30 octobre 2008

L'attrait de l'avenir

 "Vous êtes allée en reconnaissance sans doute?"
Petite perfidie entre amis.

Elle est véridique, et a fait mouche, car la patiente s'en remettait mal. Hier elle a effectué la visite traditionnelle au cimetière où repose son époux mort il y a 10 ans. Elle est alerte pour ses 80 ans , conduit sa voiture, vit seule dans sa grande maison d'Overijse  en bordure de la forêt de Soignes. Ses voisins lui conseillent la maison de repos et se sont portés candidats en cas de rachat de la maison. Pour tout le quartier ils s'occupent d'elle et se font un sang noir de la savoir seule dans une si grande bâtisse, un malaise arrive si vite. On en arrive à envier ceux qui n'ont pas de protecteur.
 

Du silence et du non dit

"Ce qui ne peut danser au bord des lèvres s'en va hurler au fond de l'âme". 
 Christian Bobin

27 octobre 2008

L'ange de l'histoire


«Que cela suive ainsi son cours, voilà la catastrophe »
Walter Benjamin (cité par E. Plenel)
 

Je termine samedi matin la lecture de l'interpellant livre "Examen de conscience" d'August von Kageneck, dont les interrogations sur la culpabilité collective ou individuelle (il fut officier et médaillé allemand de la seconde guerre mondiale) m'habitent une bonne partie du week end.  Comme en écho me revient la phrase "Que cela suive son cours.." du  philosophe juif allemand Walter Benjamin, fuyant le nazisme en 1940, pour lequel une catastrophe ne prend jamais le visage de la rupture. Elle résulte hélas de ce à quoi tout le monde participe, ne fût-ce que silencieusement ou tacitement. Elle n'arrive pas par surprise, mais survient plutôt dans l'ordinaire des arrangements et des accoutumances. Dans le même ordre de réflexions, l'un des textes les plus cités de Benjamin , écrit peu avant son suicide en septembre 1940, est celui où il commente un tableau de Paul Klee, Angelus Novus:
« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus.
Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé.
Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées.
Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé.
Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds.
Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer.
Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines.
Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.” (Walter Benjamin)
Plus proche de nous, Boris Cyrulnik décrit la même réalité avec ses mots de neuropsychiatre quand il nous invite à "revenir à la vie et d'aller de l'avant tout en gardant la mémoire de sa blessure, d'éviter les chocs qui détruisent autant qu'éviter de trop s'en protéger", faute de quoi le monde serait fade et que nous perdrions l'envie d'y vivre. 

Lu dans:
  • August von Kageneck. Examen de conscience. Nous étions vaincus mais nous nous croyions innocents. Tempus. Ed. Perrin 2004. 215p.
  • La phrase en exergue de W Benjamin est citée par Edwy Plenel. Procès. Folio. Stock 2006. 158 p. extrait p. 150 et 151
  • Boris Cyrulnik. De chair et d'âme. Odile Jacob.2006. 256 p. extrait p. 254

25 octobre 2008

Trop tôt trop tard

"Pour écrire  ses mémoires, il faut choisir le bon moment. Si on le fait trop tôt, on n'a plus d'amis. Si on le fait trop tard, on n'a plus de lecteurs."
Attribué par Herman De Croo à Léo Tindemans

 
Comme pour confirmer cette sentence, l'amusante découverte que je fais à l'instant en recherchant un renseignement sur Léo Tindemans (l'homme au million de voix en 70, premier ministre trois ans, intelligent, un profil à la Leterme mais qui n'a pas eu la "chance" de se voir confronté à une crise autre que le linguistique - sur lequel il tombe sans gloire à l'issue d'une première tentative de réforme de l'état dont il ne se remit jamais. Son million de voix s'est révélé bien lourd à porter.) sur Wikipedia : il ne s'y trouve pas. Sic transit ... 

 
Lu dans 
Le Soir de samedi 25 octobre. p.3

24 octobre 2008

Est innominé ce qui n'a pas de nom

"Il y a, à la base du crâne, une série d'orifices par lesquels passent des nerfs. Un de ceux-ci n'a pas de nom. C'est pourquoi on l'appelle le trou innominé d'Arnold."
Leçon d'anatomie.


Le comique involontaire de cette phrase, entendue au cours alors que j'avais 18 ans, ne m'est apparu qu'en découvrant durant les vacances le livre de Zarifian. . 
 
