31 janvier 2012

Les chagrins de pluie et de mer

"Si le souvenir du bonheur n'est plus du bonheur
le souvenir de la douleur est de la douleur encore."
Byron
C'était du Duras, un texte de pluie et de mer
l'odeur du tabac chaud - du Signature 2010 -
et Satie au piano jouant Gymnopédie
il ne restait qu'une minute avant le chagrin
avant le téléphone    la voix est chère mais un peu étrange
annonce la fin des années d'insouciance.  

Il ne faut jamais éluder trop vite les récits de vie de nos patients. Toute la sagesse du monde s'y trouve plus dense que dans tous les livres de philosophie.  De leurs doigts gourds, ils nous décrivent leur existence, et les multiples recettes de l'apprentissage du malheur. Je ne connais de meilleurs maîtres que ces êtres simples dont l'infortune a soudain envahi l'existence. 

30 janvier 2012

Rêver que ce n'est pas vrai

"Dans grève, il y a rêve..."
Anonyme
« Les jeunes descendent dans la rue, et ils ont raison. Il fut un temps où les étudiants descendaient dans la rue pour manifester pour des choses très spécifiques. Aujourd’hui, ils descendent sans demande particulière. Mais avec une sorte de désarroi profond, comme face à un grand vide." T. Angelopoulos.

Le cinéaste grec de l' "Eternité plus un jour" est décédé accidentellement la semaine passée. Il aimait la Grèce comme on aime une mère, une femme ou sa fille et la voir exsangue l'insupportait. On ne pourra s'empêcher d'entrevoir nos sorts se rejoindre dans les craintes exprimées ce lundi au-travers d'une grève générale aussi insolite que désespérante. 

Lu dans:
Fabienne Bradfer. L’éternité pour Théo Angelopoulos. Le Soir. 26 janvier 2012

28 janvier 2012

Le temps des orages

"Quand vinrent les orages            dans mon sauve qui peut
à préserver un rayon de soleil       un grain de poussière
que d'entraves                             que de hâte à pousser mon maigre butin
que d'entraves                             un entrelacis d'entraves
un aiguillon dans les reins

vers quel endroit           où souhaites-tu que ton esclave se rende
vers quel horizon          j'en ai perdu jusqu'au nom
vers quel endroit          où souhaites-tu que ton esclave se rende

quand vinrent les orages             dans mon sauve qui peut
à préserver un rayon de soleil     un grain de poussière
que d'entraves                           que de hâte à pousser mon maigre butin
que d'entraves                           un entrelacis d'entraves
me firent t'aimer       comme un esclave aime son maître
mais dis-moi où
dis-moi où
dis-moi où."

Magie de Léonard Cohen, mots d'amour et de nostalgie, traduits le mieux que je pus.  Une mélodie épurée, que l'on découvre en ayant l'impression qu'elle existait déjà de toute éternité. Un pur chef d'oeuvre. 

Léonard Cohen. Old Days (janvier 2012). Show me the place.

Etrangers sur la terre

“Il y a trop d’étrangers dans le monde.”
F. Murgia. Exils
Ils sont vieux maintenant, croqués par la profession et les naissances. Nous partageons le même quartier, le même métro, les mêmes commerces, le même bureau de vote depuis trente cinq ans. Une différence toutefois, si on m'appelle "monsieur le docteur", on les affuble maintenant du vocable de "norvégiens". Cela fait une différence. Quand ils rentrent au Maroc en juillet, on les appelle "les Belges", devenus des étrangers au carré en quelque sorte, n'étant chez eux nulle part. Un humoriste complice me souffle: il déteste à tel point les étrangers que lorsqu'il va dans leur pays, il ne peut pas se supporter. 
        
