprime à nos réussites, quand s'insinue en nous la recherche d'un réconfort dans la plainte, la force des mots venus d'avant, venus d'ailleurs, peut se révéler le meilleur des remèdes.


Lu dans:
Constantin Cavafy. Les dieux désertent Antoine (ou Antoine abandonné des Dieux).
Info inspirée du superbe blog littéraire  http://brumes.wordpress.com/about/
La chanson Alexandra Leaving de Leonard Cohen est inspirée de ce poème.





29 mai 2013

"Etre sans impatience ne veut pas dire sans émotions."
Jean-Christophe Ruffin.
 

Lu dans :
Jean-Christophe Ruffin. Immortelle randonnée. Editions Guérin Chamonix. 2013.264 pages. Extrait p. 204

28 mai 2013

Les récits d'une ville

"Car la ville c'est cela : des rues, des savoir-faire, des va-et-vient entre passé et présent, des lumières, des mots, des images, des commerces, et des micro-fictions offertes au rêveur, comme des milliers de romans à la minute. Tout ce qu'une métropole donne à voir et à entendre, à lire et à savoir, est matière à récits."
        Jean-Christophe Bailly



Lu dans:
Jean-Christophe Bailly. La Phrase urbaine. Seuil 2013. Fiction & Cie. 274 p.

Le petit butin heureux de la vie


“Nous y possédions un cabanon sans eau courante et ma mère nous laissait en totale liberté. Pieds nus, comme des sauvageons, en intimité avec la nature, qui elle­-même n’était pas tendre : elle brûlait, piquait. Il fallait s’en défendre. J’ai donc su tout de suite que la beauté avait un prix. Elle n’était ni gratuite, ni donnée. Pour moi, le bonheur est cette possibilité d’arracher à la vie un petit butin”
Erri de Luca

Ecrivain atypique et attachant, Erri de Luca nous livre un récit d’initiation d'une enfance qui ne fut guère une époque heureuse, à l'exception des quelques jours de vacances d'été passés annuellement sur lîle d'Ischia, en face de Naples, avec sa mère tandis que son père cherche fortune en Amérique.   Il y rêve, apprend les rudes règles de la mer, à tirer les câbles, à soigner ses  cals aux mains. Pour ceux que les existences romanesques passionnnent, la découverte de la page de Wikipedia qui lui est consacrée vaut le détour.


Lu dans:
Erri de Luca. Les poissons ne ferment pas les yeux. Traduit de l’italien par Danièle Valin. Gallimard. 2013. 129 pages.

26 mai 2013

Equidistances

"Il est minuit à Tokyo, il est cinq heures au Mali, quelle heure est-il au Paradis? "
Manu Chao

Les distances qui nous séparent sont multiples, géographiques, temporelles, mais pas seulement..

Une belle occasion de découvrir un site pour se connecter par-delà les méridiens horaires: http://www.worldtimeserver.com/meeting-planner.aspx , qui rapprochera ceux qui se téléphonent par-delà les continents. 

Lu dans :
Nicolas de Béthune. Allô je te réveille. Momento LLB. 25.6.13. p.23

25 mai 2013

Le souvenir du bonheur


"Un Franco-Egyptien revient dans sa ville natale le jour où le pays se soulève contre Moubarak. Il doit y retrouver son premier amour, perdu de vue depuis son départ pour l'Europe, quarante ans plus tôt. Les retrouvailles tourneront court, car "vous avez vécu dans le souvenir du bonheur, Karim. Or, rien n'empêche le bonheur comme le souvenir du bonheur".
G. Sinoué
 


Gilbert Sinoué. Les Nuits du Caire. Arthaud, 2013. 183 pages. Gilbert Sinoué

23 mai 2013


" Ma mère me disait qu’il fallait se moquer de soi-même car comme ça si les gens se moquaient de moi, c’était déjà fait!"
Mustapha El Atrassi


Lu dans:
Vanessa Lhuillier. Ma raison de vivre, c’est travailler. Le Soir. 23 mai 2013.

