25 décembre 2012

Noël, fête incertaine


"La sculpture trônait, sœur de toutes les autres, elle témoignait de la même obsession, faire du juste avec de l'injustice, de la passion avec de la misère. Et du désir avec de l'absence."
Claudie Gallay.

Joyeux Noël. Entre la rue de Tabora et la Grand-Place de Bruxelles, des Pères Noël partout: à la vente du vin chaud, au violon, aux huîtres, sur une escabelle faisant la quête. Près de la Bourse, un sans-abri s'est lui aussi affublé d'une couverture rouge vif, de la barbe et du bonnet, à l'abri d'une palissade où copulent frénétiquement ses deux chiens bâtards. Je sens comme une envie de fuite. Le Noël qui se voit se heurte dans mon esprit au Noël qui se vit, celui de toutes les solitudes, des familles recomposées qui peinent à se rassembler, des enfants sans attaches nettes recherchant un cadeau incertain. Noël constitue un passage redoutable pour les fragilisés de la vie, celui où on se compte autour du sapin, et où se font les bilans d'une année. Comme eux, je me prends à attendre avec impatience ma modeste activité professionnelle quotidienne, peuplée d'objectifs ô combien modestes "faire du juste avec de l'injustice, de la passion avec de la misère, du désir avec de l'absence." 


Lu dans:
Claudie Gallay. Les déferlantes. Editions du Rouergue. La Brume. 2008. 526 pages. Extrait p.182

23 décembre 2012

Mon père ce héros


"Jour après jour, depuis la plage, un adolescent assiste aux évolutions d'un pilote d'acrobatie aérienne aux commandes d'un petit biplan. Tonneaux, boucles, perte de vitesse, glissades sur l'aile ou la queue, piqués, remontées en chandelle, brusques retournements, vrilles, redressements à basse altitude, passages sur le dos: chaque jour l'émerveillement dujeune garçon grandit à mesure qu'il apprécie mieux l'enchaînement des figures, leur rythme, toute l'aisance de cette pure beauté dans le ciel. Et voici qu'un jour il s'enhardit et se rend à bicyclette jusqu'au petit aérodrome dans l'espoir d'apercevoir son héros. Assis sur la barrière, un garçon à peine plus âgé est déjà là, et pour les mêmes raisons. Avec tout le sérieux dont l'adolescence est capable, il explique au nouveau venu que le biplan est un Stampe conçu en Belgique dans les années trente, qu'en dépit de son âge il est resté à l'acrobatie ce que le Stradivarius est au violon, qu'extrêmement léger, puisqu'il est fait de bois et de toile, il est tiré par un moteur de cent quarante chevaux qui en fait un petit bolide en même temps que sa double voilure lui assure la portance d'un grand oiseau. De fil en aiguille, et tout imbu de ce qu'il vient de lire dans la coupure d'un journal local affichée chez la boulangère, l'aîné ajoute que, si le pilote s'entraîne au-dessus de la mer, c'est pour ne mettre personne en danger s'il venait à s'écraser, qu'il est au nombre des quatre ou cinq meilleurs pilotes d'acrobatie au monde, qu'il a remporté de nombreuses compétitions, que, s'il vole le reste de l'année sur des avions plus rapides et plus modernes, il vient chaque été ici, pendant ses vacances, avec le Stampe démonté dans une remorque, que, en plus de ses exercices quotidiens, il s'entraîne chez lui à rester suspendu au-dessus d'une porte avec des bottes de gravité pour mieux se préparer à voler la tête en bas, que ses pires ennemis sont le voile noir qui, privant le cerveau de sang, peut lui faire perdre toute conscience pendant l'exécution d'une figure très serrée, et aussi l'éblouissement soudain du contre-jour, allié à toute la force de la réverbération du soleil sur la mer et qui, en quelques fractions de seconde, assez en tout cas pour enclencher le mauvais réflexe, peuvent se confondre à jamais dans son champ de vision.