Lu dans
Edouard Zarifian. Une certaine idée de la folie. Aube. 2001, 2008. 120 p. Extrait p.49

21 octobre 2008

La vie comme on la perd, comme on la gagne

"On perd sa vie à la gagner."
 
La fin du dernier roman de Sylvie Germain "L'inaperçu"  raconte la renaissance de Pierre Ephrem, le visiteur Père Noël aux "yeux d'une couleur étrange, gris argenté, comme ensoleillés de lune",  "aux yeux comme des flaques de pluie avec du soleil dedans". Pour la première fois de son existence, se promenant dans un paysage de lumière et de beauté "il est dedans" et non plus dehors. Il s'est posé et renaît à lui-même et aux autres. Je revoyais en filigrane une émission d'Arte, glanée il y a plusieurs années, narrant le voyage initiatique dans le Midi d'un homme d'âge mûr largué par son entreprise et désespéré. Aux portes de la retraite il redécouvrait soudain le vol d'un papillon, le chant d'une alouette, l'odeur des blés coupés, de la terre chaude qui s'endort après le coucher du soleil. "C'est curieux comme on oublie l'existence de ces choses-là quand on travaille" confiait-il. Pauvre et riche, un cabanon, une miche, des couleurs pleins les yeux. La vie qui s'écoule à nouveau lentement, fraîche entre les doigts, toutes choses essentielles qu'on considérait parfois accessoires. N'oubliez pas aussi d'aimer, aurait ajouté soeur Emmanuelle, qui semblait s'y connaître en jouissance de l'existence si on en croit l'excellent JT que France2 lui consacrait ce soir. Le bonheur, mode d'emploi, est un programme qui reste décidément à élaborer. 
 
  
Lu dans :
Sylvie Germain. L'inaperçu. Albin Michel. 298 p. extrait p.293

15 octobre 2008

Comme le temps s'envole

 "For we are so little reconciled to time that we are even astonished at it. « How he's grown ! » we exc1aim, « How time flies », as though the univers al form of our expe-rience were again and again a novelty. It is as strange as if a fish were repeatedly surprised at the wetness of water. And that would be strange indeed, unless, of course, the fish were destined to become, one day, a land animal."
C.S. Lewis

"Nous sommes si mal réconciliés avec la notion de temps que celle-ci ne cesse de nous surprendre. « Comme il a grandi!» nous exclamons-nous. «Comme le temps s'envole!» Comme si cette expérience universelle nous était encore une grande nouveauté. C'est aussi étrange que si un poisson exprimait constamment sa surprise devant le fait que l'eau est mouillée. Et en effet, ceci serait vraiment bizarre, à moins bien sûr, que le poisson ne soit destiné à devenir un jour un animal terrien."


Lu dans :
Les idées des autres. Simon Leys. Plon. 2005.125p. extrait p.112
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14 octobre 2008

Tempus fugit

" Ce n'est donc pas aux cheveux blancs et aux rides que l'on appréciera si quelqu'un a longtemps vécu : il n'a pas vécu longtemps, il a longtemps existé. Penserait-on de la même personne qu'elle a beaucoup navigué parce qu'une tempête épouvantable l'a arrachée au port, emportée de-ci, de-là, tandis qu'une furieuse alternance de vents divers la faisait, dans les mêmes parages, tourner en rond? Elle n'aura guère navigué, elle aura surtout été beaucoup secouée. "

Sénèque, De la brièveté de la vie.
 

13 octobre 2008

Tous au Colruyt

"Tout ce qui n'est pas donné est perdu."
Sagesse des proverbes indiens

Mon fils Benoît me partage un amusant courrier, qui s'avère contenir plus de sagesse qu'une lecture rapide le laisserait supposer. Intitulé "mieux que fortris, tous au colruyt", et mérite une double lecture.