Vole


"Qui pèsera ces richesses imaginaires?"
Alain (1.8.1931)

Léo Heremans, colombophile de Vorselaar a vendu un de ses pigeons à un acheteur chinois pour la somme de 310.000 euros. Bolt, le champion belge, ira se reproduire en Chine. Son propriétaire flamand a retiré de la vente de son élevage (510 têtes) plus de 4.300 millions d’euros. L’intérêt des Chinois pour les pigeons, belges en particulier, remonte à quelques années. Les prix enflent, au point que les meilleurs pigeons s’envolent pour l’étranger, un peu comme nos joueurs de football. Comme en cyclisme ou en football, le dopage sévit dans les colombiers. Il est arrivé que la police arrête à proximité d’élevages de pigeons des ressortissants chinois soupçonnés de mener des razzias dans nos élevages pour soit voler les volatiles, soit encore (et c’est plus cruel), leur couper les pattes pour voler leurs bagues et ainsi qualifier de «belge» un quelconque pigeon chinois sans certificat d’origine. Des colombophiles se précipitent sur les œufs des volatiles pour espérer recueillir un embryon. Le prix exorbitant de ces volatiles, lié essentiellement à leur potentiel de reproduction, suscite autant de questions que de (fragiles) convoitises. "Faites croire à un amateur de tableaux qu'il revendra une absurde petite toile plus cher qu'il ne vous la paie, alors la valeur est bonne: on oublie de se demander si la toile en question vaut quelque chose."



Lu dans :
Marc Metdepenningen. Les pigeons belges ne sont pas pigeons. Le Soir du mercredi 22 mai 2013
Anthony Rowly , Fabrice d'Almeida. Quand l'histoire nous prend par les sentiments. Odile Jacob. 2013 285 pages. Extrait p.179

22 mai 2013

De l'art de parler de soi sans parler de rien


"À quelques mètres de la pierre vivante, l'eau surgit enfin d'une fontaine telle qu'on en voyait au temps des bergers d'Arcadie. La Marne en coulait doucement. Je me suis approché d'elle. Dans le vallon aux violentes odeurs telluriques, elle me murmurait : « Enfin, tu es là. Tu en as mis du temps! » Que pouvais-je répondre? J'ai joint mes deux mains pour la recueillir. Elle avait un goût étrange de menthe et de mousse, pur et coupant. "

Une lente remontée de la Marne, et des paysages esseulés qu'elle irrigue. Deux mois d'un marcheur solitaire parti à la rencontre de presque rien, qui se révèle le presque tout. L'ancien otage du Liban, ce qu'il n'évoque quasi jamais, déploie une fois encore ses thèmes de prédilection: la solitude extrême, une région et des êtres abandonnés de tous, un temps lent durant lequel l'être humain se densifie. Ou comment au travers d'une dizaine de livres de qualité parler de soi sans jamais s'étendre sur son propre vécu. Le marcheur arrive au terme de sa quête: une source au goût de menthe et de mousse. Quelle beauté, et quel talent.



Lu dans:
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard 2013 . 263 pages. Extrait p.262

21 mai 2013

"Si je dois tomber de haut
Que ma chute soit lente"
Mylène Farmer, Désenchantée (paroles Laurent Boutonnat)

20 mai 2013

Sagesse des étoiles mortes

"Nuit noire, étoiles mortes." Stephen King.
Une étrange poésie se dégage de ces étoiles dont on capte encore un long moment la lumière alors qu'elle sont mortes. Que deviennent-elles, dans quel cimetière, pour quel recyclage? Que cachent les mystérieux trous noirs, les y a-t-on parquées comme nos épaves automobiles au rebut? Et si c'était au moment de leur mort apparente qu'y naissait la vie, comme pour notre planète bleue. La mort de l'astre qui autorise la vie sur sa surface, belle allégorie digne de nos plus folles questions métaphysiques.