Mais, déjà, le petit biplan se pose. Après deux ou trois cahotements, il s'immobilise sur le gazon. Le pilote arrache un dernier rugissement au moteur, qui répond par un curieux hoquet quand il coupe les gaz. Les deux adolescents s'attendent à voir descendre un dieu, peut-être Apollon lui-même, en tout cas un athlète. Ils aperçoivent un petit homme chauve, les cheveux grisonnants, ne mesurant guère plus d'un mètre soixante, très légèrement bedonnant, les pieds dans des charentaises d'un autre âge, ses lunettes de myope fixées sur le nez et les tempes par du gros sparadrap médical rose qu'il arrache maintenant en faisant la grimace avant de se moucher dans ses doigts, de les nettoyer soigneusement dans l'herbe, et de s'essuyer le visage du revers de sa manche parce que l'incroyable pression qu'il vient d'endurer et le froid intense dans le petit cockpit découvert ont inondé son visage de morve et de larmes. "
Lu dans:
Marcel Cohen. Faits. NRF Gallimard. 2002. 242 pages. Extrait pp. 44-46

"En effleurant, on va plus loin qu’en creusant."
François Mauriac,


Lu dans:
J-C Vantroyen, X Flament. Les contrepieds effrontés d’Yvon Toussaint. Le Soir. 17 décembre 2012 page 19.

22 décembre 2012

De Cyrano à Obélix


"C'est possible.
Mais on n'abdique pas l'honneur d'être une cible."
E Rostand. Cyrano de Bergerac

Les revoilou. Depardieu, Tapie. Tapie, Depardieu. Ils apparaissent, et l'écran bruisse. Ils vivent de la controverse comme d'une friandise rare. Du Cyrano contemporain.


21 décembre 2012

Nantes

"Quand on ne voit pas Le Havre, c'est qu'il pleut.
Quand on voit Le Havre, c'est qu'il va pleuvoir."
Marcel Proust regardant la mer depuis Cabourg


Lu dans:

Monique Verdussen. Aimer, rêver, souffrir. Supplément Lire. LLB 12 novembre 2012. p. 4

17 décembre 2012

Les pépins de la réalité


"Picasso mange la pomme
et la pomme lui dit Merci
et Picasso casse l'assiette
et s'en va en souriant
et le peintre arraché à ses songes (..)
se retrouve tout seul devant sa toile inachevée
avec au beau milieu de sa vaisselle brisée
les terrifiants pépins de la réalité."
Jacques Prévert

Que j'aime Prévert dont la poésie douce-amère colore si bien les récits de mes patients. Ces "terrifiants pépins de la réalité" qu'on dépose sur le bureau, plaintes et peurs, échéances difficiles, attente anxieuse de résultats d'investigations, douleurs sourdes qu'on voudrait bénignes, pertes et deuils, espoirs déçus, silhouettes alourdies, visages ravinés. La pauvreté rend laid, les rues comme les gens, et quand quelques mots choisis d'un poème hors du temps les illumine, nos journées s'en trouvent embellies. 

 
Lu dans:
Jacques Prévert. La promenade de Picasso.

16 décembre 2012

Inaccessibles rêves


"Grand-père bien-aimé, dis-je, donne-moi un ordre. Tu as souri, posé ta main sur ma tête. Ce n'était pas une main, mais un feu multicolore. Et ce feu s'est répandu jusqu'aux racines de mon esprit. - Va jusqu'où tu peux, mon enfant... - Ta voix était grave, sombre, comme si elle sortait de la gorge profonde de la terre. Elle avait atteint les racines de mon cerveau, mais mon cœur n'avait pas tressailli.- Grand-père, criai-je alors d'une voix plus forte, donne-moi un ordre plus difficile, plus crétois. Et brusquement, à peine l'avais-je dit, une flamme a déchiré l'air en sifflant (..) : -Va jusqu'où tu ne peux pas!-"
Nikos Kazantzaki. Lettre au Greco.

On croit deviner au loin la voix éraillée du grand Jacques Brel tenter, "sans force et sans armure, d'atteindre son inaccessible étoile". Transmettre nos impossibles rêves, tout en donnant les moyens de les réaliser, beau programme au soir d'une existence. Un vieux patient ayant beaucoup vécu avait coutume de rappeler qu'on n'apprend rien à retourner sur le terrain de ses réussites, alors que revenir sur le terrain des ses échecs avec de nouveaux outils, mieux adaptés, accompagné de plus jeunes, faisait progresser l'humanité. 

