15 septembre 2013

Oh le beau jour


"Entre toi et moi, il y eut un coup de foudre suivi d’une vie; ses hauts, ses bas. Désormais la mort, il ne reste que l’amour; l’éternel."
Kim Thúy

Il y a peu de chose concernant l'épreuve de la durée dans la littérature sur l'amour. Prenons le théâtre. Si vous regardez les pièces qui montrent les démêlés de jeunes amoureux contre le despotisme de l'univers familial - un sujet absolument classique -, on pourrait toutes les sous-titrer d'un titre de Marivaux: Le Triomphe de l'amour. On a le triomphe de l'amour, mais pas sa durée. On a juste ce qu'on pourrait appeler l'intrigue de la rencontre. Les grands romans sont souvent bâtis sur l'impossible de l'amour, son épreuve, sa tragédie, son écart, sa séparation, sa fin. Mais sur la durée positive, il n'y a pas grand-chose... sauf chez Beckett. Celui dont on a dit qu'il était un écrivain du désespoir, de l'impossible, était avant tout aussi un écrivain de l'obstination de l'amour. La pièce "Ô les beaux jours" est l'histoire d'un vieux couple, une femme, un homme rampant derrière la scène. Tout est délabré, elle est en train de s'enfoncer dans le sol, mais elle dit: « Quels beaux jours ça a été. » Et elle le dit parce que l'amour est toujours là, cet élément puissant et invariant qui a structuré son existence en apparence catastrophique, qui ne cache rien du désastre des corps, de la monotonie de l'existence, de la difficulté grandissante de la sexualité dans la puissance finalement splendide de l'amour et de l'obstination à durer qui le constitue. “ Oh le beau jour encore que ça aura été... Encore un... Après tout. ”
 
Lu dans
Alain Badiou, avec Nicolas Truong. Eloge de l'amour. Flammarion. 2009. 90 pages. Extrait 68-70

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