28 février 2011

Les puits non-encore creusés

"En avant, Mars."

Je crois l'avoir déjà utilisée, mais elle m'amuse toujours autant. Les éphémérides de ce troisième mois de l'année nous apprennent qu'entre le 1er et le 31 mars nous gagnerons deux heures de luminosité, saluerons l'éclosion fragile de la nature, fêterons le printemps astronomique (le 21) et le retour de l'heure d'été (le 27). Il ne m'en faut pas plus pour sentir la grande fatigue de l'hiver prendre ses quartiers, renaître l'impatience du lendemain, des rêves de fondation et des curiosités inusitées. Le Deutéronome y fait allusion lorsqu'il évoque "la terre promise, avec ses villes que l'on n'a pas encore construites, ses maisons que l'on n'a pas remplies, ses puits que l'on n'a pas creusés, ses vignes et ses oliviers que l'on n'a pas encore plantés (Dt 6,10-12)." Afin de retrouver en nous cette joie qu'évoquait Bernanos lorsqu'il parlait de l'« espérance violente des matins ». Quel programme !

Lu dans:
Jean-Claude Guillebaud. La confusion des valeurs. DDB. 2009. 275 pages. Extrait p.75

27 février 2011

Entre contrainte et interdit

"On n'interdit plus, on empêche."
Jean-Pierre Lebrun
Qu'il s'agisse de plots ancrés dans les trottoirs de nos placettes pour nous empêcher de stationner sur les trottoirs - nous forçant à nous extraire de notre véhicule au prix de contorsions grotesques - , de barrières automatiques, de fosses caillouteuses et cloutées balisant les rails de tram en passage protégé, de badges d'accès et bientôt d'éthylomètres intégrés au démarrage des véhicules , l'obligation morale de respecter des consignes semble définitivement remplacée par un faisceau de contraintes physiques subtiles nous ôtant jusqu'à la possibilité de braver l'interdit. L'organisation de l'espace public n'est d'ailleurs pas seule à se voir ainsi profondément modifiée: du refus de certains caractères lors du remplissage de formulaires informatisés à l'avalage des cartes de banque en cas d'erreur, en passant par l'itinéraire obligé serpentant dans un espace Ikéa, nous voilà désormais pris par la main - à la fois guidé et empêché - tout au long de notre activité quotidienne , pour notre plus grande sécurité apparente et celle d'autrui. L'organisation de la vie en commun y gagne peut-être, la responsabilisation de l'homme-citoyen s'en voit réduite.

Le choix de transgresser et la construction mentale de l'interdit demeuraient depuis Adam (et la pomme) le fondement de notre humanité. Cette subtile modification qui envahit nos existences, pour séduisante qu'elle soit puisqu'elle supprime jusqu'à l'idée de punition pour une faute qu'on ne peut plus commettre, constitue plus que toute autre un recul dont nous ne mesurons pas la portée.

L'hiver craque aux entournures

"À soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d'été. Il y aura encore de jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. Mais c'est ainsi : on est sûr d'avoir franchi le solstice. C'est peut-être un bon moment pour essayer de garder le meilleur, (..) rester léger dans les instants, avec les mots."
Philippe Delerm.
Ce matin, les oiseaux ont salué mon lever, et vendredi j'en ai entendu timidement s'essayer la voix. Il y a comme un frémissement dans l'air, signes prémonitoires de toute une population d'être engourdis qui va dire au bonhomme Hiver "Dégage".

Lu dans :
Philippe Delerm. Le trottoir au soleil. Gallimard. 2011. 192 pages

26 février 2011

Migraine à flux tendu

"J’ai une migraine ! Infernale !
C’est comme si... il y avait un métro
qui me traversait la tête. "
Raymond Devos. Migraine infernale.


"Hallucinant tournis mondial. Les nouveaux modes de gestion « à flux tendus» aboutissent à ce que les stocks de produits, en réalité, ne sont plus dans des dépôts mais sur les routes ou les océans. (..)
Question simple: est-il tout simplement raisonnable de faire parcourir quinze mille kilomètres à une cervelle d'agneau congelée ou à une grappe de raisin pour la mettre à notre disposition? (..) Marchandises qui, parfois, se croisent absurdement sur les océans."