"Le cri que tu as entendu ne vient pas de toi seul. Ce n'est pas toi seul qui parles. D'innombrables ancêtres parlent aussi par ta bouche. Ce n'est pas toi seul qui désires: d'innombrables générations de descendants désirent déjà dans ton coeur. Tes morts ne reposent pas dans la terre. Ils se sont transformés en oiseaux, en arbres, en air. C'est à leur ombre que tu es assis, de leur chair que tu te nourris, de leur haleine que tu te gonfles. Ils sont devenus les idées et les passions qui déterminent ta volonté et tes actes. «Ne meurs pas, sinon nous mourrons!» crient les morts en toi. Nous n'avons pas eu le temps de jouir des femmes que nous avons désirées. Toi, trouve le temps de les aimer! Nous n'avons pas eu le temps de transformer nos idées en actes. Trouve-le, toi! Nous n'avons pas eu le temps de saisir le visage de notre espérance. Toi, saisis-le, fixe-le. Achève notre oeuvre, achève-la! Jour et nuit nous traversons ton corps en criant. Nous ne sommes pas partis, nous ne sommes pas séparés de toi. nous ne sommes pas descendus dans la terre. Nous sommes enfouis au plus profond de tes entrailles et nous continuons la lutte!»
Nikos Kazantzaki. Ancêtres.

Deux textes éclairants de l'oeuvre de Kazantzaki, l'inoubliable auteur de Zorba le Grec dansant le sirtaki sur la plage du "plus magnifique échec de sa vie". Et soudain la scène finale de ce film d'anthologie nous devient compréhensible.   


14 décembre 2012

A l'ouest rien de nouveau


"Je me lève, je suis très calme.
Les mois et les années peuvent venir.
Ils ne me prendront plus rien.
Ils ne peuvent plus rien me prendre.
Je suis si seul et si dénué d'espérance que je peux les accueillir sans crainte. "
Erich Maria Remarque. A l'Ouest, rien de nouveau. 1928

Un regard d'un écrivain allemand sur la première guerre mondiale: l'absurdité d'une guerre et le désespoir d'une génération sacrifiée. Paul, un jeune soldat de 19 ans raconte sa vie dans les tranchées, dans l'attente de l'armistice imminente et devant le vide de l'avenir qui s'ouvre devant lui. "L'armistice va venir bientôt; maintenant, je le crois, moi aussi. Alors, nous rentrerons chez nous; c'est à quoi s'arrêtent mes pensées. (..) Si nous étions rentrés chez nous en mil neuf cent seize, par la douleur et la force de ce que nous avions vécu, nous aurions déchaîné une tempête. Si maintenant nous revenons dans nos foyers, nous sommes las, déprimés, vidés, sans racine et sans espoirs. Nous ne pourrons plus reprendre le dessus.  (..) On ne nous comprendra pas non plus, car devant nous croît une génération qui, il est vrai, a passé ces années·là en commun avec nous, mais qui avait déjà un foyer et une profession et qui, maintenant, reviendra dans ses anciennes positions, où elle oubliera la guerre; et, derrière nous, croît une génération semblable à ce que nous étions autrefois, qui nous sera étrangère et nous écartera. Nous sommes inutiles à nous-mêmes. Nous grandirons; quelques-uns s'adapteront; d'autres se résigneront et beaucoup seront absolument désemparés; les années s'écouleront et, finalement, nous succomberons. (..) Je me lève, je suis très calme. Les mois et les années peuvent venir. Ils ne me prendront plus rien. Ils ne peuvent plus rien me prendre. Je suis si seul et si dénué d'espérance que je peux les accueillir sans crainte. La vie qui m'a porté à travers ces années est encore présente dans mes mains et dans mes yeux. En étais-je le maître? je l'ignore. Mais, tant qu'elle est là, elle cherchera sa route, avec ou sans le consentement de cette force qui est en moi et qui dit «Je». 

Il tomba en octobre mil neuf cent dix-huit par une journée qui fut si tranquille sur tout le front que le communiqué se borna à signaler qu'à l'ouest il n'y avait rien de nouveau. Il était tombé la tête en avant, étendu sur le sol, comme s'il dormait. Lorsqu'on le retourna, on vit qu'il n'avait pas dû souffrir longtemps. Son visage était calme et exprimait comme un contentement de ce que cela s'était ainsi terminé. 


Lu dans:
Erich Maria Remarque. À l'Ouest rien de nouveau. 1928. Le Livre de Poche (1973) 224 pages. 

13 décembre 2012

If


"Si tu sais méditer, observer et connaître
sans jamais devenir sceptique ou destructeur;
rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
penser sans n'être qu'un penseur
     ... tu seras un homme mon fils."
Rudyard Kipling.