Lu dans:
Fabrice Murgia. Exils. Au Théâtre National jusqu’au 11 février 2012
Raymond Devos, Xénophobie

27 janvier 2012

Chanson bleue

Je vais te faire une chanson bleue
Pour que tu aies des rêves d'enfant
Où tes nuits n'auront plus de tourments.
Alors, le jour, tu vas chanter
Pour que les autres puissent espérer...
Quand le monde l'aura appris,
Tu pourras quitter la vie.
Tu viendras chanter dans les cieux...
...Chanson Bleue...
Dans: Chanson Bleue - Edith Piaf
Merci à Nicole Heureux qui transmet ce texte 

Des idées sans âge

"La dépression n’est pas comme un rendez-vous galant raté ou un week-end qui s’est mal passé. La dépression clinique, c’est comme si le background de toute votre vie s’effondrait. Que tout vole en morceaux."
Léonard Cohen

Etonnante observation dans la bouche d'un mythe vivant qui diffuse sagesse et sérénité, après avoir connu les heures les plus sombres. Léonard Cohen édite ce jour un nouvel album "avec des idées sans âge" ("Old Ideas"). Avec sagesse, il suggère de "ne jamais se plaindre avec désinvolture. Et si l'on exprime la grande défaite inévitable qui nous attend tous, cela doit être fait dans les limites strictes qu'imposent la dignité et la beauté. » 
Décrire la dépression comme un effondrement de son passé, alors qu'elle est fréquemment diagnostiquée par une perte totale de perception d'avenir, est déconcertant: on perd pied quand les socles s'effondrent. Ceux qui eurent la chance d'écouter le dernier opus du chantre canadien suggèrent qu'il s'agit d'une bonne thérapie. 

Lu dans:
Thierry Coljon. Le tofu de nos émotions. MAD 25 janvier 2012. Extrait p.20

25 janvier 2012

Point de vue

 "Tant que les lions n'auront pas leurs historiens et leurs conteurs, les récits de chasse seront toujours racontés à l'avantage des chasseurs."
Sagesse africaine
  
Lu dans:
Cathérine Makereel. Loin du misérabilisme, l'exil selon Hamadi. MAD. 25.1.12. p.32 

C'est quand qu'on va où?

"L' âge adulte de l'humanité sera atteint, s'il l'est jamais, le jour où l'homme aura découvert qu'il n'a pas à chercher un sens au monde mais à le lui donner."
T. Maulnier.
Ecrits en 1989, ces mots participaient à l'élan d'un "nouvel ordre mondial" qui résiste mal aux effondrements du début du XXIème siècle. Plus modestement, chacun est déjà heureux aujourd'hui s'il peut appliquer la phrase à sa propre existence. 

Lu dans:
Thierry Maulnier. Les matins que tun ne verras pas. Gallimard. NRF. 1989. 210 pages. Extrait p. 143 

24 janvier 2012

La trajectoire des galets

"L'océan était d'un calme songeur qui surprend. j'ai jeté un galet plat d'un geste dont je ne me souvenais même plus. Une belle trajectoire. Le galet a affleuré l'eau et a rebondi trois ou quatre fois. Mon apaisement en constatant que les pierres acceptaient encore de se conduire comme autrefois. "
P. Hebey
Lu dans :
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. Gallimard. NRF. 1998. 221 pages. Extrait p 178

23 janvier 2012

Travail de nuit

"Le réveil me repêcha de mon sommeil à huit heures du matin, de la même façon que les grues sur les quais ramènent à la surface les voitures toutes velues d’algues, qui ne savent pas nager."
L. Antunes

Nuit peuplée. Des personnages de Jérôme Bosch et de James Ensor frappent à ma porte en permanence, soucieux qu'on les sorte de leur enfer. Au réveil, le téléphone me ramène à la même réalité.  

Lu dans:
Lobo Antunes. Je l’ai vu, j’y étais.  Poche. 1998 

22 janvier 2012

Le parfum des amours impossibles


"Passe la jeune monitrice de la plage. Elle est avec l'enfant. Il marche un peu à côté d'elle, ils vont lentement, elle lui parle, elle lui dit qu'elle l'aime, qu'elle aime un enfant.  (..) Elle lui dit qu'il se souviendra toute sa vie de cette soirée d'été et d'elle. Elle lui dit que lorsqu'il aura dix-huit ans, s'il se souvient de la date et de l'heure du 30 juillet, minuit, il pourra venir, qu'elle y sera. Elle lui dit de bien regarder, ce soir, les étoiles, la mer, la ville là-bas, tous ces bateaux de pêche, ces bruits, écoute, que c'est l'été de ses six ans."
Marguerite Duras. Un été 80.