18 mai 2013

Sagesse de Léonard Cohen


"l asked my father,
l said, «Father change my name. »
The one I'm using now it's covered up
with fear and filth and cowardice and shame.

He said, «I locked you in this body,
l meant it as a kind of trial.
You can use it for a weapon,
or to make some woman smile. »
    LÉONARD COHEN, Lover.

... j'ai appelé mon père, le suppliant de me rebaptiser sous un autre nom, mon nom souillé, entaché de peur et de honte. "Mon petit, quoi que tu fasses, ce nom te collera à la peau et je ne peux te l'enlever, comme ce corps que tu habites. Tu es ce nom, tu es ce corps, tu les portes comme un joug à jamais, Mais tu peux choisir l'usage que tu en feras, soit une arme pour détruire, soit une caresse pour illuminer le visage d'une femme."

Lu dans :
Didier Long. Petit guide des égarés. Salvator. 2012. 185 pages. Exergue


Narcisse


"Je suis né de confession israélite, mais je me suis assez vite converti au narcissisme!"
Woody Allen 

Existe-t-il mythe plus contemporain que celui-là? Narcisse après avoir repoussé les avances de la nymphe Écho, se croit indigne d'amour et incapable d'aimer. Il vient près d'une source limpide et pure pour apaiser sa soif. En regardant le reflet de son visage, il s'extasie devant sa propre image et se désire lui-même, à la fois amant et objet aimé. Désespéré de ne pouvoir assouvir son amour, de l'impossible étreinte, Narcisse dépérit et meurt. Il est alors transformé en un narcisse, la fleur qui porte son nom. Cette disparition à soi-même ouvre la porte d'un nouveau monde, du présent surgit une fragile et fraternelle plénitude où Narcisse - enfin - découvre l'étreinte du différent, de l'autre que lui. La fin de l'histoire est plus belle que l'image qu'on en a gardée. 


Lu dans:
Didier Long. Petit guide des égarés. Salvator. 2012. 185 pages. Extrait page 15.

16 mai 2013

Une vie de mouche


"Vous savez, on peut traverser toute son existence comme une mouche!"
Rabbin Haïm Harboun, à sa communauté un jour de shabbat

Mais que sais-tu donc, ami rabbin, de ce que vit une mouche, l'abeille, l'hirondelle dans le ciel? Des milliers d'années de pensée aristotélicienne, chrétienne et cartésienne nous cadenassent dans le déni de toute conscience animale ou d'intentionnalité, dans la certitude qu'une marche infranchissable nous sépare de la bête, incapable de concevoir sa propre finitude. Adaptée à son environnement, elle ne saurait s'ouvrir à la totalité de la réalité. Mais que savons-nous de l'intelligence de l'essaim, du vol des migrateurs dans le ciel? Comme Sylvain Tesson, je suis troublé par la danse des moucherons dans le rayon du soir. Tant de grâce n'a-t-elle aucune signification? "Que savons-nous des pensées de l'ours? Et si le crustacé bénissait la fraîcheur de l'eau sans aucun moyen pour lui de nous le faire savoir et sans aucun espoir pour nous de le déceler? Et comment mesurer les émois des passereaux lorsqu'ils saluent l'aurore sur les plus hautes branches? Et pourquoi ces papillons dans la clarté du midi ne connaîtraient-ils pas l'intensité dramatique esthétique de leur chorégraphie?" 

Hasard, destin? Nous aimons imaginer que l'homme seul ait un destin.  La flèche doit avoir une cible: c'est ainsi que notre esprit est construit et qu'il nous guide. Comme le note avec humour Eugenio Scalfari, cela nous soulage, cela donne un sens à notre existence. "Les mouches, les fourmis ont-elles un destin? La petite fourmi qu'il nous arrive d'écraser sous la chaussure, était-ce là son destin? Bien sûr les hommes sont différents des fourmis, eux ils ont un destin, ils sont plus  importants que les fourmis. Et si ce qu'on appelle le destin n'était qu'une tentative de se consoler du désespoir de devoir mourir, de ne pas avoir existé en vain?"