Comme un oiseau au hasard d'une branche, ce fragment de Kipling a voleté dans mes pensées ce soir. Que transmettons-nous à nos proches de ce qui tisse nos existences, et qui soit essentiel? Peu, car s'il est difficile de partager nos avoirs, que dire de notre être? Quel risque aussi que de partager des convictions temporaires, aussitôt démontées par les expériences, les échecs et les rencontres. L'histoire personnelle de Rudyard Kipling l'illustre de manière dramatique. Premier Prix Nobel de littérature anglophone, il écrit le célèbre "If" qui reste le texte préféré des Anglais, exhortation au contrôle de soi et au stoïcisme, indéniablement son plus beau poème. Cinq ans plus tard son fils, le lieutenant John Kipling, est tué à la bataille de Loos en 1915. Dans sa douleur, le père écrit ces lignes amères: « Si quelqu'un veut savoir pourquoi nous sommes morts, / Dites-leur : parce que nos pères ont menti » ("If any question why we died/ Tell them, because our fathers lied"). Il est possible que Kipling ait éprouvé un sentiment de culpabilité pour avoir contribué à faire entrer son fils dans la garde irlandaise de la British Army, alors que le jeune homme avait été réformé à cause de sa myopie. Il ne s'en remit guère, mais "If" demeura contre vents et marées attaché à sa légende. 

12 décembre 2012


 "Je sauve les rêves en plein jour en les photographiant."
Amaury da Cunha, rédacteur photo au Monde.
 
 
Lu dans:
Amaury da Cunha. Après tout. Le Caillou bleu, 2012. 64 p.

11 décembre 2012


"Il n’aurait fallu qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue alors est venue
Qui a pris la mienne."
     Aragon 
  

Commedia dell'arte


"Combien de fois faudra-t-il donc que je te tue pour que tu meures ?"
 Philippe de Broca, Le Bossu (1997)

Psychodrame politique en Italie, où réapparaît le vieux chef que l'on croyait presque mis en bière. 

Lu dans:
Philippe Ridet.  Berlusconi repart du terrain (de football). Blog Campagne d'Italie. Le Monde en ligne. 8.12.12

09 décembre 2012

Un jour de progrès


" Je me suis demandé pourquoi tous les efforts des politiciens étaient impuissants contre les maux de l'Europe, et j'ai vu qu'il n'y avait de salut pour elle que dans une réorganisation générale. "
Saint-Simon (1760-1825)

L’Union européenne recevra ce lundi 10 décembre à Oslo le prix Nobel de la paix. Dans sa déclaration du 12 octobre 2012, le comité norvégien du Nobel dit avoir voulu honorer le rôle stabilisateur joué par l’UE, qui a su transformer la plus grande partie du continent européen, marqué par la guerre, en un continent de paix.

08 décembre 2012

Et pourtant elle tourne


«Galilée: la gloire de cet homme de génie repose surtout sur des découvertes qu'il n'a jamais faites, et sur des exploits qu'il n'a jamais accomplis. Galilée n'a pas inventé le télescope, ni le microscope, ni le thermomètre. Ni l'horloge à balancier. Il n'a pas découvert la loi d'inertie; ni le parallélogramme de forces ou de mouvements; ni les taches du soleil. Il n'a apporté aucune contribution à l'astronomie théorique, il n'a pas laissé tomber de poids du haut de la tour de Pise, il n'a pas démontré la vérité du système de Copernic. Il n'a pas été torturé par l'Inquisition, il n'a point langui dans ses cachots, il n'a pas dit "eppur si muove", il n'a pas été un martyr de la science. Même la célèbre formule «Et pourtant elle tourne» (Eppur si muoue) est apocryphe. Elle a été inventée en 1757, largement plus d'un siècle après la mort de l'astronome, par un libelliste italien installé à Londres, Giuseppe Baretti, qui écrivait pour des lecteurs anglais dont il flattait l'antipapisme."
Arthur Koestler