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Si vous aviez acheté pour 1000 Euros d'actions Vivendi,
Vous n'auriez plus que 70 Euros.
Si vous aviez acheté pour 1000 Euros d'actions France Télécom,
Il vous resterait aujourd'hui 159 Euros.
Si l'an passé vous aviez acheté pour 1000 Euros d'actions Alcatel,
Il vous resterait aujourd'hui 170 Euros.
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12 octobre 2008

Un homme à tout défaire

"S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas problème."
Sylvie Germain
J'ai glané la  phrase en lisant le dernier livre de Sylvie Germain ce soir, l'ai oubliée, et elle m'est revenue pour ne plus me quitter comme une mouche entêtée, se posant par intermittence sur une série de situations de vie vécues comme problématiques ces derniers mois. Expérience étonnante, que je vous recommande. Sylvie Germain a fait des études de philosophie à la Sorbonne avec Emmanuel Levinas, et on en retrouve des influences. Dans L'inaperçu, elle raconte la vie des Bérynx, une famille composé de la mère, de trois garçons et d'une petite fille Marie. Seule pour gérer l'affaire familiale depuis la mort de son mari, Sabine engage Pierre Zébreuse, un homme qui a fait irruption dans leur vie et qui a su gagner la confiance de la famille. Ce dernier disparaît un jour comme il est arrivé, laissant derrière lui des indices et des personnalités reconstruites après son passage.  Une sorte de récit à l'envers de l'histoire de cette famille de Nivelles dont la maman a récemment égorgé ses cinq enfants il y a un an, et dont l'histoire aurait basculé dans un sens exactement contraire. Un hymne aux influences bénéfiques que chacun de nous peut avoir sur l'existence des autres, récit d'un homme modeste dont le rôle discret aura été de défaire les problèmes, "un homme à tout défaire" comme il a été joliment écrit, et puis de s'effacer. 


Lu dans :
Sylvie Germain, L'inaperçu, Roman - Albin Michel, 2008

08 octobre 2008

Ne me réveille pas , j'aime trop ce rêve

"Le vent froid de l'automne siffle dans les ajoncs desséchés
Qui blanchissent dans la lumière du soir;
Les corneilles quittent les saules et volent vers l'intérieur des terres.
Un vieil homme se repose, seul sur la grève,
Il sent le vent dans ses cheveux, la nuit et la neige qui vient.
Depuis la rive plongée dans l'ombre il regarde vers la clarté,
Là-bas, entre nuages et lac, une bande
De terre éloignée brille encore dans la lumière chaude:
Au-delà merveilleux, règne de félicité comme le rêve et la poésie.
Il fixe du regard cette image lumineuse,
Repense à son pays, aux années de bonheur,
Voit pâlir l'or, le voit disparaître,
Se détourne, quitte les saules
Et marche lentement vers l'intérieur des terres."

Herman Hesse. Eloge de la vieillesse. Esquisse

Je cherchais un court texte pour décrire l'impression laissée par le dernier livre de Dominique Lapierre Un arc-en-ciel dans la nuit.Lecture indispensable pour comprendre et aimer l'Afrique du Sud où se trouvent Benoît et Aline pour une longue période. "Ne me réveille pas , j'aime trop ce rêve" murmurait un anonyme électeur de la première élection démocratique le 27 avril 1994. Le poème d'Hermann Hesse paraît écrit pour Nelson Mandela. Je ferme la dernière page et l'émotion reste.

Lu dans
Herman Hesse. Eloge de la vieillesse. Esquisse. Eloge de la vieillesse. Collection : Biblio Romans, 158 pages, 2003, Calmann-Lévy
Dominique Lapierre, Un arc-en-ciel dans la nuit, Robert Laffont 362 p.

05 octobre 2008

Révélation

“Je suis sûre maintenant qu’on se découvre soi-même davantage en se projetant dans le monde extérieur que dans l’introspection du journal intime. Ce sont les autres, anonymes côtoyés dans le métro…qui par l’intérêt, la colère ou la honte dont ils nous traversent, réveillent notre mémoire et nous révêlent à nous-mêmes”.
Annie Ernaux


Lu dans:
Annie Ernaux. Les Années. Gallimard. NRF.Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, "Nrf", 2008, 242 pages

Une seule voix, un seul chemin

"Qu’y a-t-il de plus triste qu’un train?
Qui part quand il le faut,
Qui n’a qu’une seule voix,
Qui n’a qu’un seul chemin.
Rien, vraiment,
n’est plus triste qu’un train.

Ou peut-être un cheval de trait,
Coincé entre deux brancards,
Et qui ne peut même pas regarder de côté.
Sa vie se résume à marcher.

Et un homme?
N’est-ce pas triste un homme?
S’il vieillit dans la solitude,
S’il croit que son temps est fini,
Un homme, c’est bien triste aussi "

Primo Lévi
écrit le 1er janvier 46