Lu dans :
Rabbin Haïm Harboun, cité par Didier Long. Petit guide des égarés. Salvator. 2012. 185 pages. Exergue.
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait p. 195.
Eugenio Scalfari. Par la haute mer ouverte. Gallimard. 2012. 322 pages. Extrait p. 75

Cri


"Ma joie je l'ai
je ne lui pose pas de question
La douleur m'a
je l'interroge."
     Robert Mallet


Lu dans :
Robert Mallet. L'ombre chaude. NRF. Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.92

14 mai 2013

Bribes de ciel


"Tu marches
tête baissée
pour éviter les flaques d'eau
et tu rencontres des morceaux
de ciel."
    Robert Mallet 

J'apprends en prenant la route ce matin que la météo est morose, que la bourse est déprimée, que "la communauté coyote"  ;-)  annonce une perte d'une heure et demie sur le ring entre Zaventem et Grand        Bigard. Et soudain, inattendue comme un soleil dans un paysage de pluie, la voix éraillée de Julien Clerc égrène que "La grande ville/Mange la ville/La grande vie/Mange la vie/Si on chantait/Si on chantait/Si on chantait". Et on se surprend à chanter tout seul,  à tue-tête, comme si on était mille parce que la musique est belle, et que l'inattendu est au rendez-vous.


 
Lu dans :
Robert Mallet. L'ombre chaude. NRF. Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.47

13 mai 2013

Bulles merveilleuses


"La bulle de savon
tout le possible atteint
tout le parfait vécu
rien de plus rond, plus lisse
mieux clos
mieux irisé, plus céleste
mieux réel
rien de mieux
pour dire
soudain
sans bruit
que tout
n'est plus rien. "
    Robert Mallet

Lu dans :
Robert Mallet. L'ombre chaude. NRF. Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.27

12 mai 2013

Un jour de gitanes bleues


"Ouvrant, à la suite de ces souvenirs inopinément resurgis, le carnet bleu de mon père que j'ai gardé précieusement, j'en extrais une anecdote datée du 8 août 1961 :
Sur la route de Vizille à Uriage, dans la lumière jeune du matin qui suivait la pente des montagnes, j'ai vu soudain, inerte au milieu de la route, un oiseau extraordinaire de beauté, un plumage bleu merveilleux, des gris et des blancs d'une délicatesse incomparable. Je me suis approché en poussant un cri d'admiration et de regret et me suis penché pour le ramasser. C'était, froissé, un paquet de Gitanes bleues. (..)
À Munich, un soir, le peintre Vassily Kandinsky rentre chez lui dans son atelier lorsqu'il aperçoit, appuyé contre un des murs, une toile inconnue qui lui paraît positivement merveilleuse; une composition tout à fait originale et inédite. Il s'approche de ce tableau énigmatique déposé là par les fées et, parvenu à quelques pas, prend soudain conscience qu'il s'agit de l'un de ses propres tableaux - un paysage stylisé - posé à l'envers et transfiguré par la lumière du crépuscule. Le lendemain, il a beau le placer de nouveau à l'envers et tenter de recréer l'éclairage de la veille, il ne parvient pas à retrouver la même émotion. Pourtant, le souvenir de ce qu'il a entrevu est si puissant qu'il ne peut se l'ôter de l'esprit. (..) À partir de cette révélation Kandinsky commencera à se livrer à des jeux de formes et de couleurs exempts de toute figuration. Il venait de créer l'art abstrait."

L'art est surprise,  frôlement d'un hasard heureux rendu possible parce que celui qui fait ces découvertes s'est mis dans un certain état d'esprit composé d'ouverture, de disponibilité, de curiosité, d'émerveillement, d'étonnement et de pensée analogique et symbolique, celle qui "permet de voir ce qui rassemble plutôt que ce qui divise" (Christian Van Den Berghen). Demain est un autre jour, un jour de gitanes bleues, puissent-elles nous surprendre.  
 