Les légendes ont la vie dure, souvent réécrites en fonction de l'idéologie dominante de l'époque où elles se créent. Celle de Galilée, dont d'aucuns croient parfois qu'il est mort sur le bûcher de l'Inquisition, y participe. L'antipapisme s'est subtilement modifié au fil des siècles, et décrire un esprit novateur mortellement persécuté par les préjugés religieux reste porteur. Comme l'écrit Jean Sévillia dans un chapitre qu'il lui consacre, la sentence prononcée contre lui par le tribunal du Saint Office le 22 juin 1633, apparaît pourtant bien plus modérée que ce que l'Histoire en a retenu. II est lui est interdit d'enseigner la théorie copernicienne et de se livrer à l'interprétation des Écritures. Une formule d'abjuration lui est imposée, et le Dialogue est mis à l'Index. L'auteur est condamné à une peine de prison dont la durée n'est pas spécifiée, ainsi qu'à la récitation, une fois par semaine, pendant trois ans, des sept psaumes de la pénitence - peine que l'astronome obtiendra de faire dire par sa fille aînée, qui est religieuse. En guise de prison, Galilée est d'abord assigné à résidence chez l'ambassadeur de Florence, dont le palais n'est autre que l'actuelle Villa Médicis. Au bout de deux semaines, il est autorisé à se rendre à Sienne, où il s'installe chez l'archevêque, un de ses amis. Cinq mois plus tard, Urbain VIII accorde à l'astronome la permission de regagner Florence. C'est dans sa demeure d'Arcetri, dans la campagne florentine, que Galilée va désormais vivre. Poursuivant son travail de recherche, recevant élèves et amis, il écrit son dernier livre, celui que les spécialistes considèrent comme son apport principal à la science: les Discours, un traité sur la dynamique et les lois du mouvement, publié à Leyde en 1638. Galilée meurt en 1642, à 78 ans. 

Lu dans:
Arthur Koestler. Les somnambules. Calmann-Lévy. 1961. 595 pages. 
Jean Sévilla. Historiquement incorrect. Fayard. 2011. 360 pages. Extrait pp.82,83 

07 décembre 2012

Le fromage évanoui


" Qu'advient-il du trou lorsque le fromage a disparu ?  »
Bertolt Brecht

Grandeur et servitude, tous les membres de l'ancienne équipe dirigeante de Fortis ont été inculpés hier pour les trois mêmes motifs: manipulation de cours, escroquerie et faux en écriture: le trou. Fortis-ABN Amro-Royal Bank of Scotland et Banco Santander: le fromage, un rêve aujourd'hui évanoui. 

06 décembre 2012

Sagesse d'enfance


"Dans un jardin public un homme observe un petit garçon en larmes dont les deux barquettes à la confiture viennent de tomber dans le sable. Et il découvre que son extrême légèreté, ce jour-là, doit autant à l'après-midi ensoleillé, et aux quelques minutes qu'il est en train de voler à ses activités professionnelles, qu'au drame de l'enfant proprement dit.
«Tant d'années pour émerger et en avoir eu si peu conscience jusqu'ici », se dit l'homme en songeant au cortège des malheurs ordinaires de l'enfance : la peur panique de l'obscurité lorsqu'il fallait se coucher. Les genoux entaillés après une chute sur l'asphalte. La morsure de l'alcool sur la plaie vive. Les poches percées et ses plus belles billes disparaissant dans une bouche d'égout. Ses jouets favoris brisés, perdus ou volés. Les chaussures trop petites, ou trop grandes. L'ennui irrépressible, certains jours, parce qu'au square personne n'acceptait un compagnon de jeu inconnu. La grisaille de l'itinéraire, quatre fois par jour, pour aller à l'école communale et en revenir. La peur d'être montré du doigt par le maître. Un temps étale enfin, sans la moindre  aspérité, et la perspective des plus grandes joies elles-même qui paraissait toujours se perdre dans un futur improbable."
Marcel Cohen

Belle occasion de placer une description de souvenirs d'enfance ce 6 décembre. Belle Saint Nicolas à ceux qui peuvent encore la vivre.

 
Lu dans:
Marcel Cohen. Faits. NRF Gallimard. 2002. 242 pages. Extrait pp.227,228

05 décembre 2012

Une décennie de paix


"(..) pour la violence internationale, les guerres proches ou lointaines, les télespectateurs que nous sommes sont persuadés que le monde est à feu et à sang. Or ce n'est pas toujours vrai. Les guerres sont plus "visibles" en temps réel, mais il peut arriver que leur intensité diminue. Si l'on quantifie en nombre de morts la violence guerrière, (..) la décennie 2001-2011 aura été la moins meurtrière que le monde ait connu depuis plus d'un siècle. Entre 2001 et 2011, les différentes guerres (Irak, Darfour, Afghanistan, Congo, etc.) ont fait moins d'un million de morts en dix ans. Le chiffre glace le sang, mais il n'est rien si on le compare à celui de la décennie précédente soit les années 1990-2000 (Tchétchénie Rwanda et Grands Lacs), ou à celui des années 1980  (Irak-Iran, Erythrée, intervention soviétique en Afghanistan), ou encore à celui des années 1970 (Vietnam, Cambodge, Angola, Bengladesh). Il faut remonter à la période 1815-1840, celle qui suit les hécatombes des guerres napoléoniennes, pour retrouver un étiage de victimes aussi bas que durant les années 2001 à 2011. Imaginons un grand journal ou une chaîne de télévision qui titrerait: Le monde connaît une accalmie sans précédent depuis un siècle: (..) il serait jugé irresponsable ou provocateur."
Jean-Claude Guillebaud.