Lu dans:
Jean-Claude Guillebaud. La confusion des valeurs. DDB. 2009. 275 pages. Extrait p.172

25 février 2011

Les amis essentiels

"Puisses-tu
au vent de ta branche
garder tes amis essentiels."
René Char

Me revient le récit que font Jean-Pierre et Rachel Cartier du retour du vieux philosophe Karlfried Graf Dürckheim dans sa chaumière en Forêt Noire, après une vie imprégnée des questions et des drames du XXe siècle. Il jette ses agendas et carnets d'adresse, limitant son activité à recevoir individuellement des femmes et des hommes en quête de sens. Ceux qui tiennent à le rencontrer sauront aisément le retrouver, sourit-il en notant que sa vue devient déficiente et que ses genoux ne font absolument plus ce qu'il attend d'eux, alors autant réduire la voilure de ses ambitions. Il meurt en 1988 à 92 ans. Comme le conclut l'article de Wikipedia qui lui est consacré, il n’y a qu’une sagesse, elle est là où vous rencontrez un sage.


Lu dans:
L'eau à la bouche. Colette Nys-Mazure. Ed. Desclee De Brouwer. 2011.149 pages. Extrait p.40.
Prophètes d'aujourd'hui. Jean-Pierre et Rachel Cartier. Éd. Albin Michel. 1992. Collection Espaces libres. 336 pages

23 février 2011

Le désir du désir de l'autre

"Le bonheur c'est de continuer à désirer ce qu'on possède."
Saint Augustin
Une récente et amusante observation de mes frères humains m'a remis en mémoire ce récit d'un groupe de singes face à un régime de bananes, toutes identiques. Une d'elles, un peu à l'écart, suscite l'envie d'un des singes qui tente de la saisir, provoquant la bagarre générale car soudain tous la convoitent et n'entendent la céder à aucun autre. "Rien de spécial ne distingue la banane disputée, sauf que le premier à choisir a jeté son dévolu sur elle - et cette sélection initiale, aussi fortuite soit-elle, a déclenché une réaction en chaîne de désirs mimétiques, avec pour résultat que cette banane-là est soudain apparue préférable à toutes les autres." Chez les animaux, certes, ces rivalités n'aboutissent pas à la mort, en vertu d'un "schéma de dominance" qui postule que l'individu dominant n'est jamais dans l'obligation de céder. Il n'en va pas nécessairement de même chez l'homme, cette "créature qui ne sait pas quoi désirer et qui se tourne vers les autres afin de se décider". (René Girard) On désire ce que les autres désirent pour la simple raison qu'on imite leurs désirs. Par-delà le fruit, c'est le désir du désir de l'autre qui fonde l'activité humaine. Lacan quand tu nous tiens!

Lu dans:
Citation de Saint Augustin placée en exergue de: Frédéric Lenoir. Petit traité de vie intérieure. Plon. 2010. 200 pages.
René Girard. Sanglantes origines. traduit de l'anglais par Bernard Vincent. Flammarion. 2011. 393 pages.

22 février 2011

Au loin les oiseaux

"Voir un oiseau passer n'est pas voler. Y penser ouvre pourtant les ailes."
P. Mathy
Souvenir discret de vacances bretonnes en famille. On range, cette nuit un gros orage a cassé l'été, déjà un parfum de rentrée scolaire. Au loin, sur la mer, le départ en escadron des oiseaux vers les contrées chaudes. Les vacances sont pliées.
Lu dans:
Philippe Mathy. Jardin sous les paupières. Le Taillis Pré. 2002. 175 pages. Extrait p 131.