Lu dans:
Denis Grozdanovitch. La puissance discrète du hasard. Denoël. 2013. 336 pages. Extrait pp.70, 71

11 mai 2013

Sagesse d'Alice qui ne pensait jamais à rien


"Si les anges peuvent voler, c'est parce qu'ils se prennent à la légère."
Gilbert Keith Chesterton

Francis Dannemark serait-il un ange, lui qui nous fait voleter en accompagnant Alice "qui ne pensait jamais à rien". Alice et tous ses maris, nous soufflant que "la seule façon d'avoir une chance d'être heureux, c'est d'accepter que rien n'est jamais certain, que rien n'est définitif, ni les bonnes choses ... ni les mauvaises" (..) car "les certitudes sont des parapluies qui ne s'ouvrent que les jours où il fait beau." Nous avons besoin de ces petits romans de douceur aux phrases ciselées pour compenser la rudesse des images qui nous assaillent jour après jour, et nous remettre en perspective d'être heureux.
"On dit parfois qu'une vie s'achève quand une autre commence et qu'ainsi va la vie. Je n'ai pas vu les choses comme ça, c'était trop difficile pour moi. J'ai eu très envie d'être morte, moi aussi. Puis un jour, le soleil m'a réveillée. Ce n'est pas une image poétique. J'avais oublié de tirer les tentures et la lumière du soleil est entrée dans ma chambre. C'était éblouissant. Violent. J'ai quitté mon lit, je suis allée à la fenêtre et j'ai vu que c'était l'été, une année s'était écoulée et je ne l'avais pas vue passer. J'ai aperçu un épervier qui tournait en rond au-dessus d'un champ qui venait d'être fauché. J'ai entendu le meuglement d'une vache et je l'ai trouvé très beau et tellement émouvant. Je me suis mise à pleurer, à pleurer sans pouvoir m'arrêter. Parce que j'étais vivante. J'étais vivante et c'était magnifique."


Lu dans:
Chesterton cité par Francis Dannemark (p.37) dans Histoire d'Alice, qui ne pensait jamais à rien. Laffont. 2013. Autres extraits p.33, 37, 80, 81.

So long goodbye

10 mai 2013

Quand la beauté sauve


"Les enfants ont grandi: impossible de les prendre dans ses bras en rentrant, de les pétrir comme de la mie tiède pour se remplir de toute la force qui manque - à la place des deux petites boules de mie, deux gigantesques ados ont poussé. (..) A cet instant précis, elle pourrait pleurer; elle pourrait pleurer si elle avait encore assez de vie en elle. Elle pourrait pleurer mais elle ne pleure pas. Elle ne remarque même pas ses doigts, sur l'autoradio, qui font défiler les stations, elle n'entend ni les jingles agressifs ni les pubs pour les hypermarchés, elle n'entend plus rien, absente à elle-même, absente au monde. Et puis, soudain, au hasard d'un changement de station, surgit la voix de Michel Berger: sa voix qui la prend tout de suite, portée par quelques notes de piano, sa voix qui lui parle sans même qu'elle écoute les paroles, cette mélodie qui la remplit. En elle, d'un seul coup, quelque chose se rassemble, se fluidifie. L'apaisement est total: « C'est beau. » Le temps de cette émotion esthétique, plus rien n'existe. Elle est tout entière convoquée, tout entière là, enfin présente à elle-même et au monde. C'est beau. Qu' est-ce qui est beau, au fait? La musique, ou ce qu'elle lui fait? (..) Cette émotion ne durera pas, mais elle ressemble à l'éternité. Ce plaisir esthétique est comme un indice, une promesse. La beauté de cette chanson lui souffle que tout n'est pas perdu, rallume au fond d'elle un vieux feu mal éteint: son exigence. Ce qu'elle exige d'elle-même; ce qu'elle demande à la vie. Elle s'appelle Lucie. Et c'est comme si la beauté la sauvait de son renoncement."