Lundi soir, aux Riches Claires, Monique Dorsel lisait Duras. L'histoire dépouillée d'une jeune fille et d'un enfant, d'un amour fugace sans avenir comme un être humain peut en rencontrer dans sa longue trajectoire, d'une pureté et d'une impossibilité absolues. On ne sait qui de Marguerite Duras ou de Monique Dorsel portait davantage la mélodie des phrases, peu importe quand survient l'instant magique d'un texte qui prend vie. On sort plus lumineux de pareille soirée. 

Lu dans:
Marguerite Duras. L'été 80. Les Editions de Minuit. 1980, 2008 (Collection Double) . 103 pages. Extrait pp 36-37

21 janvier 2012

Du pain et de la monnaie

"Vous avez du pain?" - "Ce sera 1.50€, et 50 cents en supplément pour la coupe." - "Je le couperai moi-même." - "Dans ce cas, le supplément n'est que de 30 cents."
"Vous avez du pain?" - "Monsieur, c'est 1€ de droit d'entrée." - "Du jamais vu, je m'en vais". "Dans ce cas, comptez 1€ supplémentaire de droit de sortie."
Morale. On ne devrait pas accepter de son banquier ce qu'on refuse à son boulanger.
Publicité Deutsche Bank

Publicité légère, qui m'a fait sourire. On se souvient mieux des personnes qui vous ont fait rire.

20 janvier 2012

L'amour grandeur réelle

"On peut vivre d'amour et d'eau fraîche, mais on rêve que l'eau soit du champagne."
Maya Barsony, Service public, France Inter (19.1.12)
  

19 janvier 2012

Avec le vent la pluie

"Quelqu'un enfonce
Des clous quand l'eau éveille
L'espoir du soleil."
J. Botquin

Pluie hostile ce matin. Me revient ce vers de Tibulle: " Qu'il est doux d'entendre les vents déchaïnés quand on est dans son lit." L'espoir du soleil m'aide à me lever.

Lu dans:
Jean Botquin. Les haïkus de la pluie. http://jeanbotquin.blogspot.com/2009/06/les-haikus-de-la-pluie-jb.html

18 janvier 2012

Infimes transformations de la partition initiale

"A l'un de ses disciples qui proposait de creuser des canaux d'irrigation dans le potager, Confucius, l'arrosoir à la main, répondit : "Qui sait où cela nous mènerait."
Sylvain Tesson.

En 2000, on se soucie moins de ces minuscules libertés prises avec l'ordre des choses: l'entreprise de commerce de détail Wall Mart (2 millions d'employés), la tour Burj Khalifa à Dubaï (826 mètres, 160 étages) , l'Airbus A380-800 (853 passagers, 150 tonnes de fret) ou encore le paquebot Oasis of the Seas (6000 passagers, 2000 membres d'équipage) sont nos tours de Babel destinées à atteindre le ciel. On se surprend à imaginer qu'il y a moins d'un siècle "le coq disait l'aube, le chien l'étranger, le cor la chasse, le carillon de l'église marquait l'heure, la trompe la diligence, le glas la mort, les rares violons des musiciens ambulants signalaient la fête annuelle" (Pascal Quignard). Est-ce se montrer passéiste que de penser qu'un jour il nous faudra retrouver une voie médiane ?  
 
Lu dans:
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait page 207
Pascal Quignard. La haine de la musique. Gallimard. Collection Folio. 1997, N°3008, Première édition : Calmann-Lévy - 1996. 

15 janvier 2012

Notre vie commune commence

"Et c'est à chaque fois le même éblouissement et le même mystère. Qu'un moi aussi improbable ait rencontré sur une route hasardeuse une toi construite de mille incertitudes relève du pari impossible. Que ces deux-là aient donné vie à cet enfant fragile m'émerveille. "

Basile rejoint Jeanne chez Aline et Benoît. Elle savait que Maman était en attente de vie, avait pu mettre sa petite main sur le ventre rond, sentir les coups de vie donnés par de minuscules pieds, imaginer son odeur, ses contours, la voix de son petit frère en construction. Tu occuperas le petit lit bateau, je prendrai le lit bureau, je t'écouterai respirer la nuit. Notre vie commune commence. 