20 février 2011

Les mots coincés dans la bouche

"Je parle aujourd'hui en souvenir des mots coincés autrefois dans ma bouche,
en souvenir des roues dentées broyant les syllabes sous la langue
(..)
La maîtresse, posant une main sur mon épaule, racontait
que Moïse bégayait aussi et pourtant il avait atteint le mont Sinaï.
Ma montagne à moi, c'était une fillette assise
à mes côtés dans la classe, mais je n'avais pas de braise dans
le buisson ardent de la bouche pour attiser, devant elle,
les paroles consumées d'amour."
R. Someck
Sous le charme du film de Tom Hooper "Le discours d'un roi", narrant le combat de George VI contre son handicap (le bégaiement) pour assumer son rôle de roi d'Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale, je découvre au-travers d'un poème israélien que Moïse aussi était bègue. Belle leçon pour nous tous, aux multiples handicaps dissimulés ou visibles: rien n'est jamais joué d'avance. La performance d'acteur de Colin Firth (George VI), face à Geoffrey Rush (le thérapeute) est époustouflante, permettant une lecture multiple d'un scénario issu d'une histoire vraie. Belle réflexion sur la relation thérapeutique, ainsi que l'infinie distance entre la pensée et son expression.

Lu dans:
Ronny Someck. La vengeance de l'enfant bègue. Éditions PHI, traduction Marlena Braester
Pierre Chuvin. dans Les Poètes de la Méditerranée. Gallimard Poésie 2010. 955 pages. Extrait p.201,203
The King's Speech. Réalisé par Tom Hooper. Avec Colin Firth, Helena Bonham Carter, Derek Jacobi. Long-métrage britannique , australien , américain . Durée : 01h58min Année de production : 2010 Distributeur : Wild Bunch Distribution

Des fourmis et des hommes

"Aussi discret qu'un point-virgule dans un roman de huit cent pages."
D. Foenkinos

... c'est peu de chose effectivement. Encore que, comparé à notre existence à chacun, un sur sept milliards, ce point-virgule occupe finalement une place enviable.

Lu dans
David Foenkinos. La délicatesse. NRF. Gallimard. 2009. 201 pages. Extrait p.83

18 février 2011

Le plein qui délivre

"Il faudrait ne s'emplir que de ce qui délivre."
P. Mathy
Un enfant découvre une immensité de sable, préservée entre Oostduinkerke et Coxyde. Promené au bout de ce sable, son regard se perd dans une immensité d'eau dont le gris finit par se confondre avec le gris d'un ciel lui aussi immense. Plein les yeux de tant d'espace encore donné à prendre, plein les oreilles du vent qui poursuit quelques ombres perdues, plein les narines des senteurs de varech et de coquillages, les paumes pleines de quelques cailloux d'une valeur de souvenir inestimable, c'est ainsi que se découvre à quatre ans la richesse sans possession. Nous étions cet enfant, qu'en reste-t-il?

Lu dans:
Philippe Mathy. Le Temps qui bat. Ed. Le Taillis Pré. 1999. 92 pages. Extrait p.82

16 février 2011

Un grand homme, expression au masculin singulier

"Si le verre est fin plus fin est le vin."
Hilmi Yavuz
On l'admirait pour tant de réussite accumulée. De belle ascendance, arrivé au bon endroit au bon moment, quelques relations choisies, il représentait mieux que quiconque le subtil mélange de l'intelligence et de l'adresse. De sa femme, on ne savait rien, et il lui devait tout. Sur la scène de la vie, l'image naît de l'orientation du projecteur.

Lu dans :
Hilmi Yavuz. Les exils de l'Orient. Ed. Varlik Yayinlari. Trad. Michèle Aquien, Guzine Dino, Pierre Chuvin. dans Les Poètes de la Méditerranée. Gallimard Poésie 2010. 955 pages. Extrait p.149.