Lu dans:
Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible. L'Iconoclaste. 2012. 215 pages. Extrait pp. 193-195 

03 décembre 2012

A l'aune du Temps


«Votre demande me met dans l'embarras, car je mène une vie d'ermite et, depuis des années, celle aussi d'un homme malade, et ne peux recevoir de visite, non plus que m'intéresser à la diffusion et à la traduction de mes écrits. Il y a longtemps que je n'ai plus d'orgueil et ne fais fondamentalement plus rien pour la connaissance de ceux-ci. Si, cinquante ans après ma mort, quelqu'un quelque part sur terre s'y intéresse encore, tout pays pourra aller puiser et s'approprier dans mon œuvre ce qui lui conviendra. En revanche, si, dans cinquante ans, on a oublié mes écrits, c'est qu'ils n'étaient pas indispensables.»
H. Hesse.


Lu dans:
François Mathieu. Hermann Hesse, poète ou rien. Calmann-Lévy. 2012. 542 pages. Exergue. 

Paroles d'aujourd'hui


"Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,

Qui se bat pour un quignon de pain
Qui meurt pour un oui ou pour un non."
 Primo Levi (Se questo è un uomo - Si c'est un homme)

Dernière page d'un livre émouvant, qui se termine par l'évocation de son père ouvrier. Les paroles de Primo Levi n'ont rien perdu de leur force, ni de leur actualité. 

 
Lu dans:
Max Gallo. l'oubli est la ruse du diable. Edtions XO. 2012. 397 pages. Extraits p.389

02 décembre 2012

L'oubli est la ruse du diable


"- C'est d'avant toi, tout ça, avait-il dit en se penchant sur cette machine à écrire dont il commençait à visser le clavier. Puis il faisait fonctionner le tabulateur, glissait une feuille de papier dans le tambour qu'il tournait et elle surgissait, blanche, vierge. Mon père commençait à nettoyer la machine, astiquant chaque touche, caressant le bâti métallique jusqu'à ce qu'il brille. -  Comme neuve, disait-il en se reculant. Il ne la quittait pas des yeux, m'expliquant qu'elle était destinée à la casse, qu'elle avait donc été rayée de l'inventaire du matériel. Puis il l'avait soulevée, l'avait tournée et poussée vers moi. - Elle est pour toi. Tu peux gagner de grandes batailles avec ça. (..) Et, agenouillé devant elle, j'ai frappé, touche après touche, doigt après doigt, mes premiers mots italiens: « Mafalda divina commedia. » Ainsi a commencé ma deuxième vie.
Max Gallo
Comme le résume bien François Busnel dans L'Express de ce mois, "c'est le livre que l'on n'attendait plus et qui, pourtant, explique tous les autres. Max Gallo signe, à 80 ans, ses Mémoires. Il trouve le ton juste pour raconter ses failles et ses fêlures.." Aujourd'hui à la tête d'une bibliographie qui compte une centaine de titres, membre de l'Académie française, ancien porte-parole de François Mitterrand, ancien député de sa ville natale, ancien patron de presse, cet historien n'a rien oublié de ses origines d'Italien immigré à Nice, fils d'ouvrier n'ayant autre horizon qu'un bac technique. Intime des grands intellectuels de son temps (qui furent aussi de grands écrivains) : l'ombre de Jean-François Revel et de Raymond Aron plane sur ce beau livre qui se dévore comme un thriller. 

Lu dans:
Max Gallo. l'oubli est la ruse du diable. Edtions XO. 2012. 397 pages. Extraits pp.168, 165.

01 décembre 2012

Sagesse cistercienne


"Que chacun s'efforce de ne pas être en dissidence avec soi-même.
Connais ta propre mesure
Tu ne dois ni t'abaisser ni te grandir, ni t'échapper ni te répandre.
Avance donc avec précaution dans cette considération de toi-même.
Sois envers toi intransigeant.
Evite lorsqu'il s'agit de toi l'excès de complaisance et d'indulgence. »

Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux (1090-1153)
  
Lu dans:
Max Gallo. L'oubli est la ruse du diable. Editions XO. 2012. 397 pages. Extrait p 523.