Lu dans:
Charles Pépin. Quand la Beauté nous sauve. Robert Laffont. Les mardis de la philo. 2013. 233 pages. Extrait pp. 10-11

09 mai 2013

En remontant la Marne


" Mon sac appuyé sur l'arbre me servait de dossier. Et, soudain, cette plénitude ... Elle m'a envahi délicieusement. Plaisir d'être seul, dans une solitude recueillie, non pas replié mais rassemblé en moi-même au plus profond, dans un mouvement de confiance et d'intimité avec ce qui m'entourait: les nuages, l'air tiède, les saules blancs, les églantiers bordant la rivière. Et cette lumière insaisissable. Tout cela m'était offert. Je ne voulais pas en perdre une miette. Je savourais le spectacle de cette paix comme un don gratuit, un état de complétude total. Révélation d'avoir trouvé la cadence, ou plutôt la patience avec moi-même. Jamais je n'avais regardé avec autant d'avidité la rivière: l'eau et ses froissements de soie; l'ombre des racines déployées sur les bords comme des chevelures. J'avais craint que la lassitude s'insinue par l'accumulation, la redite. La surface de la Marne était agitée de vaguelettes. Avais-je enfin acquis cette confiance itinérante qui me manquait? "
JP Kauffmann

 
Lu dans:
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard 2013 . 263 pages. Extrait page 73

07 mai 2013

Haiku


" Mon ombre elle aussi
est au meilleur de sa forme
matin de printemps."
     Issa
  

06 mai 2013

L'utopie n'est pas l'irréalisable, mais l'irréalisé (Théodore Monod)


"Aujourd’hui, chacun est contraint, sous peine d’être condamné par contumace pour lèse-respectabilité, d’exercer une profession lucrative, et d’y faire preuve d’un zèle proche de l’enthousiasme. La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des allures de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail."
    Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs (1877)

Le Revenu garanti (ou Allocation universelle) une utopie à portée de main? Assurer à chacun, sans conditions, de la naissance à la mort, une somme mensuelle suffisante pour vivre ? Inventer une autre vie, d’autres rapports sociaux, peut sembler hors de propos en période de crise. L’exercice n’a pourtant jamais été aussi nécessaire. En Europe, en Amérique latine, en Asie, l’idée d’un droit au revenu inconditionnel fait son chemin. Impossible de balayer la proposition en arguant de son infaisabilité économique : il serait tout à fait envisageable de la mettre en œuvre, même si cela nécessite une réflexion politique approfondie. C’est surtout sur le plan philosophique que le revenu garanti pose des questions épineuses, puisqu’il implique de renoncer à l’objectif du plein-emploi et d’admettre que l’on puisse subsister sans exercer une activité rémunérée. Promu ces dernières années par des penseurs progressistes comme André Gorz, mais aussi par des libéraux, qui en défendent une conception très différente, il a fait l’objet d’expériences au Nord comme au Sud, par exemple tout récemment en Inde. Le Monde diplomatique de ce mois y consacre un dossier stimulant pour l'esprit, dont je vous joins un article en fichier attaché comme lecture apéritive..  Lire


Lu dans :
Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs (1877), Allia, Paris, 2003.
Mona Chollet, Imaginer un revenu garanti pour tous. Le Monde diplomatique. Mai 2013

05 mai 2013

Une cuisine chantée


"Je fais la cuisine comme l'oiseau chante."
Michel Guérard.

.. par exemple un foie gras cuit en cocotte entouré d’une gelée de pomerol aux épices d’Orient, à déguster sur une brioche au moût de raisin. Ou des huîtres Gillardeau juste tiédies, servies dans leur coquille, sur un lit de gelée d’eau de mer avec une surprenante chiboust de café vert. Une composition exceptionnelle, où chaque goût se détache, précis, jusqu’à la légère amertume du café vert en final. Pour terminer par un indémodable de la maison : l’"oreiller moelleux" de mousserons, girolles et morilles aux pointes d’asperges vertes et truffe noire. La perfection réside ici dans le détail : profondeur de la sauce crémeuse et transparence extrême de la raviole aux champignons sauvages. Il chante bien l'oiseau.