15 février 2011

La fascination du beau et l'étrange

"Je possède un joyau, et cherche quelqu'un qui sache le regarder."
Hafez. Divân. 373,4
Mots énigmatiques, prononcés au 14e siècle par un mystique persan, qui ravivent dans mon cerveau une image vivace. Un jeune patient, débile moteur cérébral profond, montre mille signes d'irritation extrême. Attente d'un orage, tensions familiales, colique improductive, allez savoir. Rien ne paraît pouvoir le calmer et le malaise gagne par cercles concentriques proches et médecin. Sa maman lui prend la main, l'assied et programme la vision d'une rencontre olympique de patinage sur glace. Un couple divin emplit la piste d'arabesques envoûtantes, ce qui procure dans l'instant une détente totale de l'enfant-loup dont les traits se relâchent pour la première fois de la journée. La magie dure une heure, le laissant fasciné et apaisé. Ce qui est visible possède sur le regard un pouvoir fascinant, qui court-circuite parfois les zones les plus structurées de notre cerveau pour allumer la veilleuse minuscule qui veille en nous quand on croit que tout dort.

Demeure intact cet autre mystère, l'itinéraire improbable de cette pensée d'un poète de Chiraz, recueillie et transcrite il y a des centaines d'années, traduite ensuite du persan dans ma langue maternelle, éditée par une maison téméraire qui ne craint pas les pertes financières et aboutissant sur ma table de chevet par l'intermédiaire d'un ami cher. J'aime imaginer le paysage désertique qui la vit éclore, sa sécheresse et l'âpre densité du lac salé Maharlu qui la ciselèrent, l'appel vers les cimes des monts Zagros et le franchissement du détroit d'Ormuz pour se perdre dans le temps et dans l'espace. Que de gorges à franchir, de révolutions et d'empires avant de s'inviter impromptu dans ma tête où elle réveille une vision vieille de vingt ans. Le caractère improbable d'une rencontre différée entre la rêverie d'un modeste boulanger persan aimant la vie et la détente d'un handicapé aimant la danse sur glace en fait la magie, et me fait aimer (encore un peu plus) la vie.

Lu dans:
Hâfez de Chiraz. Le Divân. Verdier de Poche. Oeuvre lyrique d'un spirituel en Perse au 14e siècle. 2006. 1280 pages. Extrait p.940

13 février 2011

Grandir de ses fragilités

"Ils me voient tous
comme un bloc de granit
posé sur le sol, mais moi (..)
Si seulement ils savaient ! "
A. Romanes

Dans "Les Roses de la solitude", Jacqueline de Romilly se désole d'avoir laissé s'abîmer le petit bureau familial, qui lui avait été transmis intact. Taché, le cuir qui supporta ses mains, stylos, livres et colis mouillés durant 50 ans lui apparaît soudain comme exemplatif de son incapacité à être l'épouse, mère de famille et maîtresse de maison qu'on attendait qu'elle fût. L'académicienne, érudite de haut vol, se fait aider pour ses rangements par une personne simple qui lui rétorque « Eh, oui ! Les choses s'abîment ... C'est comme nous tous ... ». Les mots s'appliquent beaucoup plus à elle-même qu'au bureau et à son cuir, aux modestes taches qui marquent le temps qui passe, des êtres qui meurent, du temps qui ne reviendra jamais. Cerner et accepter ses vulnérabilités peut constituer une libération.

Lu dans :
Alexandre Romanes. Paroles perdues. NRF Gallimard. 2004. 95 pages. Extrait p.75
Jacqueline de Romilly. Les Roses de la Solitude. Ed. De Fallois 2006.LLP.30950.155 pages. Extrait page 97-98

12 février 2011

Respirer l'eau en même temps que l'air

"A nos pieds, (..) le torrent étroit mais rapide qui descendait entre ces pentes rocheuses; l'eau courait, transparente, et lançait des reflets mouvants de lumière. (..)
Un léger murmure montait de cette gorge et l'on avait le sentiment de respirer l'eau en même temps que l'air."
J. de Romilly.
Il est des mots qui peignent, et nous font toucher à l'image du bonheur. Trouver ces mots pour panser les blessures de nos patients et amis, on met une vie à l'apprendre.