Pour ma part , je ne résiste pas au bonheur d'un plongeon dans le passé. On ne peut mieux accueillir le petit Basile qu'en redécouvrant sa bande , qui enchanta les soirées endiablées de nos jeunes années. 
http://entrecafejournal.blogspot.com/2012/01/blog-post.html 

Lu dans:
Le carnet Moleskine.  Ed. Eranthis. p.29

Bienvenue à Basile









On ne peut imaginer plus joyeux accueil à Basile qu'en redécouvrant sa bande , qui enchanta les soirées de nos jeunes années...

Une pure beauté

"Un homme et une femme assis à la pointe d’un ponton, contemplant une coucher de soleil sur une haie de yachts dans un petit port de la Côté d’Azur, et lui : « C’est si beau que, dans ces moments-là, un seul mot peut venir à l’esprit : pognon… ».
Sempé. Rétrospective Sempé exposée à l'Hôtel de Ville de Paris jusqu'au 11 février 2011. 
  

14 janvier 2012

Recettes de liberté

"Dans Les Racines du ciel, Romain Gary campe un détenu des camps de la mort plus solide que ses compagnons. Le soir, sur le châlit, il ferme les yeux, se représente les troupeaux d'éléphants sauvages. Savoir que là-bas, dans la savane, vivent des monstres libres suffit à lui raffermir l'âme."
cité par Sylvain Tesson

A chacun sa méthode. Dans "Si c'est un homme", Primo Levi décrit un prisonnier échangeant ses rations alimentaires pour du savon, soucieux de se raser et de se trouver dans une tenue propre tous les jours, question de dignité humaine. D'autres s'insurgèrent, tels les détenus des camps de Treblinka et de Sobidor, épisodes peu connus de l'histoire des camps. Insurrection armée qui vit s'évader de Treblinka en flammes 600 des 1000 prisonniers qui s'y trouvaient. Un an plus tard, à l'arrivée de l'Armée rouge, il ne restait des insurgés en fuite qu'une cinquantaine de survivants, les autres ayant été tués le jour de la révolte ou dans les mois qui suivirent. Ne pas s'enfuir n'était pas moins risqué: après le soulèvement, les SS assassinèrent tous les déportés restés sur place. La totalité du camp fut détruite et une ferme y fut implantée. 

Lu dans:
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait page 110
P. Levi. Si c'est un homme. Julliard, 1987, rééd. en 2002
La révolte du camp de Treblinka.  http://d-d.natanson.pagesperso-orange.frtreblinka.htm#plan
Wikipedia. Insurrection du camp de Treblinka http://fr.wikipedia.org/wiki/Treblinka

12 janvier 2012

Ne pas nuire

"Aujourd'hui, je n'ai nui à aucun être vivant de cette planète. Ne pas nuire. Étrange que les anachorètes du désert n'avancent jamais ce beau souci dans les explications de leur retraite. Pacôme, Antoine, Rancé évoquent leur haine du siècle, leur combat contre les démons, leur brûlure intérieure, leur soif de pureté, leur impatience à gagner le Royaume céleste, mais jamais l'idée de vivre sans faire de mal à personne. Ne pas nuire. Après une journée dans la cabane des Cèdres du Nord, on peut se le dire en se regardant dans les glaces. "
S. Tesson 
Lu dans:
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait page 108

11 janvier 2012

Le temps, ma patrie

"L'homme libre possède le temps. L'homme qui possède l'espace est simplement puissant."
Sylvain Tesson
Jeux sur la plage avec les chiens , qui ne se lassent de rapporter l'os qu'on leur lance. Ces maîtres nous apprennent à peupler la seule patrie qui vaille: l'instant. Comme le note Tesson, "notre péché à nous autres, les hommes, c'est d'avoir perdu cette fièvre du chien à rapporter le même os. Pour être heureux, il faut que nous accumulions des dizaines d'objets de plus en plus sophistiqués. La pub nous lance son « va chercher ! ». Le chien a admirablement réglé le problème du désir. 

Lu dans:
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait page 72, pp. 155-156.