Lu dans:
Michel Guérard, une légende de la nouvelle cuisine.  Momento. LLB 4 mai 2013. p.17

Histoire d'Alice ...


"Le monde ne mourra jamais
par manque de merveilles,
mais par manque d'émerveillement."
     Gilbert Keith Chesterton

 
Lu dans:
Francis Dannemark. Histoire d'Alice, qui ne pensait jamais à rien. Laffont. 2013. Exergue. 

04 mai 2013

La Marne et ses senteurs


"Après la chaleur des semaines précédentes, la pluie d'orage délivre les odeurs emprisonnées par l'été. Les gouttes explosent à la surface de l'eau. Une bruine légère s'élève dans la vallée. L'air sent à la fois le gazon mouillé, l'herbe coupée, l'argile humide, les feuilles rouies. Parfum de fin d'été plutôt que de début d'automne. L'acidité, le dessèchement, la chaleur végétale sont encore sensibles. La Marne dégage des relents marécageux. Même les piliers du viaduc exhalent une odeur que la pluie a révélée, une note minérale et chaude qui évoque l'asphalte trempé en été."

"La pluie a ressuscité des parfums enfermés par la sécheresse cette fameuse odeur d'escargot que répand l'humidité après l'orage. Des effluves de prairie mouillée montent du sol lorsqu'on enjambe les herbes hautes. Les fils tissés par les araignées étincellent et égouttent de minuscules billes d'argent."

Etonnant Jean-Paul Kauffmann, qui poursuit à son rythme livre après livre un itinéraire littéraire hors du commun, se racontant en pointillés au-travers des divers endroits de solitude de notre planète qu'il parcourt à pas comptés. Son dernier opus, remontant la Marne jusqu'à sa source (car "remonter c'est la vie"), est habité par tous les arômes de la France en fin d'été. "C’est peut-être à cause de mon goût pour le vin. Mais peut-être davantage ici, parce que j’ai essayé de décrire l’odeur de l’eau. Ce n’est pas facile, et elle est très différente à mesure que vous remontez la rivière. C’est pour cela que je rends hommage à Simenon, qui a su restituer ce sens olfactif un peu tabou, signe de notre animalité. C’est le corps qui s’exprime à travers ce livre." 

 
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard 2013 . 263 pages. Extrait 45, 46, 152.
Pierre Maury. Un kilomètre à pied, et fusent les idées. Le Soir. Livres. Samedi 4 mai 2013

03 mai 2013

Acouphènes


"Bourdonnement d'abeilles dans l'oreille droite. La mort fait son miel."
Jean Sullivan
 
 
Lu dans:
Jean Sullivan. L'écart et l'alliance. NRF. Gallimard. 1981.155 pages. Extrait p. 68

01 mai 2013

En bref


"Si vous parlez, c'est pour être compris. Si vous n'êtes pas compris, taisez-vous ou dites autre chose." (*)

Vingt-deux doctorants de l'université de Lorraine se sont livrés à un concours d'un nouveau genre : présenter leur thèse en cent quatre-vingts secondes chrono, en public et devant un jury composé d'auditeurs naïfs – journalistes, responsables de ressources humaines ou encore communicants. Une première en France. Objectif: être compris par tout le monde, même par sa famille, après avoir bénéficié d'une formation à la présentation alliant simplicité, structure du discours et gestuelle avec des coachs professionnels de théâtre. 

 
Lu dans:
(*) auteur inconnu, cité par Lucien Noullez. Des équipages inaccomplis. L'âge d'Homme. 2013. 202 pages. p.53
Nathalie Brafman. Concours du meilleur vulgarisateur de thèse en 180 secondes chrono. Le Monde. 24.04.2013.