Lu dans :
Jacqueline de Romilly. Les Roses de la Solitude. Ed. De Fallois 2006.LLP.30950.155 pages. Extrait page 20

09 février 2011

L'étoffe dont on fait les rêves

«Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil.»
William Shakespeare. La tempête.
Une journée se clôt en écoutant Stéphane Hessel évoquer sa mort prochaine: de l'éveil du nouveau-né à l'assoupissement du vieillard, une existence nous est donnée, entourée de sommeil. Nous la rêverons pour une bonne part, imaginant des possibles, reconstruisant des raisons à nos échecs, testant des sentiers inconnus, créant des ponts vers l'avenir. La simplicité de dire les choses graves avec légèreté n'appartient pas à tout le monde.

Stéphane Hessel. Noms de dieux. Une émission d'Edmond Blattchen. RTBF La Deux. Mardi 8 février 2011, 23h30. 60 min.

07 février 2011

Le temps qui nous leste

"Je cherche surtout la légèreté, le temps vous leste si vite."
Andrée Chedid
Andrée Chedid s'est éteinte. Entre l'Egypte de sa jeunesse, le Liban de ses aïeux et la France de ses toujours, une sorte d'alliance très libre s'était peu à peu fait jour, par dépouillements successifs. Le prix à payer à cette liberté fut le renoncement à toute certitude, à toute appartenance, aux "déterminations ordinaires liées un dessein final, passion terrible des hommes pour les vérités intangibles, et auxquelles ils sacrifient tout. Au contraire, j'aime le mystère de la condition humaine." De son appartement de bord de Seine, au 14e étage d'une tour de verre et de béton, elle rêvait à cet autre fleuve - le Nil - qui ne s'arrête pour personne et qui continue sa route. A l'âge de 90 ans, aurait-elle mis un terme à sa navigation et rejoint par-delà les siècles Nefertiti dont elle a raconté la vie et qui dans le secret de sa pyramide avait conçu une cité idéale? Cela demeurera son mystère.

Lu dans :
Jean-Louis Ezine. Andrée Chedid, romancière déchirée.le Nouvel Observateur" du 28 décembre 2000.
Andrée Chedid. Nefertiti et le rêve d'Akhenaton , Les mémoires d'un scribe. Flammarion. 1993. 224 pages

06 février 2011

Je vis

"...chaque instant que je vis m'éloigne de la mort."
Lydie Dattas
Absurde n'est-il pas? A moins que... J'ai pris bonheur à relire ce soir un paragraphe de Gide enseignant à Nathanaël la ferveur, et à donner au terme Je vis une signification.

Lu dans:
Lydie Dattas. Le Livre des anges. NRF. Gallimard. 2003. 165 pages. Extrait p.152

Les parures humaines

"Si on jetait des diamants dans le ruisseau
il ne serait pas plus beau ."
Abdelmajid Benjelloun

05 février 2011

L'avenir s'est mis en marche

A contre vent

"Ma vie magnifique, comme l'oiseau
qui vole contre le vent
les yeux fixés sur le ciel."
A Romanes


... la neige, le vent, les étoiles:
pour certains ce n'est pas assez.

Lu dans :
Alexandre Romanes. Paroles perdues. NRF Gallimard. 2004. 95 pages. Extraits pp 92, 93

02 février 2011

Les réponses des autres

Deux aphorismes cueillis sur la pas de la porte hier:

" Penser, c'est prendre les réponses des autres, et de préférence les plus catégoriques, comme sujets d'interrogation."
"Tout problème a une solution. Quand il y a un problème et qu'il n'y a pas de solutions, c'est qu'il n'y a pas de problème."

Laisser ce type de sentence vous pénétrer dans le cerveau le matin au lever peut se terminer par une migraine, prudence. Une variante est de trouver quelques exemples issus de son expérience personnelle, ou de celle de ses proches, et d'en évaluer la pertinence. Dans ce dernier cas, c'est migraine + tournis. Une bonne prévention consiste à s'orienter vers des maximes plus simples du type: "Soleil de la Chandeleur Annonce hiver et malheur ." Ah les mythiques crèpes mielleuse de l'enfance, mais je préfère néanmoins celles d'aujourd'hui.

01 février 2011

Somewhere over the Rainbow

"Reconnaissez la diversité,
et vous atteindrez l'unité."
Rabidranath Tagore.
Je ne sais pour vous, mais il y a dans l'air comme une envie de prendre un peu de hauteur, "au-delà de l'arc-en-ciel, où les rêves que tu oses deviennent réalité" comme le chantaient Arlen et Harburg... en 1938. De clamer que c'est "parce qu'on est petits que nous sommes grands", la faune des coincés dans le métro, des bouchons du carrefour Léonard, des poussés aux soldes, à la Saint Valentin, aux souks aéroportés vers le soleil au Carnaval ou à Pâques, des bouffeurs de chips du dimanche midi s'extasiant devant le Clan des Sept à Mise au Point ou à Controverse (les mêmes, en direct, à la même heure, comment font-ils donc?). On peut ironiser sur Arno et les artistes d'un soir au KVS, mais eux au moins ils nous font rêver, alors que les manchettes du Soir depuis neuf mois ... Marguerite Yourcenar devrait-elle à sa belgitude d'avoir écrit que "les subcultures ont du bon à une époque où la culture s'ossifie ou périclite, et où le mot « marginal » s'emploie péjorativement comme si nous étions tous d'accord sur la valeur du texte en pleine page"?

Savez-vous ce qui me ferait saliver vraiment demain matin? Recevoir mon journal sous la format de la feuille de choux "Le Pochard" louvaniste qui nous informait avec impertinence des grands compromis et des petits secrets qu'on ne peut divulguer, avec un humour et une créativité réjouissants. De me lever demain au son de Radio Caroline, la mythique radio pirate ancrée dans les années 60 au large d'Ostende, interviewant sans effet de col son bourgmestre (Johan Vande Lanotte) racontant - comme nous le ferions à table - ce qui s'est vraiment dit pendant les trois mois de sa mission royale. De voir Basta sur YouTube bloquer l'entrée du Palais royal un matin à l'aube avec un wagon de chemin de fer pour signer l'armistice, d'entendre Stromae entonner avec Jamel "Alors on danse" en flamand et en français à la réception des corps constitués - quand elle aura lieu dans un mois ou dans un an. De me voir convoqué mercredi par le Roi pour expliquer comment un obscur médecin généraliste aborde un problème sans solution, situation dans laquelle hélas on excelle.

Je sais, je mélange tout, mais j'écris dans le désordre, comme je reçois les infos le soir en picorant mes raviolis devant le 20 heures. C'est parce "qu'on est petits que nous sommes grands" clament dans les rues des dizaines de milliers de Tunisiens, d'Egyptiens, de Yéménites, de Marocains, et demain de Chinois ou de Coréens du Nord. Vous ne me croirez pas: mais soudain je les comprends. Marre de ne compter pour rien, de n'être qu'un Audimat: soudain, chacun de ces cul-terreux de Tunis ou du Caire EXISTE. Evidemment, ici comme ailleurs, on ne sait trop où on va, mais on y va. Et y aller possède déjà un petit goût d'aventure, de cette aventure qui nous manque tant et qu'en d'autres temps on appelait l'espérance.

PS Merci pour le hasard qui fit se croiser ce weekend les mails de Jan, de Dominique, de Guy, de Benoît, de Paul et Astrid, de Luc et Nanou, de Paulette, de Bérengère, de Christiane et Bruno, la sublime musique de Bénédicte et d'Andrew et la superbe célébration de mariage de Cathérine et Axel qui ont ensemble sans le savoir inspiré ce billet.

Lu dans:
Zhu Xiao-Mei. La Rivière et son secret. Robert Laffont. 2007. 335 pages. Extrait page 282
Marguerite Yourcenar. Bleue, blanche, rose, gaie. Le Tour de la prison. Gallimard. 1991
H Arlen. EY Harburg. Somewhere over the Rainbow. Le Magicien d'Oz. 1938